Gloire et splendeur de Cyrano de Bergerac
La pièce du jeune Edmond Rostand, « Cyrano de Bergerac », est présentée pour la première fois à Paris en 1897. Immédiatement, c'est un triomphe absolu.
Rarement œuvre n'aura trouvé si unanime accueil critique et populaire. Quand Cyrano est joué pour la première fois à Paris alors que le jeune poète Edmond Rostand, à peine 29 ans, craint le pire, le triomphe est immédiat. Les journalistes rivalisent d'éloges et bientôt le tout Paris n'a plus que "Cyrano" à la bouche.
Le 30 décembre 1897, au lendemain de la première, jouée au théâtre de la porte Saint-Martin, le journaliste culturel Gaston Senner, du journal La Presse, ne contient pas son emballement :
« Hier, à la première, ainsi que la veille, à la répétition générale, des bravos ont retenti, non plus, comme aux succès ordinaires, à la chute du rideau, à chaque acte, ou après une scène maîtresse, mais après chaque vers. Jamais un être vivant, marchant à la gloire, n'y fut accompagné d'un enthousiasme aussi immense, aussi sincère, aussi vrai que M. Edmond Rostand.
C'est sous l'impression de joie et de beauté éprouvée hier que j'écris ces lignes ; le critique devrait être muet ou, du moins, laconique ; il devrait, comme les donneurs de prospectus au coin des rues, se mettre au coin de son journal et dire au lecteur :
“Cours vite à la Porte-Saint-Martin, laisse tes préoccupations d'affaires, d'étrennes et même de famille, entre au théâtre et, où que tu sois placé, ouvre grands tes yeux et tes oreilles, tu riras, tu pleureras, tour à tour ; la poésie et la musique seront unies pour te charmer dans une œuvre admirable, tu seras heureux.”
Avec quel empressement je me ferais homme-réclame, si c'était nécessaire : “Ce soir, à la Porte-Saint-Martin... etc.”
Inutile bonne volonté ! Le nom de l'auteur et celui de sa pièce sont dans toutes les bouches, en attendant qu'ils soient dans tous les cœurs. »
L'Auto-Vélo, en janvier 1898, n'est pas moins dithyrambique :
« Nous y avons salué avec enthousiasme un poète qui s'est présenté à nous avec l'auréole de sa jeunesse et d'un talent indiscutable et incontesté.
Il a franchi d'un bond les degrés de la gloire, il a acquis en un jour la popularité qui, quoique rarement aveugle quand elle se manifeste sur des questions artistiques, a cette fois sa justification dans une œuvre noble et sincère, présentée en des vers puissants et beaux comme ceux de l'héroïque époque des classiques, plus riches et plus lyriques que ceux de nos parnassiens décimés, plus modernes et plus vrais que ceux de nos esthètes confondus et déconfits. »
En janvier 1898, Le Petit Journal se félicite du retour glorieux de la figure de Cyrano :
« C'est une des figures les plus curieuses, les plus intéressantes et les plus pittoresques de la première moitié du dix-septième siècle, que celle de Cyrano de Bergerac, qui s'estomperait encore le vague brumeux, si le poète Edmond Rostand ne l'avait sorti de l'oubli pour quelque temps.
Grâce à ses admirables vers, Cyrano aura eu un regain de célébrité. »
En mars encore, Le Figaro rapporte :
« Le théâtre de la Porte-Saint-Martin a retenti dans l'après-midi d'hier de clameurs d'enthousiasme comme il n'en avait probablement jamais entendu ! Un millier d'élèves du collège Stanislas – où M. Edmond Rostand a fait ses études –, auxquels s'étaient joints des parents et d'anciens professeurs de la maison, assistaient à une matinée de Cyrano, organisée expressément à leur intention. [...]
Durant les cinq actes du drame de M. Rostand, l'enthousiasme de cette jeunesse est allé en augmentant. Et, à la fin, quand on eut rappelé Coquelin dix fois, et qu'on eut réclamé à grands cris le poète lui-même, ce fut du délire, de la frénésie ! Edmond Rostand est donc apparu, salué d'applaudissements enragés. »
Pour ceux qui seraient tentés, voici ainsi résumée par La Presse l'action de la pièce :
« Cyrano adore en silence et sans espoir, se sachant laid, sa cousine Roxane. Celle-ci aime Christian de Neuvillette, compagnon de Cyrano au régiment des Cadets de Gascogne.
Christian n'est qu'un militaire, peu expert au langage fleuri, dont raffole, en lectrice de l'Astrée, la précieuse Roxane. Cyrano, heureux de pouvoir, sous le couvert d'un autre, peindre sa flamme à l'objet aimé, écrit pour Christian des lettres à Roxane, et même un soir, dans l'ombre, imitant la voix de son ami, fait une déclaration si brûlante à la belle que celle-ci s'empresse de s'unir à Neuvillette.
Sacrifié, Cyrano voit plus tard son secret deviné par Christian, qui, de désespoir, se fait tuer devant Arras. Roxane se retire au couvent dans le deuil et les souvenirs. Tous les jours, son cousin Cyrano la visite.
Une dernière fois, il vient s'asseoir près de la veuve, qui lui donne à lire la lettre trouvée sur le cadavre de Christian. Cyrano lit ce billet d'amour qu'il a écrit lui-même; il se laisse emporter par la passion et, avec la même voix que jadis sous le balcon, il répète de mémoire — car la nuit est venue — les phrases où il mit son âme. Roxane comprend le sublime dévouement de son cousin, elle se jette à ses pieds ; elle l'aime. Il est trop tard : Cyrano expire des suites de la blessure faite à son crâne par une bûche tombée dans la rue. »