Marceline Desbordes-Valmore, poétesse de l'amour et du deuil
Pionnière de la poésie romantique, Marceline Desbordes-Valmore tira de sa vie, faite de drames et de deuils, la matière à des vers étonnamment modernes et sensibles, qui firent l'admiration de ses contemporains, de Victor Hugo à Charles Baudelaire.
Marceline Desbordes-Valmore naît en 1786 à Douai dans le Nord de la France, au sein d'une famille d’artisans que ruinera bientôt la Révolution.
Son père devient cabaretier mais peine à nourrir la famille. Sa mère quitte la maison conjugale, emmenant avec elle Marceline, sa plus jeune fille, qui n’a alors que dix ans, et la fait précocement entrer au théâtre. C’est le début d’une vie d’errance et d’incertitudes.
En 1801, les deux femmes s’embarquent pour la Guadeloupe, à la recherche d’un riche parent éloigné. Elles arrivent sur une île en pleine insurrection suite au rétablissement de l’esclavage et, bientôt, Catherine Desbordes meurt de la fièvre jaune.
Quand la jeune fille rentre seule en France, à Douai, elle a 16 ans et se forme à la comédie en autodidacte. De ses relations amoureuses, naissent deux enfants illégitimes qui tous deux mourront précocement.
Elle rencontre en 1817 à Bruxelles, le tragédien sans le sou Prosper Valmore, qu’elle épouse et dont elle a quatre enfants — un seul lui survivra.
« Peu de vies offrent un pareil exemple de guigne noire et continue », notera bien après sa mort Les Annales politiques et littéraires :
« Or, — et ceci est magnifique, — sans doute elle se lamente, mais jamais elle ne désespère, — et jamais elle n'exprime un sentiment où l'on puisse surprendre même un commencement de méchanceté ou de dureté, ou seulement de révolte. A travers tout, une joie intérieure l'illumine. L'optimisme de cette affligée et de cette “geignarde” est sublime, renversant. »
À Paris, où le couple s'est installé, Marceline fait la connaissance de Henri de Latouche, éditeur et homme de lettres qui la conseille dans ses débuts littéraires, et devient son amant. C’est le début d’un amour passionné, intermittent et interdit, qui marquera toute son œuvre.
Son premier recueil, Élégies et Romances, est publié en 1819. Cet ensemble de poèmes la fait connaître et apprécier dans le monde littéraire. Forte de son succès, elle cesse son activité au théâtre pour se consacrer à l’écriture. Elle écrit non seulement des poèmes, mais aussi des nouvelles, des contes pour enfant et même un roman.
Ses contemporains, de Hugo à Baudelaire, admirent cette autodidacte de génie, dotée d’un romantisme et d’une mélancolie exacerbés par les multiples drames de sa vie.
« Michelet écrit dans L’Amour: “Le poète le plus chaleureux du siècle est une femme, madame Valmore.” [...]
Vigny l’appelle : “Le plus grand esprit féminin de notre temps.”
Victor Hugo lui dit : “Vous êtes, parmi les hauts talents contemporains, quelque chose de plus peut-être qu’une âme ; vous êtes un cœur. Il y a l’âme et le cœur, il y a le monde des pensées et le monde des sentiment. Je ne sais pas qui a le premier et si quelqu’un l’a dans ce siècle, mais à coup sûr vous avez l’autre : vous y êtes reine.”
Enfin, le poète d’une œuvre qui est l’antithèse de la sienne, mais qui de tous les artistes du 19ème siècle est l’esprit critique le plus sûr, celui qui dans ses études sur les peintres de sa génération même ne fit aucune erreur et qui les plaça au rang où la postérité les a laissés, Baudelaire, parle ainsi de la grande Marceline :
“La gloire de Mme Valmore est aussi solide que celle des artistes parfaits. Cette torche qu’elle agite à nos yeux pour éclairer les mystérieux bocages du sentiment, ou qu’elle pose, pour le raviver, sur notre plus intime souvenir amoureux ou filial, cette torche, elle l’a allumée au plus profond de son propre cœur.On a dit que Mme Valmore avait été de notre temps rapidement oubliée. Oubliée par qui, je vous prie ? Par ceux-là qui, ne sentant rien, ne peuvent se souvenir de rien. Elle a les grandes et vigoureuses qualités qui s’imposent à la mémoire, les trouées profondes faites à l’improviste dans le cœur, les explosions magiques de la femme. Aucun autre ne cueille plus facilement la formule unique du sentiment, le sublime qui s’ignore.” »
Mais, après avoir connu la gloire dans le milieu littéraire et artistique, Marceline Desbordes-Valmore, victime de la désaffection dont souffrent à partir du milieu du XIXe siècle les poètes romantiques, n'est plus en vogue à sa mort, à 73 ans, en 1859.
Il faut attendre la fin du siècle pour qu'elle sorte de l'oubli relatif dans lequel elle était tombée.
Ses poèmes sont alors popularisés par la presse et le public découvre des vers modernes, spontanés, empreints de sensibilité et de musicalité (Saint-Saëns sera l’un des nombreux compositeurs à s’inspirer de la syntaxe rythmée de ses romances).
En 1910, la « renaissance d’une poétesse » est consacrée par un rédacteur de Gil Blas, qui en profite pour laisser libre cours à des sentiments misogynes typiques de la Belle Époque :
« On découvre là le secret de la force que peut prendre Marceline Desbordes-Valmore parmi nous : elle est sincère et naturelle. Elle est amoureuse avant d'être bas-bleu.
Elle est femme avant d'être poétesse. Elle nous séduit maintenant par son ardente simplicité. Réaction inévitable contre les affectations exagérées de tant de femmes écrivains – médiocrement écrivains, qui sait ? mais en tout cas si peu femmes – de notre temps ! »
L'existence tragique de celle qu'on surnomma « Notre-Dame-des-pleurs » ne cessera dès lors de piquer la curiosité des historiens.
En 1929, notamment, l'écrivain Lucien Descaves consacrera un livre à La Vie amoureuse de Marceline Desbordes-Valmore, salué par la critique, à l'instar de L'Excelsior :
« Dans ce petit livre exquis. M. Lucien Descaves décrit avec une ferveur passionnée les diverses tribulations sentimentales de celle qui fut à la fois un grand poète et une femme tourmentée.
Lisez la Vie amoureuse de Marceline Desbordes-Valmore. Vous comprendrez mieux ses poèmes et leur absolue sincérité. Muse, en effet, de brûlante ardeur, et, ensemble, d'inclémente destinée, Marceline a toujours accordé sa lyre à ses émotions et à ses sanglots. »
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Pour en savoir plus :
Marceline Desbordes-Valmore, Les Pleurs, présentation d’Esther Pinon, GF Flammarion, 2019
Paul Verlaine, Les Poètes du Nord, une conférence et un poème retrouvés suivis de deux lettres inédites, édition établie, présentée et annotée par Patrice Locmant, Gallimard, 2019
Lucien Descaves, La Vie douloureuse de Marceline Desbordes-Valmore, Paris, 1898, (rééd.1910)
Lucie Desbordes, Le Carnet de Marceline Desbordes-Valmore, Bartillat, 2016