L’attentat manqué des mines d’Aniche
Le 4 août 1895, Émile Vuillemin, directeur des mines d’Aniche, est attaqué sans motif apparent devant l’église d’Auberchicourt. Le nord de la France est en émoi.
Le dimanche 4 août 1895, la commune d’Auberchicourt, située à un kilomètre et demi d’Aniche, dans le Nord, est en fête. On y célèbre les cinquante années de service d’Émile Vuillemin, figure locale, qui, après une longue carrière de contremaître, est devenu l’administrateur de la Compagnie des mines d’Aniche.
En cette fin de XIXe siècle, l’homme, âgé de soixante-quatorze ans et officier de la Légion d’honneur, est une personnalité emblématique du patronat minier de la région.
Le journal de la droite conservatrice Le Figaro rapporte que de grandes réjouissances ont été préparées en ce jour par les petites mains de la commune, et que rien n’annonce alors ce qui va venir.
« Un banquet de 4 000 couverts devait avoir lieu auquel étaient conviés tous les ouvriers et employés. La fête s’annonçait comme devant être très belle et des plus cordiales. »
Car ce jour-là, Clément Décout, un ancien mineur de la Compagnie d’Aniche, vingt-six ans et militant syndicaliste, a planifié de commettre un acte irréparable.
Ce dernier en effet a été congédié par M. Vuillemin deux ans auparavant, à la suite d’une importante grève ayant pris place de septembre à novembre 1893, et au cours de laquelle le jeune Décout a joué un rôle décisif. À cette époque, les mineurs ont pris la décision d’arrêter de travailler, exigeant une hausse des salaires de 10 % ainsi qu’une amélioration de leurs conditions de travail. Mais après plusieurs semaines de lutte, et face à l’échec de leurs revendications devant un patronat inflexible – le contremaître Vuillemin en tête –, ils furent contraints de revenir à la mine, sans rien.
À la fin de la messe, M. Vuillemin, précédé d’un groupe d’ingénieurs et d’actionnaires, sort sur le parvis de l’église où s’est attroupée une foule nombreuse. C’est à ce moment-là que Clément Décout surgit, en tenue d’ouvrier et revolver au poing. Déterminé à venger l’opprobre lancé à tous les mineurs d’Aniche (et à lui-même), il tire à cinq reprises sur le vieil homme, qui s’effondre dans son sang. Quatre balles viennent de le toucher.
« II y eut un moment de stupeur indicible dans la foule, puis on se précipita pour désarmer et arrêter l’assassin. »
Ce que tous ignorent, c’est que l’agresseur possède en outre une bombe artisanale dissimulée au niveau de sa ceinture, sous son veston. Et tandis qu’il s’apprête à lancer l’explosif sur un M. Vuillemin déjà amoché et sur les ingénieurs qui l’entourent, il semble que la bombe lui échappe des mains et tombe à ses pieds. Une seconde plus tard, elle explose et projette le jeune homme à deux mètres du sol. Lorsqu’il retombe, il est « littéralement éventré ».
Le Journal des débats politiques et littéraires ajoute que le père du jeune criminel est lui aussi dans l’assistance. Choqué par la violence des événements qui viennent de se dérouler, et outré du lien qui l’unit au terroriste, il se jette sur son fils mourant.
« Le père du misérable était présent. Incapable de maîtriser son indignation, il se précipita vers son fils et le frappa du pied en criant : “Canaille ! Assassin !”
On mit fin aussitôt à cette scène atroce et l’on emporta, à la mairie, le criminel mutilé qui respirait encore. Il rendit le dernier soupir en arrivant. »
Immédiatement, on s’occupe de prodiguer les premiers soins à M. Vuillemin. Celui-ci est gravement atteint à la nuque, mais il a également reçu une balle dans le dos et une autre au niveau de la main.
Aussi, cinq autres personnes ont été blessées par l’explosion : M. Ernest Déjardin-Verkinder, M. Devès, M. André Bernard, M. Henri Minangoy et M. Gourdin.
Après les faits, on s’interroge sur le mobile de cette tentative d’attentat qui, selon les commentateurs, ressemble en de nombreux points aux attaques commises par des terroristes anarchistes dans un passé proche. En cette fin de XIXe siècle, la « crainte de l’anarchisme » plane sur l’Europe, et particulièrement sur la France.
On fait notamment référence à l’attentat réalisé un an plus tôt, en mars 1894, par l’anarchiste belge Amédée Pauwels sur le seuil de l’église de la Madeleine, à Paris. Les circonstances sont effectivement les mêmes : lui aussi a fini éventré à cause de l’explosion prématurée du bâton de dynamite qu’il portait sur lui – mais qu’il destinait, pour sa part, aux fidèles de l’église.
La plupart des journaux, dont Le Petit Journal qualifient donc vite cette attaque d’« attentat anarchiste ».
Cependant, l’enquête révèle peu à peu les véritables fondements du crime perpétré par le jeune homme. Selon La Justice, il ne s’agit pas d’un attentat à motif politique, mais d’un pur règlement de compte, une vengeance personnelle que l’ancien mineur gréviste aurait préméditée de longue date.
« Intelligent, travailleur, doux et courageux, tel est le portrait de cet homme qu’on a qualifié d’anarchiste et qui n’est en somme qu’un révolté qui n’a pu pardonner à ses anciens employeurs l’injustice dont il avait été victime. »
Par chance, aucune des personnes touchées par l’explosion ne perdra la vie, ni le jour des faits, ni les suivants. M. Vuillemin, grièvement blessée, finit par se rétablir malgré son grand âge. On assure qu’une semaine plus tard, le vieil homme avait recouvré toute sa santé.
Finalement, la bombe n’aura tué qu’un homme : le coupable lui-même, victime de son propre forfait. Et le journal La Justice de conclure avec amertume :
« Pour qu’un ouvrier qui a toujours été honnête en arrive à un assassinat comme celui-ci, il faut que la poche à fiel déborde. »