La pièce devient un marqueur du camp patriote. Début 1790, lors du procès du marquis de Favras, accusé d’un complot royaliste visant à exfiltrer la famille royale hors de France, l’acte d’accusation n’omet pas de solliciter du futur condamné à mort son avis sur la pièce, qu’il est supposé avoir voulu faire interrompre à la troisième représentation. Le peuple semble avoir voté, si l’on en juge par « la foule que cette jolie pièce attire au théâtre n’embarrassant pas ordinairement la sortie des cochers, ni des carrosses, ni de tout le fracas aristocratique ».
Toutefois, un succès est toujours éphémère, et en mai, alors que le revenu des représentations a beaucoup baissé et qu’il risque de perdre ses droits d’auteur, Chénier demande que sa création soit retirée de l’affiche.
La représentation de Charles IX est à nouveau demandée lors de la fête de la Fédération du 14 juillet 1790 par les représentants de divers départements (Marseille, Aix, La Rochelle, Besançon, Nîmes, Montpellier), appuyés par Danton et Mirabeau, tandis que la troupe du Français se divise sur cette nécessité, entre les Rouges menés par Talma et les Noirs inspirés par Naudet.
« Demandée par le public, refusée par les comédiens, ces derniers ont lutté de tout leur effort contre le parti de Charles IX.
Mais le sieur Talma s’étant déclaré pour ce Prince, la ligue a plié sous lui. Le lendemain on a joué Charles IX. »
La revendication d’un théâtre national deviendra un topique des réflexions sur cet art ; le public y gagnera un droit éminent de censure.
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Philippe Bourdin est historien, professeur d’histoire moderne. Il fait partie du Centre d’Histoire « Espaces & Cultures » de l’université Clermont-Auvergne.
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Pour en savoir plus :
Michel Biard, « La bataille des rois de papier sur la scène théâtrale parisienne (1789-1790) », in Paul Mironneau et Gérard Lahouati (dir.), Figures de l’histoire de France dans le théâtre au tournant des Lumières (1760-1830), Oxford, Voltaire Foundation, 2007, p. 117-132
Charles Walton, « Charles IX and the French Revolution: law, vengeance and the revolutionary uses of history », in: European Review of History, vol. 4, n° 2, 1997, p. 127-145
Marvin Carlson, Le théâtre de la Révolution française, Paris, NRF, 1970, p. 37
Saint Albin Berville et Jean-François Barrière, Mémoires de Bailly, Paris, Baudouin, 1821- 1822, tome II, p. 282.
Marie-Joseph Chénier, Dénonciation des inquisiteurs de la pensée, Paris, La Grange, 1789.
Jean-Baptiste Suard [alias Chénier], À Messieurs les Parisiens sur la Tragédie de Charles IX, Paris, n.l.n.d. [1789].
Marie-Joseph Chénier, Adresse aux soixante districts de Paris, n.l. n.d. [1789].
Adolphe Lieby, Étude sur le théâtre de Marie-Joseph Chénier, Paris, Oudin, 1901, p. 35 ; Charles Palissot de Montenoy, La Critique de la Tragédie de Charles X, Paris, Didot jeune, 1790.