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RetroNews | la Revue n°4
Quatre regards pour une histoire environnementale, un dossier femmes de presse, un chapitre dans la guerre, et toujours plus d'archives emblématiques.
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Paru en 1916, le roman Le Feu d'Henri Barbusse décrit sans fard la dure réalité de la vie dans les tranchées. Mais sa dénonciation des horreurs de la guerre, alors dissimulées, va diviser les critiques.
La Première Guerre mondiale bat son plein, en juillet 1916, lorsque le quotidien d'inspiration socialiste L'Œuvre annonce la parution prochaine, en feuilleton, d'un récit intitulé Le Feu, journal d'une escouade, par Henri Barbusse.
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Quatre regards pour une histoire environnementale, un dossier femmes de presse, un chapitre dans la guerre, et toujours plus d'archives emblématiques.
Le premier épisode de cette œuvre à mi-chemin entre témoignage et roman naturaliste paraît le 3 août.
Dans son récit, qu'il dédicace « à la mémoire des camarades tombés à côté de [lui] à Crouy et sur la côte 119 », Barbusse va raconter sans fard le quotidien des soldats au front. Pour la première fois, un écrivain narre les souffrances d'hommes ordinaires pris dans l'horreur des tranchées, sans jamais embellir ses descriptions par des procédés épiques et en n'hésitant pas à dénoncer le bourrage de crâne.
Henri Barbusse est d'autant plus légitime à faire ce récit qu'en 1914, déjà âgé de 41 ans et souffrant de problèmes pulmonaires, il s'était engagé volontairement dans l'infanterie. En janvier 1916, la presse rapportait d'ailleurs qu'il avait été cité à l'ordre du jour pour sa bravoure.
Pourtant, son récit va subir les foudres de la censure, très sévère en ces temps de guerre. Son réalisme dérange. L'épisode du 17 août paraît expurgé : à la place du passage censuré, le journal laisse un grand blanc.
Gustave Téry, directeur de L'Œuvre et dénonciateur de la censure, donne une explication à ses lecteurs :
« Les lecteurs de L'Œuvre trouveront aujourd'hui le beau roman d'Henri Barbusse maculé par un large blanc. La censure nous a prescrit de supprimer un passage important et nous avons accédé à son désir. Mais ce ne fut pas sans hésitation. Et maintenant que c'est fait, nous ne sommes pas sans-remords.
Il nous semble que nous n'avons pas assez défendu les droits de nos lecteurs – ni ceux, surtout, de notre collaborateur. Bref, nous nous demandons si nous n'avons pas commis une petite lâcheté ? […]
Décidément, décidément, nous avons eu bien tort d'être, cette fois, si obéissants. »
Le récit de Barbusse n'en est pas moins un immense succès. Au front, les soldats se reconnaissent dans ses écrits et lui adressent des centaines de lettres. À l'arrière, beaucoup découvrent avec Le Feu une réalité que la propagande officielle est bien loin de retranscrire.
Le dernier épisode paraît dans L'Œuvre le 9 novembre, et Flammarion publie presque aussitôt en volume le roman dans son intégralité. En décembre, Le Feu obtient le prix Goncourt. Les critiques, elles, sont divisées. Certaines sont totalement enthousiastes, à l'image de celle du Temps, journal conservateur :
« Quelle abomination inhumaine est la guerre, c’est ce qu’on n’avait pas encore aperçu avec la même netteté que dans la guerre actuelle, la plus effroyable de l’histoire [...], c’est ce qu’aucun écrivain n’avait encore montré avec autant d’intensité et moins de rhétorique, avant M. Henri Barbusse [...].
Son éloquence, qui se moque de l’éloquence, est celle des faits, de l’humble, atroce, sordide et sublimé vérité. Ce terrible livre est, somme toute, un bon livre ; et il fallait qu’il fût écrit. »
Le Siècle écrit quant à lui :
« Barbusse n'égale point Dante, mais comment lire Le Feu sans penser à L'Enfer de la Divine Comédie ? »
Tandis que Le Rappel adresse à Barbusse un éloge sans ambiguïté :
« Voici un chef-d'œuvre : le Feu, par Henri Barbusse [...]. Si M. Henri Barbusse n'a pas mis dans le Feu l'âme de la guerre, il y a mis, à nu, le cœur et la chair d'une poignée de héros francs et simples […].
La foule des lecteurs y retrouvera, avec sa haine instinctive et si justifiée de la guerre, sa passion plus abstraite et plus froide de l'égalité. »
Mais d'autres journaux sont plus nuancés, à l'instar du XIXe siècle :
« On parle beaucoup du Feu, de M. Henri Barbusse. C'est un chef-d'œuvre comme intensité, puissance d'expression, visions de guerre. C'est la vie du front dans toute sa vérité.
Pourquoi faut-il que ce poème des tranchées soit déparé par des propos de haute démagogie que l'auteur prend lestement sous son bonnet ?
Mais Henri Barbusse a toujours aimé le scandale. Il y voit un gage de succès. Il continue. »
En pleine guerre, en effet, les journaux de droite reprochent à Barbusse de ne pas assez glorifier le courage des soldats et la dimension héroïque de leur dévouement à la patrie. Ainsi lit-on dans La Libre parole, le journal ultra-nationaliste fondé par Édouard Drumont :
« Le Feu contient quelques tableaux de guerre incontestablement vigoureux, mais ce sont des fragments isolés et que séparent de longs verbiages humanitaires, ruineux, diffus, parfaitement assommants. »
Le journal monarchiste L'Action française parle en mars 1917 de « livre faux » :
« Les réalités qu'avait à dépeindre là M. Barbusse sont terribles : il n'y avait pas besoin d'en “remettre”. Et il y avait besoin surtout de mettre à côté de ces horreurs ce qui les transfigure, ce qui est vrai, et humain aussi : la vision du but et l'héroïsme qui le fait atteindre. »
Tandis que La Croix, organe de la réaction catholique, titre « Mauvais livre, mauvaise action » et met en exergue la « grossièreté du soldat Barbusse » :
« De la guerre, M. Barbusse n'a voulu retenir que ce qui est sauvage, horrible, matériel, et il a tu les sentiments élevés, les actes d'héroïsme et de sacrifice qui jettent une parure de gloire et d'immortalité sur les champs de mort et de carnage ; et voilà pourquoi, en même temps que son livre est faux, parce qu'il est incomplet, il constitue une œuvre mauvaise, parce qu'elle est injuste, haineuse et déprimante. »
Le Feu, pourtant, n'était à l'origine pas conçu comme un livre entièrement pacifiste. Comme l'explique l'universitaire Denis Pernot, Barbusse faisait de la victoire contre les Allemands une priorité. Dès l'attribution du prix Goncourt, l'auteur, interrogé par Le Petit Journal, fait sien le pacifisme attribué à son texte et accuse en même temps l'Allemagne :
« Vous m'en voyez très heureux, nous a-t-il dit, car j'ai voulu mettre dans mon livre tout le réalisme de la vie des tranchées. Déjà, par des lettres très nombreuses de soldats du front, j'avais appris que mon œuvre était vivante et réelle ; j'ai la satisfaction de la voir aujourd'hui jugée par des lettrés.
J'ai voulu montrer que tout en continuant la lutte, pour se débarrasser du militarisme germain, il fallait prévoir pour plus tard une plus grande fusion entre les peuples. Ces idées, j'y compte bien, dépasseront, notre patrie, car dès maintenant, Le Feu est traduit en plusieurs langues. »
Dès novembre 1917, Henri Barbusse devient cofondateur et premier président de l'Association républicaine des anciens combattants. Après la guerre, Le Feu devient un symbole du « plus jamais ça ». Barbusse, lui, s'engage fortement à gauche, rejoignant en 1923 les rangs du Parti communiste français et écrivant à partir de 1926 dans L'Humanité.
Sa mort en 1935 à Moscou causera une immense émotion en France, où il est entre-temps devenu une icône. L'Humanité titrera : « Peuple de Paris, tu seras derrière Barbusse, soldat de la Paix ! ».
Henri Barbusse est enterré au cimetière du Père Lachaise, près du Mur des Fédérés.
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Pour en savoir plus :
Denis Pernot, interview dans L'Humanité, « Le Feu de Barbusse prétend dire la guerre telle qu'elle est », 2016
Jean Relinger, Henri Barbusse écrivain combattant, Presses Universitaires de France, 1994