Nationalisme intégral : reportage dans le Japon de 1932
La grande reporter Andrée Viollis est au Japon au printemps 1932, au moment où le Premier ministre est assassiné. Elle décrit l'atmosphère nationaliste et militariste qui règne à Tokyo.
Début 1932, le Japon est au cœur d'une période de grande tension. Le pays mène une politique colonialiste et expansionniste qui a abouti en 1931 à l'invasion de la Mandchourie, une province chinoise, déclenchant un conflit armé entre les deux pays. L'archipel nippon subit en outre les effets de la crise économique de 1929 et de nombreuses grèves ont éclaté à divers degrés dans l'industrie.
L'idéologie dominante dans les cercles de pouvoir japonais est alors clairement fascisante. Le militarisme nippon s'appuie en effet sur une vision du monde xénophobe et ultranationaliste, qui considère que la « race » japonaise a vocation à dominer le reste de l'Asie.
C'est ce Japon en pleine crispation que la grande reporter du Petit Parisien Andrée Viollis va décrire. Celle-ci est une habituée des reportages au long cours : en 1927, elle a raconté l'U.R.S.S. d'après la Révolution, et en 1929, elle a couvert la guerre civile afghane. En ce début d'année 1932, elle débarque de Chine, où elle a suivi le conflit sino-japonais.
Le lendemain de son arrivée à Tokyo, le 6 avril, elle assiste au passage de l'empereur Hirohito au milieu d'une foule encadrée par la police. Lorsque le souverain arrive, tout le monde se courbe en silence.
« – À quoi pensez-vous ? répond à mes doléances un ami japonais. Ne savez-vous pas que notre empereur n'est point un homme, ni même un souverain, mais un dieu ? Est-ce qu'on applaudit, est-ce qu'on crie et gesticule en présence de Dieu ? D'ailleurs, étant fils du Soleil, il éblouit, il foudroie tous ceux qui ont l'audace de le contempler, surtout d'en haut. Voilà pourquoi toutes les fenêtres doivent être fermées, tous les rideaux tirés sur son passage.
– Et c'est aussi, continue mon ami après réflexion, pour empêcher les attentats. Peut-être n'avez-vous pas su qu'il y a deux mois, devant la préfecture de police, on a jeté une bombe sur le passage du cortège impérial ? »
La politique extérieure agressive du Japon suscite à l'époque la réprobation des gouvernements occidentaux. La question du retrait volontaire de la Société des Nations, dont le Japon est pourtant l'un des quatre membres fondateurs, se pose de plus en plus. Interviewant le ministre de la Guerre, le général Sadao Araki, Viollis obtient cette réponse sèche :
« – La Mandchourie ne nous est pas seulement précieuse au point de vue économique, mais aussi au point de vue stratégique. Elle fait partie du système défensif du Japon. Nous lui attribuons, en outre, une valeur sentimentale. C'est notre Alsace-Lorraine à nous [...].
Ni la Société des nations, ni Moscou n'arrêteront notre œuvre. Nous ne dévierons jamais de notre route et nous sommes prêts à écarter tous les obstacles. »
Le 15 mai a lieu un grave événement : une tentative de putsch menée par un courant nationaliste radical conduit à l'assassinat du Premier ministre Inukai Tsuyoshi. Le 17, Andrée Viollis écrit :
« La vérité est que plusieurs hauts personnages de l'armée et de la marine se trouvaient dans l'affaire. Ne disait-on pas couramment que les revolvers qui avaient servi aux meurtriers avaient été fournis par les officiers […] ? »
Les auteurs du meurtre, des officiers de la Marine impériale, ne seront condamnés qu'à des peines légères. La jeune démocratie japonaise vacille. La reporter commente le 19 mai :
« Un mouvement s'est dessiné, brutal, révolutionnaire. Mais son baptême est difficile, et il faut attendre avant de dire le nom sous lequel il se présentera. »
Le 22 mai, l'amiral Saïto Makoto est choisi pour succéder à Inukai. Les militaires sont désormais au pouvoir. Dans son dernier article, le 31 mai, Andrée Viollis s'interroge sur l'avenir du pays :
« – Pour parler franc, me disait ces jours-ci une haute personnalité, le Japon a moralement rompu tous ses liens avec la S.D.N. Quelles que soient les résolutions que celle-ci adopte, nous ne nous sentirons nullement tenus de les accepter. Peut-être ne quitterons-nous pas la Société, mais nous l'ignorerons.
Tel parait être l'état d'esprit général. Évidemment, il ne faut rien exagérer. Il y a ici des éléments de sagesse et de prudence qui, si l'occasion l'impose, sauront se faire entendre. Mais les écoutera-t-on et est-ce bien vers un avenir de paix intérieure et extérieure que se dirige le Japon ? »
Dans les années qui suivent, les mouvements nationalistes japonais vont poursuivre leur poussée. En 1933, le Japon se retire de la SDN. En 1936, le Premier ministre Saïto est assassiné avec d'autres politiciens de haut rang. Le 27 septembre 1940 enfin, le Japon signait un pacte tripartite avec l'Allemagne nazie et l'Italie fasciste.