Écho de presse

Michel Simon, l’ogre génial du cinéma français

le 04/05/2021 par Pierre Ancery
le 09/05/2019 par Pierre Ancery - modifié le 04/05/2021
L'acteur Michel Simon se maquillant en vue d'une séance de photos pour L'Excelsior, 1935 - source : RetroNews-BnF
L'acteur Michel Simon se maquillant en vue d'une séance de photos pour L'Excelsior, 1935 - source : RetroNews-BnF

L'acteur de L'Atalante et de Boudu sauvé des eaux tourna avec les plus grands réalisateurs, fascinant le public par sa verve burlesque ou ses rôles de perdants magnifiques. Célébré par la critique, il est omniprésent dans la presse des années 1930.

Il aura promené son visage inoubliable et sa diction reconnaissable entre mille chez tous les plus grands réalisateurs français de l'entre-deux guerres. Michel Simon (1895-1975) fut, à partir des années 1930, l'acteur populaire par excellence, enchaînant des films qui comptent aujourd'hui parmi les classiques du cinéma hexagonal : La Chienne (1931) et Boudu sauvé des eaux (1932) de Jean Renoir, L'Atalante (1934) de Jean Vigo, Drôle de drame (1937) et Le Quai des brumes (1938) de Marcel Carné, ou encore La Fin du jour (1939) de Julien Duvivier.

 

Capable de tout jouer, de la comédie à la tragédie, du drame intimiste à la chronique sociale, il savait insuffler à chacun de ses rôles une ambiguïté qui le distinguait infailliblement du tout-venant de ses collègues de l'époque.

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La faute à son vécu si particulier ? Ce Suisse monté à Paris dès l'âge de seize ans se plaisait à raconter les divers métiers qu'il avait eu l'occasion d'exercer avant celui de comédien : danseur acrobatique, assistant prestidigitateur, photographe ou encore professeur de boxe.

 

En 1938, pour Paris-Soir, l'acteur revient ainsi sur longuement sur sa jeunesse :

« – J'ai passé mon enfance à ronger mon frein à l'école. Je faisais des travaux de bricolage n'ayant aucun rapport avec les études. À seize ans, je commençai à avoir une idée fixe. Je ne saurai jamais pourquoi, mais je voulais devenir aviateur. Alors, je m'enfuis à Paris. Ce n'était pas la première fois que j'abandonnais mes parents ; à neuf ans, déjà, j'avais fait une escapade.

 

Ma mère, éplorée, me supplia de renoncer a ma “vocation”. Je l'aimais, je lui obéis. Mais j'avais goûté à la “liberté” et je décidai de rester à Paris. »

Jamais avare d'une bonne anecdote et plaisantant volontiers avec les reporters venus l'interviewer, il est un « bon client » des journaux de l’époque. En 1931, l'année où il tourne La Chienne, l’un de ses premiers chefs-d’œuvre, L'Intransigeant dresse de lui ce portrait :

« À force d’être “nature”, il en devient touchant. Cette sorte d’ingénuité est bien dans le caractère de Michel Simon. Ce n’est pas le moindre charme de cet artiste de talent et de cet esprit cultivé. Michel Simon a beaucoup vu, beaucoup lu, beaucoup retenu. C’est un être profondément sensible, simple et compréhensif.

 

Mais Michel Simon est aussi un humoriste. C’est pourquoi, pour réelle qu’elle soit, il ne faut pas trop se fier à sa candeur, si apparente. Il est de ces pince-sans-rire qui vous plongent dans l’hilarité la plus encombrante sans que tressaille un seul muscle de leur visage. À ces diverses qualités, Michel Simon joint un certain penchant pour le désordre et il est volontiers assez distrait. »

En 1932, Paris-Soir l'interroge dans sa loge de théâtre, alors qu'il vient de triompher sur scène :

« Michel Simon se démaquille. Dans sa loge étroite, il fait une chaleur étouffante qui suffit à fondre les fards. Il vient d'obtenir un succès éblouissant, en reprenant son type inoubliable de “Clo-Clo”. Cela ne le frappe pas énormément.

 

C'est une vieille habitude pour lui d'entendre une salle applaudir à tout rompre. Il ne faut cependant pas croire que le public le laisse indifférent. Bien au contraire.

 

– C'est une grosse erreur, me dit-il, que de juger le public incapable de comprendre et susceptible d'accepter n'importe quoi. Quand j'ai tourné La Chienne et Jean de la Lune, on se disputait du matin au soir. Dirigeants et metteurs s'arrachaient les cheveux en pronostiquant le four le plus complet. Jamais les spectateurs ne pourraient saisir mon interprétation. Vous avez vu le résultat ? »

En 1933, la sortie de Boudu sauvé des eaux, où il joue un clochard magnifique, le consacre comme un génie de la comédie. La Femme de France souligne alors la subtilité de son jeu :

« La complexité de Boudu permet à Michel Simon de manifester toute l'originalité de son tempérament ; en d'autres mains Boudu n'eût été qu'une espèce de fantoche dans le genre du Chemineau de Jean Richepin ; il a su faire de ce clochard atrabilaire un être lunaire, extravagant, insupportable et pourtant séduisant par la fantaisie qu'il met dans tous ses actes.

 

Mais, précisément, cette complexité l'empêchera (même si on nous le montre plus tard dans d'autres situations) de devenir un de ces types populaires aux lignes nettes, aux réactions toujours les mêmes, qui s'imposent aux masses. »

En 1934, c'est la sortie de L'Atalante, qui s'avère un échec commercial mais entrera plus tard au panthéon des films français d’avant-guerre.

À propos de la prestation de Michel Simon, Excelsior écrit en avril 1934 :

« M. Michel Simon, abandonnant les poncifs faciles qui amusent toujours l'audience du public, a cherché la vérité humaine. Sa création du vieux marinier est incomparable ; elle lui vaudra un des grands succès de sa carrière – s'il y a encore une justice au cinéma. »

La presse des années trente s'épanche fréquemment sur l'une des grandes passions de Simon : les animaux. En 1937, Ce Soir lui rend ainsi visite dans sa maison de Noisy-le-Grand, totalement envahie par les chats, chiens, singes et oiseaux :

« Là, dans une cage qui monte jusque sur le toit de la maison, deux singes s'ébattent, mangent des noix et cherchent leurs puces. Michel Simon prend Catherine, c'est le nom du plus jeune, et nous voila partis, toujours à travers son jardin.

 

Mais Catherine se sauve pour reprendre bientôt sa place sur l'épaule de l'immortel Clo-Clo et là, posément, il se met à manger ce qu'il vient de découvrir. Voici l'heure du repas des chats. Ils sont six, six que Michel Simon recueillit des mains de brutes qui les torturaient, ou plus simplement encore ramassa à demi morts de faim dans les rues.

 

Chacun a son assiette et tous se mettent à laper leur lait avec un grand bonheur, insensibles à Dick [son chien] qui les observe du coin de l'œil. »

Interviewé à ce sujet en 1938, alors qu'il tourne À la belle étoile dans les studios de la rue Francœur, dans le 18e arrondissement, l'acteur commente avec humour :

« Mon zoo en miniature va bien : ma tortue, mes quinze oiseaux, mes sept chats, mes deux chiens et mes deux singes.

 

Heureusement que mes deux singes (ils ont maintenant douze et quatorze ans) font la police, ils empêchent les chiens et les chats de se battre et ils ne badinent pas. C'est Zaza, ma guenon qui est morte, qui leur donnait l'exemple ! Elle était si intelligente ! Sa grande peur était de voir les chats grimper dans les arbres ; elle craignait qu'ils ne tombent et se fassent mal ! […]

 

Pauvre Zaza. On m'a souvent demandé de les faire tourner, mais je n'ai jamais voulu leur infliger le supplice du studio. C'est pour cela que je ne leur ai jamais dit que je faisais du cinéma ! »

Les journaux, en revanche, se font plus discrets sur une autre passion notoire de Michel Simon : la pornographie. Le comédien possédait une collection de milliers d’objets liés au sexe. Grand amateur de prostituées et de travestis, c'était un client assidu des maisons closes fameuses de l'époque, le One-Two-Two et le Sphinx.

 

Michel Simon tournera jusqu'à sa mort en 1975, jouant dans plus de cent films et cinquante-cinq pièces de théâtre.

 

 

Pour en savoir plus :

 

Jacques Lorcey, Michel Simon : Un sacré monstre, Paris, 2003

 

Dominique Lacout, Michel Simon, le réfractaire absolu, Le Flâneur des Deux Rives, 2018