Écho de presse

« Au-delà de la peinture » : Max Ernst, du dadaïsme au surréalisme

le 25/07/2021 par Pierre Ancery
le 09/07/2021 par Pierre Ancery - modifié le 25/07/2021
Le peintre Max Ernst en 1968 - source WikiCommons

Touche-à-tout de génie, auteur inclassable de certaines des œuvres les plus originales de son temps, le peintre allemand Max Ernst (1891-1976) fut un acteur majeur des mouvements dadaïste et surréaliste.

Exposition à la BnF

L'Invention du surréalisme : des Champs Magnétiques à Nadja.

2020 marque le centenaire de la publication du recueill Les Champs magnétiques – « première œuvre purement surréaliste », dira plus tard André Breton. La BnF et la Bibliothèque littéraire Jacques-Doucet associent la richesse de leurs collections pour présenter la première grande exposition consacrée au surréalisme littéraire.

 

Découvrir l'exposition

Moins populaire qu’un Magritte ou qu’un Dali, peut-être parce qu’il n’a cessé de changer de style tout au long de sa vie, Max Ernst est pourtant l’un des grands peintres du surréalisme. Né à Brühl, en Allemagne, en 1891, il étudie d’abord la philosophie avant de se consacrer à l’art. Il rencontre les membres du Blaue Reiter et expose avec eux à Berlin en 1913. La même année, il rencontre Guillaume Apollinaire et part pour Paris.

Mais la Première Guerre mondiale l’envoie dans les rangs de l’armée allemande : il sert sur le front russe, puis en France. Comme pour tant d’autres artistes de cette génération, cette expérience traumatisante sera décisive dans son cheminement personnel. Après la guerre, Max Ernst rejoint le groupe Dada, un mouvement d'avant-garde en rupture totale avec les conventions de l'art d'alors.  Le 27 février 1920, Comoedia cite son nom parmi les artistes exclus par les cubistes de la Section d’Or : 

« Mercredi soir, au cours d'une réunion très violente, aux dires d'un témoin, les cubistes ont exclu de la Section d'Or les peintres et littérateurs dadaïstes [...].

Les raisons : les cubistes n'acceptaient pas les tendances trop avancées à leur gré des Dadaïstes [...]. Les Dadaïstes exclus sont : MM. Louis Aragon, Arp, Céline Arnauld, André Breton, Paul Dermée, Marcel Duchamp, Paul Eluard, Max Ernst, Francis Picabia, Georges Ribemont-Dessaignes, Philippe Soupault, Tristan Tzara. »

Expérimentant diverses techniques (collages, peintures, photomontages...), Max Ernst ne cesse de varier les matériaux, les angles d’approche, ce qui demeurera une constante dans l’ensemble de sa carrière. En 1920, il expose à Cologne des collages collectifs réalisés avec Jean Arp. Mais l’exposition fait scandale et est fermée par la police pour trouble à l’ordre public... De retour à Paris, Max Ernst va enthousiasmer le futur groupe surréaliste - sa nouvelle « famille » - avec son exposition à la galerie au Sans Pareil, au printemps 1921.

Comoedia relate l’événement et publie une célèbre photo prise devant la galerie, sur laquelle on reconnaît Philippe Soupault, André Breton et Jacques Rigaut. L’article, accompagné d’une œuvre de Ernst, est empreint de scepticisme :

« Décidément ces jeunes gens ne doutent de rien. Les œuvres du peintre Max Ernst devaient faire les frais de l'aventure. On nous avait dit qu'elles étaient à la peinture ce que le cinéma est à la photographie !  [...]

Ce sont, en l'espèce, des images (un petit nombre d'initiés prétendent leur trouver une grande saveur poétique) qui, pour être tout d'abord moins déconcertantes que des Picasso, sont pourtant inexplicables. A vrai dire, on reconnaît bien ici des formes humaines, des poissons, des figures scientifiques, là des chapeaux, mais l'intention de l'artiste échappe complètement. »

Toujours dans Comoedia, le peintre Jacques-Emile Blanche évoque l’exposition de « Herr Max Ernst » et cite la notice qu’André Breton a écrite à cette occasion :

« Dada ne se donne pas pour moderne. Il juge inutile, aussi, de se soumettre aux lois d'une perspective donnée. Sa nature le garde de s'attacher, si peu que ce soit, à la manière, comme de se laisser griser par les mots. »

Max Ernst va dès lors mener une carrière prolifique. En 1923, il expose au Salon des Indépendants. Parmi ses œuvres de l’époque : les oniriques L’Eléphant de Célèbes (1921) et Ubu Imperator (1923), ou la très provocatrice La Vierge corrigeant l’enfant Jésus devant trois témoins : André Breton, Paul Eluard et le peintre (1926), tableau marqué par la peinture métaphysique de Chirico, qui détourne la figure classique de la Madone à l’enfant. Une série de peintures qui vont imposer auprès du public la sensibilité très particulière de Max Ernst.

"L'Eléphant de Célèbes", peinture de Max Ernst, 1921 - source WikiCommons

En effet, quelques années après ses débuts intempestifs, il accède parallèlement à un début de reconnaissance auprès des critiques avisés. Dans l’entre-deux guerres, les articles qui lui sont consacrés sont légion. Lors d’une exposition parisienne en 1928, Le Journal des débats note ainsi :

« Je pense qu'une fois admises les "règles du jeu", on reconnaîtra que Max Ernst nous apporte, non pas un "frisson nouveau", mais une angoisse assez particulière et parfois un plaisir de qualité rare.

Les surréalistes ont tort de prétendre à la totale spontanéité. Les tableaux de Max Ernst sont d'une fantaisie très calculée, voulue. Mais il s'en dégage un charme troublant, et l'exposition de la galerie Van Leer nous a presque réconcilié avec l'œuvre d'un peintre qui, quoi qu'on dise, doit beaucoup à Picasso, plus encore à Giorgio de Chirico, et qui tente de suggérer l'inexprimable. »

Dans le journal L’Avenir, ce rédacteur s’interroge :

« L’exposition Max Ernst, à la Galerie Georges Bernheim, pose le problème qu'il faudra bien discuter un jour. La peinture peut-elle demeurer ce qu'elle a été ? Peut-on s’exprimer le pinceau à la main aujourd’hui comme au temps de Rubens ?

Il nous paraît certain que la peinture comme la conçoit Max Ernst, comme la conçoivent d’autres, Miro, par exemple, est bien plus près de notre époque, de l'architecture de nos maisons, de la vie que nous menons, que celle de peintres que, personnellement, nous aimons bien davantage. »

Pour l’ex-dadaïste Georges Ribemont-Dessaignes, qui consacre à Ernst un article dans la revue littéraire Les Cahiers du Sud, « la peinture surréaliste n’existerait pas sans lui ».

« Nous voici dans un univers qui procède du nôtre pour l’espace, mais le dieu de la machine n’est pas le même [...].

Les peintres, s’ils le veulent, sont les plus sûrs propagandistes du métaphysique. Si j’étais usurpateur parmi les divinités de quelque ordre qu’elles soient, j’utiliserais les services d’un peintre. Nul doute qu’en premier lieu je choisisse Max Ernst. »

En 1929, Ernst publie un livre-collage d’une fascinante inventivité, La femme 100 têtes, conçu à partir de gravures tirées de revues scientifiques et de romans populaires de la fin du XIXe siècle. Deux autres ouvrages reposant sur le même concept suivront : Rêve d'une petite fille qui voulut entrer au Carmel et Une semaine de bonté.

Planche extraite de "La femme 100 têtes" de Max Ernst, 1929 - source Gallica BnF

En 1934, il commence à sculpter, avec des œuvres comme Jeune femme en forme de fleur. Son ami le poète Paul Eluard lui rend hommage dans les colonnes de Marianne en 1937, dans un article titré « Au-delà de la peinture » (nom d'un texte de Max Ernst publié en 1936) :

« A travers ses collages, ses frottages, ses tableaux, s'exerce sans cesse la volonté de confondre formes, événements, couleurs, sensations, sentiments, le futile et le grave, le fugitif et le permanent, l'ancien et le nouveau, la contemplation et l'action, les hommes et les objets, le temps et la durée, l'élément et le tout, nuits, rêves et lumière.

Marx Ernst s'est mêlé, s'est identifié a ce qu'il nous montre. En portant sa vue au-delà de cette réalité insensible à laquelle on voudrait que nous nous résignions, il nous fait entrer de plain-pied dans un monde où nous consentons à tout, où rien n'est incompréhensible. »

En France lorsque la Seconde Guerre mondiale éclate, il parvient à quitter le pays et s’exile aux États-Unis en 1941. L’occasion pour lui de poser les bases de l’expressionnisme abstrait (expérimentant la technique du dripping qui consiste laisser couler de la peinture sur une toile à partir d’un récipient troué, il influencera directement l’Américain Jackson Pollock). En 1950, de retour en France, le peintre de 59 ans fait l’objet d’articles parus par exemple dans Combat, qui le célèbrent dès lors comme un maître.

La même année, Le Mercure de France reproduit une interview de lui, publiée précédemment dans Paru :

« - On vous a souvent accusé de ne pas accorder à la technique picturale proprement dite, à la "plastique", au métier, une attention ou un goût suffisants. Qu’en pensez-vous?

Max Ernst. - Je m’en fous éperdument. On a toujours reproché cela à tous les novateurs. On a dit de Courbet, ce n’est pas de la peinture, c’est du socialisme ; de Seurat, ce n’est pas de la peinture, ce sont des mathématiques, il a fallu du temps pour qu’on s’aperçoive que c’était quand même de la peinture. Il en va de même pour les poètes. Rien de plus malléable que le sens esthétique, ce qui est nouveau parait toujours laid. Il le reste parfois. Parfois après vingt ou trente ans, il devient tolérable, et beau après. Cinquante. Voyez l’histoire des Impressionnistes [...].

- Vous aviez d’ailleurs fait le procès de la peinture, jadis, entre autres arts?

Max Ernst. - En effet, mais il faut compter avec l’ambiance des attitudes. L’attitude antipoétique révèle souvent davantage un vrai poète qu’une conduite plus conformiste. Une peinture antipicturale n’est-elle pas celle qui cherche à opposer une peinture nouvelle en formation à une formule périmée qui doit être dépassée ? »

Max Ernst accepte en 1954 le Grand Prix de la Biennale de Venise...  ce qui lui vaut d’être exclu du mouvement surréaliste. Dans les années 1960 et 1970, de nombreuses expositions lui seront consacrées à travers le monde. Il meurt en 1976, à Paris, à l’âge de 84 ans.

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Pour en savoir plus :

Werner Spies, Max Ernst, vie et œuvre, Éditions du Centre Pompidou, 2007

Max Ernst, Une semaine de bonté, les collages originaux, Gallimard, 2009