Foujita, le peintre star des années folles
Arrivé à Montparnasse en 1913, le japonais Tsugouharu Foujita s'impose comme l'un des peintres les plus audacieux et avant-gardistes de la capitale, et devient, dans l'euphorie des années folles, une star adulée du Tout-Paris.
Fils de général, Foujita naît en 1886 au Japon dans une famille cultivée et sensible aux idées occidentales. Encouragé à développer ses talents précoces pour le dessin, le jeune Foujita étudie la peinture de style occidental aux Beaux-Arts de Tokyo ; son diplôme en poche en 1910, il n'a dès lors qu'une idée en tête : aller à Paris.
En août 1913, il débarque dans le quartier du Montparnasse. C’est le début d’une folle aventure artistique. Repéré à une terrasse de café le lendemain de son arrivée par le peintre chilien Manuel Ortiz de Zarate, il fait, par son entremise, la connaissance d’un des plus grands peintres du moment : Pablo Picasso. La découverte de ses compositions cubistes constitue un véritable choc esthétique, qui le décide à se lancer dans la bataille des avant-gardes de l'art moderne.
En quelques années, il devient une star de l’École de Paris, et se lie bientôt avec tout ce que Paris compte d’artistes, de Modigliani à Soutine, Matisse, ou encore Léger.
Sa première exposition personnelle en juin 1917 est un triomphe ; il expose 110 aquarelles dans un genre mi-japonais, mi-gothique. La presse et les critiques sont enthousiastes.
Le peintre français Roger Bissière ne cache pas son admiration pour la maîtrise technique que montre le jeune Foujita :
« L'œuvre de Foujita [...] m'a enchanté par sa belle harmonie décorative, par la sensibilité profonde du dessin, par la force et la noblesse des silhouettes.
Ces petites peintures renferment les éléments d'une vaste synthèse murale ; on les pourrait agrandir énormément sans qu'elles perdent rien de leur puissance d'expression.
Ce qui fait, à mon sens, la grande originalité de ces peintures, c'est leur aspect profondément traditionnaliste, la sûreté de leur exécution, et les certitudes de métier qu'elles révèlent, et qui sont à peu près inconnues des peintres européens. »
Très rapidement, Foujita connaît la gloire. Il est de tous les Salons de peinture, non seulement à Paris mais aussi en Europe, aux États-Unis et au Japon.
La presse française raffole de ce peintre exotique et original, dont le style se situe à la frontière de l'Orient et de l'Occident.
La revue artistique Comoedia décrit ainsi son inimitable style :
« Son trait, fin comme un cheveu, aigu et sensible, pouvait aussi bien mordre le cuivre que griffer le papier. Ses premières estampes, tracées avec une merveilleuse souplesse, indiquèrent du premier coup ce qu'on pouvait attendre de lui dans cette voie, et les planches qu'il grava par la suite ont montré que cette attente n'était pas vaine.
La lithographie allait lui fournir un autre moyen d'expression aussi heureux. »
Foujita devient le portraitiste de célébrités de l’époque, comme la comtesse de Noailles.
Au coeur de l'entre-deux-guerres, les « Montparnos » vivent une euphorie sans précédent. Très à l'aise dans ce milieu parisien, Foujita s'impose comme le peintre le plus en vogue des années folles.
En 1928, l'écrivain Paul Morand lui consacre un article laudateur, retraçant son incroyable ascension :
« En l'honorable Foujita Tsugouharu, l'Orient et l'Occident se sont fondus. [...]
Foujita, grâce à une immanente justice, restitue à l'impressionnisme ce que celui-ci emprunta, il y a cinquante ans, à Outamaro. [...]
Foujita arrive en France en 1913, avec le tango ; il expose en 1917, avec la révolution russe ; il triomphe dans les années 1920, avec l'après-guerre ; succès féminins ; les Femmes, ses modèles, portent témoignage de l'attentive reconnaissance qu'il a pour elles Foujita sait les rendre très exactement avec leur félinité, leur étrange simplicité d'aujourd'hui ; leur brutalité perverse. [...]
Foujita triomphe dans la peinture des animaux ; les animaux lui ont gagné le cœur des hommes : à mesure que notre siècle devient plus méchant, son amour des bêtes s'accroît. »
Conscient des ressorts du succès, il construit son personnage, adopte sa célèbre coupe de cheveux à la « chien », porte bijoux et tatouages, et façonne, déjà, sa légende.
De toutes les fêtes, il gagne la réputation du « plus Parisien des Japonais ».
« Il y a longtemps que Foujita, pour capter l’attention, a trouvé d’autres moyens que celui de se laisser voir des anneaux aux oreilles.
A présent, depuis que ses toiles ont trouvé des acheteurs si déférents, le peintre a changé de manières et d’habitudes.
Une demeure, du côté de Montsouris, dans un petit hôtel charmant. La bonne qui vous ouvre la porte dit : — Montez au troisième. “Il” est là... L’escalier s’adorne, aux murs, de très jolies photos-de femmes nues. Le maître de maison, simple et aimable, Invite les visiteurs à s’asseoir... Un coup d’œil à l’atelier. Il est petit, meublé de beaux meubles français, quelques. étoffes... Un aimable désordre. [...]
Quand on lui de son succès en France, Il sourit. La France lui a été favorable. Il le reconnaît. Il parle d’ailleurs un français pur ; d’une voix lente, il ajoute :
— Ce ne sont pas seulement les Français qui aiment ma peinture. Dernièrement, à l’étranger, on a adjugé en vente publique une de mes toiles pour le prix de huit cent mille francs. »
La gloire ne se dément pas, mais en décembre 1931, affligé par un chagrin d'amour et accablé par les conséquences d'un lourd redressement fiscal qui l'a contraint à diminuer drastiquement son train de vie, Foujita décide de rompre avec Paris et se lance dans un tour du monde de plusieurs années. Il voyage d'abord en Amérique latine, avant de revenir à Tokyo en 1933 où il est accueilli en vedette et multiplie les expositions. En 1938, il se rend en Chine en tant que peintre attaché aux armées en guerre.
Il revient en France en 1939, avec sa nouvelle épouse, une jeune Japonaise, Kimiyo Horiuchi. La curiosité du Tout-Paris pour le peintre est intacte :
« — Mais c'est Foujita ?
— C'est Foujita.Une rumeur a couru d'un bar à l'autre, d'une terrasse à l'autre. Foujita est revenu !
Sagement, il est là avec une jolie petite épouse de son pays, habillée à la mode de Paris, mais l'air effarouché et inacclimatable.
— Si Foujita a changé ?
— Voilà. Il ne porte plus d'anneaux aux oreilles.Plus de chemises à damiers rouges et blancs, plus de pullover à col roulé. un costume banal et bourgeois et, sur son épaule, nul chat agressif n'est perché, regardant d'un œil cruel chaque interlocuteur.
Foujita cherche un atelier. Il veut se loger dans le quartier de Montsouris, qu'il affectionne, et d'une main délicate, où une bague est tatouée à un doigt, tandis qu'autour de son poignet est tatoué un bracelet-montre ; il recommencera à dessiner avec précision ses longs fantômes féminins, candides et voluptueux. Et son visage demeurera pareillement impassible, qu'il ressente de la peine ou de la joie.
Tout de même, quelle nostalgie devait l'habiter pour qu'une fois encore il vienne, au sommet de sa vie, dans ce Paris où il connut déjà et la misère et la gloire.
Quel sort le destin lui réserve-t-il aujourd'hui ? Et quel courage lui faut-il pour venir tenter les dieux qui lui furent à la fois favorables et défavorables, dans cette Europe où il doit pourtant se sentir toujours comme un étranger. »
Son séjour parisien sera de courte durée. En mai 1940, lors de l'arrivée des Allemands à Paris, Foujita rejoindra son Japon natal, où il travaillera à des œuvres et des expositions de peintures de guerre.
Il ne reviendra en France qu'en 1950, obtiendra la nationalité française cinq ans plus tard, et vivra une vie calme et laborieuse dans la Vallée de Chevreuse, bien loin de l'agitation des années folles. Il mourra d'un cancer le 29 janvier 1968, à Zurich, en Suisse.