Archives de presse
La Guerre d’Espagne à la une, 1936-1939
Reportages, photo-journalisme, interviews et tribunes publiés à la une à découvrir dans une collection de journaux d'époque réimprimés en intégralité.
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En 1924, le futur prix Goncourt est condamné à de la prison pour vol d’antiquités au Cambodge, en Indochine française. La presse, moralisatrice, vilipende le jeune écrivain.
Le 3 août 1924, le visage d’un jeune homme « d'excellente famille » qui s’est révélé un « burlesque aventurier » et un « type curieux d'escroc » fait la Une de nombreux quotidiens français. Georges Malraux, 22 ans, vient d’être condamné par le tribunal correctionnel de Phnom-Penh, en Indochine française, pour vol d’antiquités.
Certains amateurs de littérature le connaissent mieux sous son nom de plume, André Malraux, celui sous lequel il a publié un roman, Lunes en papier, en 1921.
« Malraux se disait homme de lettres et était très connu dans certains cercles littéraires d’avant-garde ainsi que dans de nombreux endroits de plaisirs qu'il fréquentait assidûment.
D'une extrême élégance, on le rencontrait souvent portant une cape de velours noir doublé de satin blanc et coiffé d'un chapeau également blanc et noir. »
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L’Œuvre le présente de son côté comme le on ferait pour un voyou déchu victime de son train de vie :
« Il fréquentait les répétitions générales, les restaurants à la mode et... les antiquaires. C'est ce qui le perdit.
Les restaurants et le théâtre coûtent cher. Malraux ne jouissait pas, comme romancier, d'une réputation qui lui permît de vendre assez de Lunes de papier [sic] pour subvenir à ses besoins. »
Ruiné par des placements hasardeux dans des valeurs mexicaines, le couple Malraux a en effet besoin d’argent. À l’automne 1923, André et Clara Malraux partent pour Angkor, au Cambodge, avec un ami, Louis Chevasson, pour y dénicher des antiquités et les revendre.
Alerté de leurs projets, les autorités mettent en place, en décembre 1923, un piège dont Le Journal dresse dresse le récit :
« Immédiatement reconnus, les pèlerins d'Angkor furent flanqués, par les soins du gouvernement, de quelques indigènes, qui, sous prétexte d'assurer leur sécurité, les surveillèrent discrètement.
Arrivés près d'Angkor, Chevasson et Malraux, trompant la vigilance de leurs gardiens, mirent un temple complètement à sac. Ils brisèrent des statuettes, descellèrent des bas-reliefs et en emplirent des sacs pesant près d'une tonne.
La valeur totale de leur larcin atteignait environ un million.
Après quoi, ils se dirigèrent sur la frontière du Siam où ils essayèrent de pénétrer. Mais alors ils furent arrêtés. »
La nouvelle met du temps à filtrer en France. En mars 1924, Le Figaro explique dans une brève, sans citer de noms, que « le Tribunal de Pnom-Penh vient d'être saisi d'une affaire où seraient inculpés deux Européens qui, venus pour visiter les ruines d'Angkor, auraient dérobé au temple de Bantheai-Say des bas-reliefs d'une valeur considérable, merveilles de l'art khmer du onzième siècle ».
Mi-juillet, le quotidien culturel Comœdia pousse l’allusion un peu plus loin :
« Nous apprenons qu'un jeune écrivain auquel on doit un recueil de proses ésotériques et légères, comme Lunes en papier, est actuellement retenu en Indochine à la suite d'aventures mouvementées.
Puissions-nous revoir en octobre ce curieux homme qui devait publier un autre livre : Écrit pour une idole à trompe.
Ce titre explique sans doute le prolongement fatal du voyage dans une région que notre désinvolte confrère se proposait de parcourir en explorateur d'art. »
Quelques jours plus tard, Malraux écope de trois ans de prison et de cinq ans d'interdiction de séjour ; Chevasson, de dix-huit mois de prison.
Clara Malraux rentre en France et mobilise le milieu des lettres : les signataires d’une pétition parue dans Les Nouvelles littéraires, dont notamment André Gide, François Mauriac, Max Jacob, Philippe Soupault, Louis Aragon et André Breton, se portent « garants de l’intelligence et de la réelle valeur littéraire de cette personnalité, dont la jeunesse et l'œuvre déjà réalisée permettent de très grands espoirs ».
La presse ironise : « Le métier de brocanteur exige un apprentissage », pointe Le Figaro, tandis que L’Œuvre clame que Clara Malraux est rentrée à Paris après avoir « éprouvé que son mari montrait plus d'imagination dans la conduite de sa vie que dans celle de ses romans ».
Condamné à du sursis en appel, le jeune écrivain rentre en France à l’automne 1924. Six ans plus tard, il décroche, deux ans avant le Goncourt de La Condition humaine, le prix Interallié pour La Voix royale, portrait de deux aventuriers partis voler des bas-reliefs au Cambodge. Ce qui pousse le journal La Femme de France à s'interroger :
« Quelle est, dans La Voie royale, la part d'autobiographie ? Je veux dire : dans quelle mesure l'aventure de Claude, chargé de mission archéologique au Siam, ressemble-t-elle à celle qu'a vécue l'auteur en 1924 et 25 ?
Jusqu'à quel point Claude est-il Malraux ? »
Malraux n’a rien oublié de ses mésaventures en Indochine. Les ennemis de celui qui s’engage en politique, d’abord contre le colonialisme puis le fascisme, pas davantage.
En témoigne la brève fielleuse publiée le 30 juillet 1936 par L'Action française sur cet « enjuivé communiste » qui vient d’effectuer une mission de reconnaissance sur les débuts de la guerre civile espagnole et songe déjà à s’engager aux côtés des Républicains. Malraux, clame le quotidien d’extrême droite, n’est qu’un repris de justice (même si son cas est jugé moins grave que celui du ministre de l’Intérieur Roger Salengro, prétendument « condamné à mort pour désertion devant l'ennemi » et qui, atteint par cette calomnie, se suicidera au mois de novembre).
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Pour en savoir plus :
Robert Poujade, « Malraux : souvenirs d’un jeune normalien », in: Commentaire, 2012
Olivier Todd, André Malraux, une vie, Gallimard, 2001