Écho de presse

Antonin Carême, chef cuisinier des empereurs

le 28/05/2018 par Priscille Lamure
le 31/01/2018 par Priscille Lamure - modifié le 28/05/2018
Le chef cuisinier Antonin Carême dans les pages du Matin, le 11 février 1933 - source : RetroNews-BnF

Le grand pâtissier français fut l’un des personnages les plus en vue du début du XIXe siècle. C’est à lui que l’on doit l’adoption de la toque blanche par les chefs internationaux.

En février 1933, à l’occasion du centenaire de la mort d’Antonin Carême, la Société des cuisiniers de Paris organise une semaine de festivités culinaires en l’honneur du célèbre chef pâtissier.

Comme le rapporte Le Petit Journal du 25 janvier 1933, tout ce que la République compte de hauts-fonctionnaires se met au garde-à-vous.

« Le Président de la République, les ministres du Commerce, du Travail, de l’Enseignement technique ont accordé avec enthousiasme leur patronage à ces manifestations qui serviront la gloire de l’homme étonnant qui fut à la fois le précurseur du tourisme moderne et le père de la cuisine française. […]

Partout les hôtels et les restaurants serviront pendant un jour les rôts et les sauces qui firent, il y a un siècle la conquête du prince de Talleyrand et que signa le Chef de bouche de Napoléon Ier, du prince régent d’Angleterre, du prince de Wurtemberg, des empereurs de Russie et d’Autriche. »

En effet, Antonin Carême fut un cuisinier globe-trotter, qui colporta avec brio l’art de la cuisine à la française jusque dans les plus prestigieuses cours d’Europe.

Disparu le 12 janvier 1833 à l’âge de 48 ans, Antonin Carême n’était pourtant pas né avec une cuiller en or dans la bouche. En 1931, le journal Le Temps relatait dans ses colonnes l’enfance difficile du petit Marie-Antoine Carême, né en 1784, fils d’un « malheureux garçon de peine du chantier de bois de la rue du Bac. »

« Ce pauvre homme ne savait certainement pas lire, mais il connaissait à coup sûr les contes de Perrault, car, ne pouvant nourrir sa trop nombreuse progéniture, – il avait quinze enfants – il agit envers cette ribambelle de marmots comme l’avait fait pour les siens M. Poucet père : c’est ainsi que, ayant emmené un jour le petit Antonin, alors âgé de dix ans, jusqu’à la barrière du Maine, il l’abandonna dans ce quartier perdu en le recommandant à la Providence.  »

Livré à lui-même et à la mendicité, le garçonnet est alors recueilli par un gargotier qui l’embauche dans ses cuisines.

Un siècle plus tôt, au moment de son décès, le journal Le Constitutionnel recueille les souvenirs d’un dénommé Eymery, qui a fréquenté Carême dans sa jeunesse. Celui-ci raconte les débuts difficiles du futur génie des cuisines.

« Il était orphelin et était âgé d’une douzaine d’années.

Un pâtissier de la rue Saint-Honoré qui l’avait recueilli lui apprenait son état. Le commerce de ce pâtissier, nommé le père Ducrest, consistait en un assez grand débit de petits pains au beurre et au lait. L’enfant était chargé d’aller les vendre ; on le voyait courant les boulevards avec sa corbeille, tantôt sur la tête, tantôt à son bras.

Le plus souvent, en deux ou trois heures, il avait placé sa marchandise. »

Le soir, après sa journée de travail, le jeune mitron apprend à lire et se passionne pour le dessin et l’architecture. Bientôt, on lui confie la réalisation de quelques pâtisseries. M. Eymery se souvient encore :

« On le voyait, lorsqu’il pétrissait ses petits pains, faire avec sa pâte quelques dispositions ingénieuses, souvent des fragments de temple, avec des colonnes.

Tout ce qui pouvait se rapporter à son état attirait son attention ; le dessin lui semblait une étude indispensable, mais il fallait l’apprendre seul ou y renoncer. Il ramassait de droite et de gauche toutes les vieilles estampes qu’il rencontrait dans la rue. »

Touchés par tant d’ardeur et d’abnégation, les célèbres pâtissiers Avice et Bailly lui ouvrent les portes de leurs cuisines. Ses progrès rapides et son talent lui valent d’entrer, à l’âge de seize ans, en tant qu’élève tourtier chez Bailly, fameux pour ses gâteaux à la crème.

Le Mémorial de la Loire et de la Haute-Loire revient sur son entrée dans la vie d’adulte, peu après la Révolution :

« Sous le Directoire, il travaille chez un traiteur en vogue ; vers 1800, il entre au service du prodigieux amphitryon qu’était Talleyrand-Périgord et dont les fourneaux sont alors sous la direction de Riquette, et surtout de celui que le jeune Antonin devait considérer comme son initiateur inoubliable et vénéré : le glorieux Laguipière. »

Depuis les cuisines de Talleyrand, le jeune cuisinier orchestre la préparation de grands dîners mondains et, grâce aux élogieuses recommandations de son maître, prend même la tête des cuisines du tsar Alexandre, l’empereur de Russie, lors de son séjour à Paris en 1814.

C’est ainsi qu’Antonin Carême commence à se faire un nom et à être reconnu dans le Tout-Paris pour ses nombreux talents. Il se fait notamment connaître pour ses « grosses pièces » de pâtisserie et ses entremets monumentaux. Il devient le cuisinier à la mode et travaille dès lors pour les plus grandes maisons parisiennes.

On le retrouve vite chef de cuisine du prince régent d’Angleterre, puis de l’empereur d’Autriche à la cour de Vienne. C’est alors que lui vint l’idée de glisser un rond de carton dans les bonnets de coton à mèche des cuisiniers, et de les transformer ainsi en belles toques érigées. Cette nouvelle mode de la toque blanche, que portent encore de nos jours les chefs du monde entier, est immédiatement adoptée par les cuisiniers viennois, avant de gagner Paris.

Antonin Carême poursuit dans le même temps son tour des cuisines les plus prestigieuses en entrant au service du prince de Wurtemberg en Allemagne, du roi George en Angleterre, de la princesse Bagration et enfin, du baron James de Rothschild à Paris.

Avant de tomber gravement malade, il a le temps de laisser en héritage de nombreux ouvrages gastronomiques dédiés aux gourmets.

Ses œuvres, agrémentées de nombreuses planches illustrées par ses soins, ont été plusieurs fois éditées et toujours rapidement épuisées. Le Pâtissier royal parisien (1815), Le Pâtissier pittoresque (1815), Le Maître d’hôtel français (1822), Le Cuisinier parisien (1828), L’Art de la cuisine au dix-neuvième siècle (1833) et enfin La Cuisine ordinaire (1848), mêlant recettes et conseils pratiques, continuèrent de se vendre « comme des petits pains » plusieurs décennies après la mort du maître.

Antonin Carême est aujourd’hui reconnu pour avoir révolutionné la cuisine de son temps, proposant une cuisine à la fois moderne, simplifiée et d’aucuns diraient, « artistique ».

Notre sélection de livres

Le Cuisinier parisien
Marie-Antoine Carême
Physiologie du goût
J. A. Brillat-Savarin
Le Livre de cuisine
Jules Gouffé
Grand dictionnaire de cuisine
Alexandre Dumas
La Cuisine française
Antoine Gogué