Extrait du journal

Elle entra dans mon bureau, menue et distinguée. Elle attendait là, à la porte, de puis plus d’une heure, toute en humilité et silence, au milieu d’autres, venues de partout, et par fois si impérieuses et grandilo quentes. Je lui indiquai un fauteuil et commençai à chercher qui j’avais là, en ce moment, devant moi ? Figure de soixante ans, autour de laquelle neigeaient des cheveux blancs.- Des yeux tristes, mais bienveillants... des mains blanches, qu’elle venait de déganter, et sur lesquelles j’apercevais un lacis de veines bleues— Qui voit ses veines voit ses peines— J’ai maintenant l’impression de me trouver devant une femme apaisée, qui a traversé la vie, en sait Pamertume, et qui désire voir son curé, parce qu’elle a dés choses à lui confier- Et qu’à les lui con fier, ces choses, elle en sera moins opprimée. — Vous venez pour.. ? lui dis-je, afin d’amorcer la conversation. — Je viens pour régler une petite dette du denier du culte. — Pourquoi « petite ».. ? — Parce que je ne suis, pour vous, qu’une paroissienne de pas sage. — Vous habitez la province- ? — Oui. Et ce denier du culte, ce n’est même pas le mien— mais bien plutôt celui de mon .fils— , . — Mon paroissien.. ? — Pas du tout ! Mais, lui, il ne le payera, ni dans son départe ment,, ni à Paris. Alors, c’est le rôle des mamans n’est-ce pas- ? — Je comprends... La confidence commençait— & Je restai là, le stylo à la main, attendant un nom, pour ne pas paraître indiscret. Pourtant, il fallait bien savoir ! — A quel nom désirez-vous que je fasse le reçu.. ? — Au mien... — C’est-à-dire..? Elle me douna le nom d’un par lementaire, redoutable et fameux. — Serieg-vous sa mère.. ? mur murai-je. — Oui. — Eh bien !.. — Finissez votre phrase.. ? Et elle leva sur moi des yeux déjà pleins de reproche. — Je veux simplement dire que ce sera un nom à ajouter à plu sieurs autres, très inattendus, sur mon registre du Denier du Culte. * A ce moment, la mère s’af firma... La mère, celle qui n’aban donne jamais son « petit » et le défend partout et toujours. — Mon fils, Monsieur le Curé, figurez-vous qu’il est gentil- très gentil avec moi. Et, si vous l’aviez connu il y a seulement dix ans!.. Tout jeune, il a été l’intendant de son catéchisme— Puis membre de la Jeunesse Catholique. Beau jeune homme, ardent, marcheur à l’étoile. Il faisait des conférences religieuses, étincelantes ! Que de fois on est venu le chercher pour répondre à tel commis-voyageur en anticléricalisme subitement dé barqué chez nous. Et j’étais si fière de lui, quand je le voyais, comme un paladin, repousser son assiette, se lever de table en s’écriant: « J’y vais !.. » — Tandis qü’aujourd’hui !.. — Oui— il va, hélas !.. de l’autre côté... Pourtant, il a conservé des amis très religieux. Il aime encore ses anciens maîtres— spécialement son aumônier de guerre, un Père Blanc, qu’il consulte dans les cas graves. & Or, çe Père Blanc, je le connais sais très bien. Je -fis à cette ma man l’objection qu’il résidait à l’autre bout de la France. — Cela ne fait rien ! Mon fils n’a pas reculé parfois devant deux nuits en wagon pour aller le voir. — Et il vote régulièrement si mal ! — Depuis quatre ans surtout. — Que s’est-il donc passé? A-t-il découvert un nouvel argument lui prouvant que la reli0ion est péri mée-? — Oh non !.. C’est beaucoup plus simple ! Mon fils veut arri ver. L’ambition l’a pris tout entier— Il veut absolument être. « quel qu’un »... — Ce n’est pas une raison pour passer à l’ennemi !.. Il y a des hommes politiques, en France et à l’étranger, oui « arrivent » en restant très fidèles à leur con science et à l’idéal de leur pays ! — Oui— Mais avouez que c’est moins aisé ? — En effet, on descend plus fa cilement qu’on ne monte. Il y eut un silence... — Que voulez-vous !„ s’écriat-elle, mon fils a été remarqué par le camp adverse. On lui a dit, ré pété : « N’allez pas vous mettre & la remorque d’un parti usé, où...