Cézanne et Zola
Le peintre et l'écrivain ont cultivé dès l'adolescence une amitié passionnée avant de voir avec douleur leurs chemins se séparer.
1852. Émile a treize ans lorsqu'il entre au collège Bourbon d'Aix-en-Provence et fait la connaissance de Paul. Les deux jeunes garçons deviennent inséparables.
En 1936, à l'occasion de l'ouverture d'une exposition à l'Orangerie sur Cézanne, Le Matin revient sur cette "ardente amitié" :
"Les deux jeunes gens avaient l'un pour l'autre une ardente amitié. « J'ai vu Paul, écrivait Émile Zola à un de ses amis, j'ai vu Paul, comprends-tu cela, toi, comprends-tu toute la mélodie de ces trois mots ? ». Tous les soirs, les deux amis se retrouvaient dans la chambre de Zola où ils s'entretenaient, comme autrefois, d'art et de littérature. Ils ne sortaient que pour se mêler à une jeunesse ardente, bruyante, composée de littérateurs, d'artistes, de journalistes et d'agitateurs politiques. Cézanne fut aussitôt admis dans les groupes qui entouraient Zola de leur sympathie mais Cézanne n'aimait ni les longues stations dans les cafés ni les discussions politiques ; il n'avait au cœur qu'une seule passion : la peinture. Sous la conduite de Zola, il alla dans tous les endroits où l'on pouvait voir les grands maitres ; ce furent de longues visites au musée du Louvre."
La séparation vint des années plus tard, comme le raconte Le Matin. Zola est devenu un écrivain reconnu ; Cézanne peine à s'affirmer comme un grand peintre.
"Le divorce se préparait entre les deux amis. Leur tempérament les éloignait définitivement l'un de l'autre. Zola était un réaliste, Cézanne était un poète. Et lorsque Zola écrit son magnifique roman L'Œuvre, où il peint son ami sous les traits de Claude Lantier, il traduit son incompréhension devant l'œuvre de Cézanne. Sans doute Claude Lantier, comme Cézanne, est-il un chercheur passionné d'idéal, mais alors que Claude Lantier est un impuissant qui s'évade de la lutte par le suicide, Cézanne est un lutteur acharné qui ne cessera de peiner jusqu'au bout et restera un magnifique créateur. Pauvre Zola, il n'avait pas compris le génie de son ami et, moins perspicace que Mirabeau, il n'osait pas exposer dans son salon les toiles du maître d'Aix. L'apparition de L'Œuvre fut une cause de brouille entre les deux camarades du collège Bourbon. Quelle douleur pour Cézanne, d'être représenté sous les traits d'un vélléitaire incapable de créer."
"Il y a des ruptures moins douloureuses entre amant et maîtresse qui se déprennent, après s'être adorés, qu'entre de vieux amis s'apercevant sur le tard de leur méprise et en concevant du dépit", écrit Le Journal en 1939. Une biographie de Cézanne vient alors de paraître sous le titre Cézanne, sa vie, son œuvre et son amitié pour Zola. Pour l'auteur, John Rewald, il n'y a aucun doute :
"Chacun des deux amis aimait dans l'autre l'homme bien plus que l'artiste."
