1880 : Disparition de Gustave Flaubert
Agé de cinquante-neuf ans, Gustave Flaubert décède brutalement le 8 mai 1880 dans sa propriété près de Rouen. « Nul, si ce n'est Victor Hugo, n'a jeté sur son siècle un éclat si grand… »
Né en 1821 à Rouen, Gustave Flaubert fit son entrée dans le monde littéraire de la plus belle des manières, en faisant paraître en 1857 un premier roman qui lui assura dès le départ la célébrité par ses qualités exceptionnelles, mais aussi par le procès pour atteinte aux bonnes mœurs qu'il suscita. Madame Bovary est resté depuis un classique de la littérature française.
Mondain, il fréquente assidument les salons et côtoie les plus grands écrivains de son époque, George Sand, Tourgueniev, Baudelaire, Sainte-Beuve, Théophile Gautier, mais aussi Zola, Maupassant, les frères Goncourt, Alphonse Daudet qui forment l'école naturaliste – dans laquelle il se reconnaît. En 1862 paraît Salammbô, son second roman, récit fascinant dont l'action se situe dans l'Orient antique de Carthage et qui installe définitivement Flaubert sur le trône des grands écrivains. Sept ans plus tard, L'Éducation Sentimentale ne fera que confirmer son immense talent.
Victime depuis sa jeunesse de crises nerveuses qui n'auront de cesse de se répéter tout au long de sa vie et qui l'affaiblissent de plus en plus, pendant lesquelles il se sent, selon ses propres mots, « emporté par un torrent de flammes », sa santé commence à décliner de façon irrémédiable à partir de 1871, jusqu'à la crise d'apoplexie fatale qui l'emporta en 1880.
Le lendemain de sa mort, alors qu’il est l’un des plus grands écrivains français vivants, Le Figaro détaille ses derniers instants :
« C’est à une attaque d'apoplexie foudroyante qu'a succombé Gustave Flaubert.
En sortant du bain, vers dix heures, il s'était trouvé un peu indisposé. Il appela sa domestique et lui dit de ne pas s'éloigner. Puis, se sentant oppressé, il s'étendit dans son cabinet de travail sur un divan où l'apoplexie le prit et fit son œuvre. L'agonie dura vingt minutes.
Quand le docteur arriva, il était trop tard, Flaubert avait cessé de vivre. »
Le même jour, le quotidien Le Gaulois fait paraître un texte en forme d'éloge, qui permet de cerner l'influence que Flaubert a eue sur son époque, sur ses pairs, et sur l’histoire de la littérature française :
« La littérature française vient d'être frappée douloureusement en la personne de ce romancier très haut, de ce prosateur très mâle, de ce rare et merveilleux artiste qui était Gustave Flaubert.
Cette terrible nouvelle nous arrive à l'improviste, brutale comme un coup de foudre et poignante comme un malheur de famille. Elle retentira profondément dans le monde littéraire ; elle apportera une sorte de deuil personnel à tout écrivain digne de ce nom, et elle prolongera ses échos jusque dans la foule, gardienne inconsciente et consécratrice des gloires.
Nul parmi les vivants, si ce n'est Victor Hugo, n'a jeté sur son siècle un éclat si grand… »
Et un peu plus loin :
« Il avait des amis très fidèles et très illustres ; Alexandre Dumas, Taine, Renan, Théodore de Banville et Charles d'Osmoy.
Tous les dimanches, il réunissait dans sa maison quelques-uns de ses admirateurs : on y rencontrait notamment MM. Hennique, Céard, Guy de Maupassant, Gustave Toudouze et d'autres encore. »
Rapidement organisées, ses funérailles ont été fixées au 11 mai. Dans son édition du 13 mai, le journal Le Temps livre la chronique de la cérémonie religieuse qui se tient dans la petite église du Croisset, avant la mise en terre de l’auteur :
« L’auteur de Madame Bovary a eu, par un beau temps de mai, les funérailles qu'il eut souhaitées.
Autour de lui, non pas une foule, mais des amis et des admirateurs sachant bien qu'ils venaient là rendre hommage à un grand écrivain et un bon cœur. Et puis, dans cette petite église de Canteleu, sur le coteau, lorsque le cercueil immense est entré, porté par neuf hommes, tant il était grand et lourd ; quand, sur les vitraux traversés de soleil de la petite église, le catafalque illuminé de cierges s'est détaché, noir et frangé d'argent ; lorsque le prêtre a officié avec les enfants de chœur en robes rouges à ses côtés, à tous ceux qui savaient par cœur le premier roman de Flaubert, la même pensée est venue à l'esprit, la même parole aux lèvres :
– C’est l'enterrement de Madame Bovary ! Vous en souvenez-vous ? »
L'enterrement du père de Madame Bovary se déroule dans l'intimité, sans grande pompe, en présence de sa famille et de ses proches.
Fidèles en amitié, Zola, Goncourt, Maupassant, Coppée, Huysmans, Alexis et Hennique, sont là pour saluer une dernière fois celui qu'ils considèrent comme un maître.
Cependant, beaucoup de personnalités parisiennes n'ont pas fait le déplacement, et les habitants de Rouen sont indifférents à cette perte immense pour la littérature. Ce qui semble chagriner Émile Zola :
« Ce qui est inexplicable, ce qui est impardonnable, c'est que Rouen, Rouen tout entier n'ait pas suivi le corps d'un de ses enfants les plus illustres. On nous a répondu que les Rouennais, tous commerçants, se moquaient de la littérature… »
Un peu plus d'un an après la disparition de Flaubert, Bouvard et Pécuchet, roman inachevé ayant un simple plan en guise de fin, sortira à titre posthume en 1881 chez l'éditeur Alphonse Lemerre.
De nos jours, 161 ans après la parution de Madame Bovary, la littérature française n'a pas oublié le nom de Gustave Flaubert, rendu immortel grâce à son art. Son corps quant à lui repose toujours dans le cimetière de Rouen aux côtés de sa mère, de son père, de sa sœur Caroline, et du poète Louis Bouilhet, l'ami dont il fut le plus proche.