L’attentat manqué contre Bonaparte
Le 24 décembre 1800, une violente explosion dévaste la rue Saint-Nicaise sur le parcours emprunté par le premier consul pour se rendre à l'Opéra. Napoléon en réchappe de justesse.
Le 26 décembre 1800, le Courrier des spectacles se fait l'écho d’un attentat à la poudre qui vient de ravager la rue Saint-Nicaise, à Paris. On vient en effet de tenter d’assassiner le Premier consul, Napoléon Bonaparte.
« Le 3 nivôse, à huit heures du soir, le Premier consul se rendoit à l'Opéra, avec son piquet de garde.
Arrivé à la rue Nicaise, une mauvaise charrette, attelée d'un petit cheval, se trouvoit placée de manière à embarrasser le passage. Le cocher, quoiqu'allant extrêmement vite, a eu l'adresse de l’éviter.
Peu d’instans [sic] après, une explosion terrible a cassé les glaces de la voiture, blessé le cheval du dernier homme de piquet, brisé toutes les vitres du quartier, tué trois femmes, un marchand épicier et un enfant.
Le nombre des blessés, connu jusqu'à ce moment, est de quinze. Ce sont des hommes qui passoient, et des propriétaires de maisons voisines. Une quinzaine de maisons ont été considérablement endommagées.
Il paroît que cette charrette contenoit une espèce de machine infernale. »
Au pouvoir depuis un peu plus d'un an, Napoléon Bonaparte a toutes les raisons, en cette fin d'année 1800, d'être satisfait de son action politique. Il a réussi, en un laps de temps assez court, à remettre en ordre un pays heurté par la Révolution et à calmer l'ardeur des puissances coalisées contre la France, notamment grâce aux victoires de Marengo et de Hohenlinden.
Toutefois, les adversaires qui souhaitent sa perte, à droite comme à gauche, sont nombreux.
Dans l'Ouest, la révolte royaliste a perdu de son intensité, en raison notamment des mesures d'amnistie accordées aux chefs chouans au cas où ils acceptaient de déposer les armes.
Georges Cadoudal, un adversaire farouche du Premier consul, commandant en chef de l'armée catholique et royale de Bretagne, comprend qu'il est temps pour lui de frapper un grand coup : il souhaite déstabiliser le gouvernement en éliminant son chef.
Il envoie donc à Paris plusieurs de ses lieutenants dans le but de former un projet criminel contre le Premier consul.
C'est ainsi que le 17 décembre 1800, les officiers chouans Joseph Picot de Limoëlan et Pierre Robinault de Saint-Régent, aidés du chef chouan François-Joseph Carbon, font l'acquisition, pour deux cents francs, de la charrette et du cheval du citoyen Lambel, marchand de grains de son état.
Les cinq jours suivants, dans l'appartement qu'ils ont loué au 19, rue de Paradis, ils bricolent leur « machine infernale » en y fixant un tonneau de bois de grande taille qu'ils vont ensuite remplir de poudre et de bouts de ferraille. L'instrument qui devrait permettre aux Chouans de reprendre l'avantage est prêt au service.
Le 24 décembre en fin d'après-midi, après s'être entendu sur un plan d'action – Limoëlan devant faire le guet à quelques centaines de mètres de là pour avertir les autres lorsque Bonaparte serait en vue –, ils positionnent la charrette dans la rue Saint-Nicaise et offrent douze sous à Marianne Peusol, une fillette de quatorze ans, pour qu'elle tienne les reines du cheval et surveille la charrette pendant quelques minutes.
Un peu avant vingt heures, la voiture de Bonaparte, dans laquelle se trouvent également les généraux Berthier et Lannes ainsi que Lauriston, l'aide de camp du Premier consul, passe, solidement escortée par un détachement des cavaliers de la garde consulaire, devant Limoëlan, qui, manquant de sang-froid, tarde à avertir ses acolytes. S'ensuit un décalage de quelques minutes…
En retard, Saint-Régent finit par allumer la mèche. Une terrible déflagration retentit, pulvérisant la charrette, le cheval et la pauvre Marianne Peusol, faisant voler en éclats les vitres des maisons alentours, tuant sur le coup plusieurs personnes et en blessant beaucoup d'autres.
Napoléon, lui, s’en sort miraculeusement indemne. Fidèle à sa réputation d’homme fier et inébranlable, il décide de ne rien changer à ses plans : il se rend à l'Opéra.
Dans son édition du 26 décembre, La Clef du cabinet des souverains relate l'arrivée du Premier consul au spectacle, tandis que Paris bruit déjà de la rumeur de l'attentat :
« L’assemblée la plus brillante remplissait, au théâtre des Arts, la salle la mieux éclairée, et on y écoutait, dans le silence de l'admiration, la magnifique Oratio d'Haydn, lorsqu'on répand partout le bruit que le Premier consul, passant par la rue Sainte-Nicaise pour venir à l'Opéra, a manqué d'être atteint par l'explosion d'une mine qu'on avait creusée sur son passage. Cependant le Premier consul paraissait pour la première fois publiquement dans une loge, où il avait été fort applaudi ; il avait à côté de lui le général Sprengporten et l'on ne voyait sur son visage aucune altération qui pût annoncer le péril qu'il venait de courir lui et sa suite. »
Dans les jours qui suivent l'attentat, un spectacle est organisé au théâtre de la République et des Arts, afin de venir en aide aux victimes. Pour l'annoncer, de nombreux avis fleurissent dans la presse, dont celui-ci rapporté par le Courrier des spectacles dans son édition du 4 janvier 1801 :
« L’ouverture du spectacle de la compagnie Forioso devoit avoir lieu au théâtre Louvois, le 15 courant ; elle est différée jusqu'au 17, à cause de la représentation qui sera donnée le 15 au théâtre de la République et des Arts, au bénéfice des infortunés de la rue Saint-Nicaise. »
Arrêtés peu de temps après, Saint-Régent et Carbon seront guillotinés en place de Grève le 20 avril 1801, sans Limoëlan, lequel a réussi à quitter Paris. Cadoudal, réfugié pour sa part en Angleterre, sera guillotiné quelques années plus tard pour avoir pris part à la conspiration de 1804 contre l’empereur.
Au lieu d'affaiblir Bonaparte, l'attentat manqué de la rue Saint-Nicaise n'aura fait que renforcer son pouvoir. De Premier consul nommé pour dix ans, ce dernier s’accordera le titre de Consul à vie le 10 août 1802.