Écho de presse

Louise Brooks, enfant terrible du cinéma muet et icône des années 20

le 02/05/2022 par Pierre Ancery
le 20/04/2020 par Pierre Ancery - modifié le 02/05/2022
Photo de l'actrice Louise Brooks circa 1929 - source : WikiCommons-Library of Congress
Photo de l'actrice Louise Brooks circa 1929 - source : WikiCommons-Library of Congress

Libre et fascinante, l'actrice américaine Louise Brooks, à la fin des années 1920, était l'égale de Greta Garbo ou de Marlene Dietrich. Mais son refus de se plier aux demandes des studios provoqua la fin de sa carrière au cinéma. Celle-ci fut tardivement redécouverte.

Un regard de braise, un sourire dévastateur, et surtout une coupe de cheveux « à la garçonne » qui allait devenir sa signature : l'Américaine Louise Brooks (1906-1985), une des dernières grandes actrices du cinéma muet, se signalait d'abord par sa présence physique et sa sensualité hors norme. Véritable icône des Roaring twenties, elle fascina le public dans la poignée de rôles qui firent d'elle une star aussi sulfureuse qu'admirée.

Danseuse de formation, Louise Brooks s'illustre à partir de 1925 dans des comédies légères. Puis elle tient le premier rôle dans quelques films remarqués par la critique française, qui insiste alors davantage sur sa beauté que sur son talent.

À propos d'Une fille dans chaque port (1928) de Howard Hawks, Comœdia note ainsi que « Louise Brooks est trop jolie et trop joliment dévêtue pour nous inspirer une grande pitié ». L'Intransigeant ajoute que « la très jolie Louise Brooks parvient à paraître suer le vice et la perfidie ».

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Des apparitions qui suffisent à faire d'elle une célébrité. Le 6 décembre 1928, l'hebdomadaire consacré au cinéma Pour vous lui consacre un portrait à l'occasion de son passage à Paris. Là encore, le magazine évoque sa beauté « dangereuse » et la dépeint comme « la star qui ne va jamais se voir à l'écran » :

« Louise Brooks ! Une femme mince que nous vîmes les cheveux ébouriffés, que nous voyons désormais avec cette coiffure en carré, ce casque noir d’enfant un peu pervers.

C’est elle qui paraît la dernière dans A Girl in Every Port. On la voit, sinon plonger elle-même, tout au moins grimper avec grâce, un peu de cynisme et une coquetterie savante, au sommet d’un mât qui domine la piscine d’un cirque d’Anvers. Attirante, dangereuse créature, très dangereuse, puisqu’elle réussit à prendre dans ses filets un coureur des mers et des filles dont l’expérience est éprouvée... Prenez garde ! [...]

Miss Louise Brooks est passée parmi nous, sans bruit. Mais elle a des charmes d’attraction si étranges et si particuliers que nous ne pouvions rester si longtemps dans l’ignorance de sa venue, même tout à fait fugitive, parmi nous. Et son silence, son sourire un peu mystérieux et réticent expriment malgré tout une personnalité riche et secrète comme on en trouve peu. »

Louise Brooks vient alors de tourner le film Loulou, du grand réalisateur allemand Georg Wilhelm Pabst. Dans ce long-métrage, qui fit scandale lors de sa sortie en 1929, Louise Brooks incarne une jeune femme belle et innocente qui vit uniquement pour le plaisir, rendant fou de désir tous les hommes qu'elle croise.

Le film aborde sans fard la sexualité libre de son héroïne au fil de scènes terriblement explicites pour l'époque : c'est aussi dans Loulou qu'apparaît le premier personnage de lesbienne de l'histoire du cinéma, celui de la comtesse Anna Geschwitz – elle aussi amoureuse de la protagoniste.

Lorsqu'il sort en France, le film est pourtant accueilli assez froidement. Pour vous, dans sa critique du 25 avril 1929, ne se montre pas tendre quant à la prestation de Louise Brooks :

« C'est le tort le plus grave de ce film. On ne retrouve à aucun moment la Louise Brooks qui sut être la cynique et trop charmante plongeuse du cirque d’Anvers dans A girl in every port. Charmante, certes, elle le reste et il faut le regretter... Louise Brooks a des yeux d’enfant, ce qui pouvait admirablement convenir à son rôle d’être inconsciemment malfaisant. Mais quand paraît-elle malfaisante, cynique, implacable ?

À un moment donné – si terrible que soit une pareille affirmation – on aimerait l’entendre crier, lancer des injures, prononcer avec calme un réquisitoire révoltant, s'agiter... Elle plaît et joue agréablement, mais sans puissance. C'est un petit oiseau contre lequel on est tout étonné de voir se briser un Kœrtner vaincu par des maléfices plus théoriques que réels. »

C'est pourtant le jeu « naturel » de Louise Brooks, à mille lieues des séductions sophistiquées déployées par exemple à la même époque par une Dietrich, qui fait toute la réussite du film, encore pertinent près d'un siècle après sa sortie.

Juste après, la comédienne tourne un autre long-métrage sous la direction de Pabst, Le Journal d'une fille perdue (1929), avant d'enchaîner avec un troisième film européen, Prix de beauté d'Augusto Genina (1930), réalisé en France. Toute la presse parisienne vient assister au tournage. Le 4 octobre 1929, Excelsior persifle :

« Cette fois, invité à une prise de vue, j'ai contemplé une salle de restaurant à la mode, dont Gaston Jacquet était le roi et Jean Bradin le prince charmant. Louise Brooks, que j'avais vue taper au clavier d'une machine à écrire dans des scènes précédentes, était une rarissime élégance – elle avait eu un prix de beauté !...

Elle garde, cependant, un petit air pincé, un peu revêche, et semble vouloir trop dire : “Ici, c'est moi la vedette !” Certes, on le sait, et elle a quelques grâces garçonnières qui ne sont pas négligeables en ce temps où tant de filles veulent être garçons ! »

Car Louise Brooks en agace beaucoup. Dans sa vie privée, cette intellectuelle lectrice de Proust et Schopenhauer se montre imprévisible et farouchement indépendante, multipliant les liaisons éphémères avec d'autres stars de cinéma (dont Charlie Chaplin) ou avec des hommes richissimes qu'elle abandonne sitôt qu'ils déposent leur fortune à ses pieds...

Rebelle et anticonformiste, elle est l'absolue flapper, du nom alors donné aux États-Unis à ces jeunes femmes aux cheveux courts qui boivent, fument et font l'amour sans se soucier des conventions sociales. Dans sa vie professionnelle, même chose : elle refuse de se plier aux exigences des studios et n'en fait qu'à sa tête.

Alors que le cinéma se convertit au parlant, Louise Brooks, devenue mondialement célèbre (sa coiffure a lancé une nouvelle mode suivie de Los Angeles à Paris !), décline les propositions les unes après les autres. Les studios le lui feront payer : au cours des années 1930, elle ne tournera plus que dans des films mineurs, pour des cachets réduits.

Dès 1933, Pour vous écrit ainsi à son sujet :

« Une autre star dont on n’avait plus de nouvelles depuis longtemps, Louise Brooks, vient de se marier [...]. Louise, qui ne put jamais se rétablir en Amérique, après être allée en Allemagne, où elle fit des films avec Pabst, ne nourrit pas de projets de rentrée à l’écran. »

Sa carrière éphémère préfigure ainsi celles de centaines d'autres actrices hollywoodiennes, érigées en stars par les studios et les médias avant d'être cyniquement rejetées dans l'oubli après quelques films... Excelsior le note en 1937 dans un article étrangement visionnaire : « Le grand amour ne faisant plus recette, la Californie lance sur le marché un produit inédit : le sex-appeal, écrit le magazine. C'est une révolution qui va s'ensuivre dans le recrutement du personnel féminin. »

Le destin de Louise Brooks, désormais évoquée au passé, est étudié comme symptomatique de cette nouvelle tendance :

« Désormais – toute question de talent mise à part – on exigea des débutantes non seulement qu'elles fussent jolies, mais encore qu'elles eussent du “sex-appeal” [...]. Louise Brooks avait été danseuse chez Ziegfield, puis au Café de Paris à Londres […]. Qu'elle était jolie et séduisante ! Sa frange de cheveux noirs, son long regard sombre et chaleureux, ce sourire enfantin pour lequel on se serait damné... Elle paraissait promise aux succès les plus remarquables.

Or, Louise Brooks aimait beaucoup rire. Divorcée, elle affichait un beau mépris pour le cinéma et déclarait qu'elle n'allait jamais se voir à l'écran. Elle se moquait de la vie austère d'Hollywood, et traitait par-dessous la jambe les avertissements qu'elle recevait.

Un jour, elle ne trouva plus d'engagement à Hollywood et s'en vint en Europe : elle tourna en France Prix de beauté ; en Allemagne, les Trois pages d'un journal, de G. W. Pabst. Le film parlant l'obligea à retourner en Amérique, Elle n'avait pas trente ans, était plus jolie que jamais, mais les studios californiens ne voulaient plus d'elle. En 1931, les journaux américains parlèrent des ennuis qu elle avait avec ses créanciers...

Deux ans après, Louise Brooks se mariait à Chicago, et, aujourd'hui, elle n'est plus qu'une femme quelconque qui passe dans la rue, et dont personne ne croirait que les foules du monde entier l'ont adorée. »

En 1938, Louise Brooks, humiliée, se retire du show business. Elle a trente-deux ans. Après être retournée vivre dans la ville de son enfance, à Wichita, au Kansas, elle devient vendeuse à New York, puis call girl. Elle sombre un temps dans l'alcool, puis se reprend et devient journaliste à partir de 1942, écrivant pour quelques centaines de dollars par mois des articles sur le cinéma.

Sa carrière fulgurante à l'écran ne sera redécouverte que dans les années 50, notamment par Henri Langlois, le fondateur de la Cinémathèque, ce qui vaudra à Louise Brooks une première forme de réhabilitation. Elle mourra d'une crise cardiaque à New York, le 8 août 1985.

Trois ans auparavant, son autobiographie Lulu in Hollywood avait été un best-seller, plaçant définitivement l'actrice au panthéon des grandes comédiennes de l'entre-deux guerres, aux côtés de Marlene Dietrich ou de Greta Garbo.

Pour en savoir plus :

Louise Brooks, Lulu à Hollywood, Ed. Tallandier, 1983

Roland Jaccard, Portrait d'une flapper, PUF, 2007