Écho de presse

Bertha von Suttner, première femme prix Nobel de la paix

le 05/10/2023 par Michèle Pedinielli
le 21/04/2021 par Michèle Pedinielli - modifié le 05/10/2023
L'auteure pacifiste Bertha von Suttner et son roman phare, « Bas les armes ! » - source : WikiCommons

Lorsque le comité du Nobel attribue sa distinction à la baronne von Suttner en 1905, il récompense une vie entière vouée au désarmement mondial et au rapprochement des peuples.

Lorsque Bertha von Suttner devient la première femme récipiendaire du prix Nobel de la paix en 1905, la nouvelle n’émeut guère. Une simple brève salue l’événement, à l’image de La Cocarde.

« L’ouvrage “Bas les Armes !” couronné à Stockholm. 9 décembre. (Dépêche particulière).

— D’après le Dagens Nyheter, le prix de 200 000 fr  a été décerné à la baronne Bertha von Suttner. La baronne de Suttner est l’auteur de l’ouvrage intitulé Bas les Armes !, qui aurait, dit-on, influencé le tsar dans le lancement du manifeste qui a abouti à la création de la Cour d’arbitrage de La Haye. »

Rien ne prédisposait Bertha Sophie Felicitas comtesse Kinský von Chinic und Tettau à connaître pareil sort. Née en 1843 dans l’aristocratie militaire austro-hongroise, elle aurait pu passer sa jeunesse entre cours de piano et sorties mondaines, mais des revers de fortune familiaux la conduisent à prendre un emploi de gouvernante dans la famille Von Suttner.

La suite est romanesque : elle tombe amoureuse d’Arthur, le plus jeune des fils ; elle est éloignée de la famille pour éviter cette mésalliance, puis devient pendant quelque temps la secrétaire d’Alfred Nobel. Mais l’amour est le plus fort.

« À trente-trois ans, elle épousa le baron de Suttner, un peu plus jeune qu'elle ; et, comme leurs familles n'approuvaient pas cette union, ils partirent pour Tifflis, où, pendant dix années, ils s'exilèrent volontairement.

Ce fut une période d'étude et de labeur ; ils vécurent de leur plume, ayant été privés de leurs revenus par la rigueur paternelle. Le baron de Suttner édita une série de nouvelles caucasiennes, Mme de Suttner un récit sentimental, l'Inventaire d'une âme, qui fut suivi d'une quinzaine d'autres volumes composés dans le même goût.

Enfin, l'ostracisme qui pesait sur le ménage fut rapporté ; le baron et la baronne reconquirent leur fortune, avec la bienveillance de leurs proches. »

Journaliste et romancière, la baronne von Suttner devient aussi une militante pacifiste convaincue. En 1891, elle est élue vice-présidente du Bureau international de la paix fondé cette année-là à l’issue du 3e Congrès universel pour la paix.

En 1899, elle fait partie de l’organisation de la première conférence de La Haye, lancée à l’initiative du tsar Nicolas II, qui rassemble 27 pays et met l’accent sur le droit international humanitaire.

La même année paraît en France son roman Bas les armes ! (Die Waffen nieder !), publié dix ans auparavant en Allemagne, et qui connut un succès international.

« Cet ouvrage est célèbre ; il a été traduit dans toutes les langues de l'Europe et jusque dans ce dialecte romanche que parlent les montagnards de l'Engadine. On peut évaluer à cinq cent mille le nombre des exemplaires qui en ont été vendus. »

Ce roman, qui aborde la place des femmes en temps de paix et de guerre, convainc une grande partie de la critique française, à l’image du Matin.

« J’en suis fâché pour les restaurateurs littéraires du culte de la force brutale, mais il y a encore dans le monde contemporain des plumes dévouées à la cause du progrès pacifique, de la civilisation et de la justice, plumes excitant, par l'énergique affirmation de leur foi humanitaire, des admirations et des enthousiasmes sans nombre.

Bas les Armes ! est un de ces livres légendaires, comme l'humanité en possède trois ou quatre, véritable bible de cœur et de raison, écrite sous la forme d'un roman très select, très mondain, qui flétrit l'atrocité et l'ineptie des boucheries internationales, comme la Case de l'Oncle Tom, le livre immortel de Beecher Stowe, a flétri la barbarie de l’esclavage. »

Même l'exigeant Journal des annales politiques et littéraires lui reconnaît des qualités.

« Bas les Armes ! renferme un roman et une thèse ; et comme il arrive toujours en pareil cas, la thèse domine le roman et l'étouffe ; il n'est placé là, que pour la rendre plus saisissante.

Si j'osais risquer une comparaison malhonnête, j'avancerais que ce livre est une pilule où le roman représente le sucre, et la thèse le médicament. La pilule, somme toute, n'est pas désagréable à avaler. »

En 1905, le prix Nobel de la paix est la reconnaissance de son travail inlassable pour le désarmement et le rapprochement des peuples ; toutefois, cette distinction ne met pas un terme à son activisme. Elle continue inlassablement sa lutte pour la paix, contre le réarmement international et l’industrie des armes, notamment aux États-Unis.

En 1912, elle constitue avec Maurice Maeterlinck, Émile Verhaeren et d’autres un comité franco-allemand pour le rapprochement de ces deux peuples.

« Le comité, qui a pris le titre “Pour mieux se connaître”, se propose d'organiser des conférences : en France, par des conférenciers allemands ; en Allemagne par des conférenciers français ; d'organiser des représentations musicales, dramatiques, théâtrales ; des expositions de peinture, de sculpture, de mode, d'art industriel d'objets pratiques et d'usages courants ; de publier un bulletin mensuel enregistrant avec soin tout ce qui sera dit, imprimé, édité en France sur l'Allemagne, en Allemagne sur la France ; de répandre, populariser, vulgariser les œuvres de bonne foi, déjà publiées, soit en France, soit en Allemagne ; enfin, de créer, dès que les ressources le permettront, un journal qui reprendra le titre jadis cher a Henri Heine : France-Allemagne. »

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Bertha von Suttner meurt en 1914, quelques semaines avant le début de la grande boucherie de la Première Guerre mondiale, qu’elle avait pressentie. Comme pour son Nobel, une brève intitulée « Mort d’une pacifiste » annonce son décès en France.

Si son nom est peu connu aujourd’hui, son influence perdure néanmoins pendant de nombreuses années. Célébrée par les pacifistes de tous pays, elle est également haïe par les faiseurs de guerre.

En 1937, Le Droit de vivre rapporte sous le titre « Interdiction logique » que le Dr. Goebbels a proscrit une biographie de la baronne.

« Bertha von Suttner est la seule femme à laquelle le Prix Nobel de la Paix ait été décerné. Il n’en faut pas davantage pour que l’Allemagne hitlérienne la considère comme sa pire ennemie. Elle n’a point tort car, en effet, Bertha von Suttner et l’hitlérisme font deux. »

Même après sa mort, Bertha von Suttner dérangeait encore.