Chronique

Images d’un « régicide » : illustrations étrangères de l’exécution de Louis XVI

le 20/01/2023 par Marina Bujoli-Minetti
le 17/01/2023 par Marina Bujoli-Minetti - modifié le 20/01/2023

Témoignages extérieurs de la condamnation à mort du roi, les estampes et tableaux britanniques de l’exécution révèlent la consternation étrangère vis-à-vis de la violence de la Révolution. Toutefois, le sang versé semble volontairement absent de ces images.

Le 21 janvier 1793 Louis XVI est guillotiné en plein cœur de Paris, événement exceptionnel relayé en Europe et même outre-Atlantique dans la presse, et plus ponctuellement dans l'iconographie, hormis dans le Saint-Empire romain-germanique et le royaume de Grande-Bretagne et d'Irlande. Cette rareté ne signifie pourtant pas une absence de circulation des estampes, les documents originaux – français et britanniques – étant imités ou adaptés sur le continent européen et jusqu'au Canada.

Ainsi, tout en déplorant cette mort, la plupart des auteurs allemands montrent Sanson brandissant la tête décapitée vers la foule, suivant la représentation officielle de la France créée par Helman et Monnet. En revanche, ils mettent en exergue la fonction politique de l'homme exécuté, comme l'unique gravure italienne et la suisse, disant s'inspirer de « Fious » et « Sarcifu », noms tronqués. Mais le sang s'écoulant vers l'estrade disparaît sur certains documents allemands, la tête semblant alors flotter dans la main du bourreau et conférant un aspect irréel à la composition.

La retranscription fidèle de l'événement n'est donc pas la préoccupation majeure des auteurs ; la guillotine est ainsi parfois représentée de façon fantaisiste, de même que la mise à mort du Français. William Lane, éditeur londonien, montre en effet la procédure normale d’exécution sur « Massacre of the French King ! », premier des trois placards qu'il consacre au 21 janvier 1793. Sur l’estrade entourée de troupes et de spectateurs un condamné, de face, est lié à une planche par l’un des aides de Sanson. Or Louis XVI a été exécuté seul et directement allongé sur la guillotine.

Comme la plupart de ses concitoyens, il répugne à montrer le roi décapité et son sang versé (celui-ci n'apparaît en effet que sur 4 scènes historiques), se concentrant sur les moments précédant la mise à mort. Tout en allant à contre-courant des représentations faites en France, où la tête sans vie de « Louis Capet » est abondamment utilisée pour contribuer à la désacralisation de l’ancien souverain, ces estampes britanniques inspirent de nombreux graveurs sur le continent européen. Le premier placard de Lane a même franchi l'Atlantique pour être diffusé à bas prix à des fins de propagande au Québec.

« Massacre of the French King, second placard », estampe de William Lane, 1793 – source : Stanford.edu
« Massacre of the French King, second placard », estampe de William Lane, 1793 – source : Stanford.edu

Le second, enfin fidèle à la réalité de l'exécution, Louis XVI étant allongé sur la machine et Sanson s'apprêtant à libérer le couperet, a été reproduit à Copenhague et reporté sur trois objets : une tasse, un pichet et une boite à mouches stipulant « He Died Lamented by all Good Men - La Guillotine ». Il a en outre inspiré les estampes illustrant la page de garde de deux brochures éditées à Londres et d'un ouvrage l'ayant été à Édimbourg, pouvant être achetées par les ouvriers et artisans alphabétisés.

De plus, une troisième version de ce placard, reprenant les mêmes personnages en élargissant le cadre et en y ajoutant troupes, bâtiments, arbres et spectateurs, a été reproduite au Danemark sur une estampe en noir et un tableau en couleurs, et sur un mouchoir britannique imprimé en rouge.  Accompagnés de deux grandes colonnes décrivant l'événement et mettant en lumière le courage du roi français, ces placards destinés à être collés sur les façades ou les murs des bâtiments, étaient destinés « Aux Sujets de Grande-Bretagne qui sont libres et heureux » de revenus modestes.

« Louis XVI au pied de l'échafaud », tableau de Charles Benazech, 1793 – source : WikiCommons-Château de Versailles
« Louis XVI au pied de l'échafaud », tableau de Charles Benazech, 1793 – source : WikiCommons-Château de Versailles

Par ses grandes dimensions et sa qualité d'exécution, l'œuvre de Charles Benazech montrant Louis XVI au pied de l’échafaud, dernier volet du triptyque que le peintre a consacré au souverain français, ciblait par contre un public aisé. Le pied gauche sur la première marche de l’estrade et le droit sur le sol, le condamné s’apprête à quitter la terre pour les Cieux, auréolé de lumière céleste. La main droite sur la rampe de l’échafaud, il tend la gauche vers Edgeworth tenant un crucifix en implorant Dieu, représentation reproduite au Royaume-Uni, en Allemagne, à Paris et à Amsterdam.

Le peintre, qui montre un homme serein au comportement de martyre, n'a pourtant pas initié cette interprétation hagiographique de l'événement. C'est le caricaturiste Isaac Cruikshank qui l'a fait dès le 1er février 1793 dans « The Martyrdom of Louis XVI. King of France » (cf. notre image d’ouverture). Nimbé de rayons célestes et menacé par la sombre guillotine, la main droite sur le cœur, la main gauche levée et le visage dirigé vers le Ciel, le condamné proclame « I Forgive my Enemies, I Die Innocent !!! », troupes et foule n’apparaissant que par une petite main rose, des baïonnettes et des clairons.

Ce message est plus nettement exprimé dans les satires ; la seule allemande imite celle du Français Villeneuve représentant la tête de « Ludwig XVI » de profil, les cheveux courts et le sang s'écoulant de son cou coupé en diagonale. Là encore, la distance est prise avec l'original car le titre et la légende font l'éloge du défunt, à l'inverse de leur modèle. Les autres documents satiriques, exclusivement britanniques, hésitent parfois aussi à utiliser le sang dans leur composition.

« The Victim of Equality », estampe, 1793 – source : WikiCommons-British Museum
« The Victim of Equality », estampe, 1793 – source : WikiCommons-British Museum

Il en est ainsi de « The Victim of Equality », ayant inspiré plusieurs auteurs. Sur les marches d'une guillotine sans lame transformée en grande fenêtre donnant accès au Ciel, le duc d'Orléans tient la tête décapitée de son cousin Louis XVI par les cheveux, sans aucune goutte de sang visible. Isaac Cruishank l'a transformé pour « The Martyr of Equality » en faisant du sang, se déversant abondamment sur la sombre estrade et cernant Philippe-Égalité qu’il a éclaboussé au visage, l'élément central de son œuvre, œuvre reportée sur deux pichets utilisés dans les tavernes loyalistes.

Bien que dénonçant également ce vote d'Orléans pour la mort du roi à l'Assemblée nationale, « The near in Blood the nearer bloody » montre l'insensibilité du duc face aux supplications du Dauphin et de Marie-Antoinette alors qu'il s'apprête à décapiter son cousin avec la hache du bourreau. « Robespierre en Poissard » attend avidement que l’instrument brandi par son allié politique s’abatte, analogie familiale stigmatisant l'alliance du Prince de Galles, héritier de la couronne britannique, avec les membres de l’Opposition.

« The near in Blood the nearer bloody », illustration d’Isaac Cruikshank, 1793 – source : WikiCommons-Library of Congress
« The near in Blood the nearer bloody », illustration d’Isaac Cruikshank, 1793 – source : WikiCommons-Library of Congress

Le 21 janvier 1793 est, par contre, considéré par Gillray comme l’une des conséquences sociales de la Révolution sur « The Zenith of French Glory ! » où un hideux sans-culotte en haillons joue du violon pour célébrer l’événement, entouré de diablotins clamant « Vive l’Egalité. » Relégué au second sur ce document, Louis XVI est en revanche au cœur de « The Blood of the Murderer crying for Vengeance », publié « pro bono publico » où un sang vermillon exhorte les Britanniques à intervenir en France par le texte qu'il contient et s’élève sous forme de volutes vers les Cieux.

« Hell Broke Loose, or, the Murder of Louis », estampe, William Dent, 1793 – source : WikiCommons
« Hell Broke Loose, or, the Murder of Louis », estampe, William Dent, 1793 – source : WikiCommons

Enfin, « Hell Broke Loose, or, the Murder of Louis » le représente allongé sur la planche de la guillotine, le couperet sur son cou, sa tête reliée à son corps sans aucune trace de sang. Le crucifix en or d’Edgeworth irradie de rayons dorés. Un rai de lumière divine et un ange sonnant du clairon surgissent des nuages et éclairent le souverain, encerclé de diables, y compris dans les airs. La nation et ses représentants appartiennent ici aux Enfers, le confesseur et Louis XVI au Paradis, mettant en scène clairement la dualité du monde.

Ces caricaturistes réécrivent la réalité et révèlent le véritable sens de cette mise à mort, tout en dévoilant ses conséquences pour la politique intérieure et extérieure des deux pays et plus largement de l'Europe. Ils participent à une guerre idéologique dans laquelle l'exécution royale, quelle que soit la représentation choisie, est condamnée, hormis en France. Les auteurs d'estampes et objets, partagés entre mise en relief et absence du sang versé, lui ont parfois préféré la scène des adieux de Louis XVI à sa famille, drame humain permettant d’évoquer la décapitation sans la montrer.

Marina Bujoli-Minetti est historienne, membre du laboratoire TELEMMe de l’université Aix-Marseille et de l'EIRIS (Équipe interdisciplinaire de recherche sur l'image satirique), rattachée à l'Université de Bretagne occidentale. Sa thèse de doctorat, soutenue en 2004, avait pour sujet « Louis XVI dans les documents iconographiques et objets produits en Grande-Bretagne ».