Écho de presse

1916 : Rodin interviewé

le 25/05/2018 par Pierre Ancery
le 21/03/2017 par Pierre Ancery - modifié le 25/05/2018
Auguste Rodin dans Le Journal des débats du 30 avril 1898 ; source Retronews BnF

Peu avant sa mort, alors qu'il est question que l'hôtel Biron, à Paris, devienne un futur musée Rodin, le célèbre sculpteur reçoit la presse et répond aux critiques.

Septembre 1916. Auguste Rodin se fait vieux, il a 75 ans. En mars, il a fait une attaque, suivie d'une congestion cérébrale en juillet. Le vieux maître pense à sa postérité. Il fait alors trois donations successives de son hôtel particulier, de son atelier et de ses collections d'art à l’État. En échange, il demande la création d'un musée Rodin à l'hôtel Biron, à Paris.

 

Le lieu a abrité de nombreux artistes, dont Rodin lui-même. Mais Rodin, depuis toujours, est controversé pour la nouveauté et l'extrême sensualité de son art. En 1916, il continue de choquer certains, et des voix s'élèvent pour contester le choix du lieu, un superbe hôtel particulier construit en 1727 rue de Varenne et doté d'un parc de trois hectares.

 

La polémique enfle. Rodin est-il suffisamment « génial » pour se voir attribuer ce joyau ? Certains le pensent : le sculpteur reçoit ainsi le soutien de Claude Monet, Georges Clemenceau, Octave Mirbeau... D'autres sont plus sceptiques, voire franchement hostiles. Le 7 octobre, Gustave de Lamazelle, dans La Croix, parle de "rodinolâtrie" et fustige le projet :

 

"Voir installer ces œuvres-là dans un ancien couvent, dans une chapelle confisquée, cela blessera profondément tous les catholiques de France. [...] Et l'on veut exposer de pareilles œuvres dans un musée ouvert au public, là où des jeunes filles et des enfants peuvent entrer librement !"

Le 24 octobre, Le Siècle pose la question en une : "Rodin mérite-t-il l'hôtel Biron ?". Le journaliste Jean Dorsenne demande l'avis de plusieurs personnalités... à commencer par Rodin, qui le reçoit dans sa villa de Meudon. Rodin s'exprime alors sur la controverse dont il est l'objet :

 

"— C'est la suite logique de toute ma vie ! J'ai toujours été, au cours de ma carrière, « embêté » par les artistes officiels. Que cette basse opposition cessât au déclin de mon existence, ce ne serait vraiment pas drôle !

D'ailleurs, dis-je un peu pompeusement, qu'importent les efforts des Pygmées contre le Titan ?

Oh ! vous savez ! je suis un Titan brisé, répond Rodin avec une certaine pointe de mélancolie."

L'artiste revient en riant sur les critiques qu'il a subies pendant toute sa carrière :

 

"— J'ai toujours choqué l'Institut, reprend-il. Tous ces vieux rétrogrades ressusciteraient dans cent ans qu'ils me trouveraient encore trop hardi. Voyons !... c'est très drôle ! Ils protestent contre l'immoralité de mon œuvre, ils me reprochent d'aimer la Femme... Mais ils sont incapables de comprendre ce que je fais... Il faut regarder ma sculpture avec des yeux chastes... je vous assure... Mais tous ces pères la Pudeur, qui se livrent eux-mêmes aux pires polissonneries, crient au scandale..."

 

Après un vote au Parlement, les trois donations seront finalement officialisées le 24 décembre. Rodin meurt un mois après, le 29 janvier 1917. Le musée qui porte son nom sera inauguré en 1919.