Richard Dadd, peintre parricide et génial
En 1843, le jeune peintre anglais Richard Dadd assassine son père. Après une courte cavale, il est arrêté en France où il est reconnu dément. Renvoyé, il purgera sa peine dans des hôpitaux psychiatriques anglais en continuant à peindre.
C’est un fait divers sordide qui fait connaître au public français l’existence de Richard Dadd, peintre préraphaélite anglais, jeune homme de 26 ans tout aussi doué que tourmenté.
Le 29 aout 1843, on retrouve le cadavre de son père, Charles Dadd, égorgé dans une allée du manoir de Cobham, dans le Kent.
« Un crime affreux vient d’attrister les environs de Londres.
M. Richard Dadd, jeune peintre d’un talent distingué, fils de M. Charles Dadd, ancien chimiste, qui s’est acquis quelque célébrité par l’invention d’une nouvelle couleur à l’huile, vint la semaine dernière prendre son père à Londres pour l’amener au manoir de Cobham, dont le propriétaire, lord Daenley, lui donnait le logement.
Le lendemain on trouva, non loin de l’avenue conduisant au manoir, un cadavre dont la gorge était profondément ouverte et le visage tout meurtri : c’était celui de M. Charles Dadd ; son fils avait disparu.
On suppose qu’il aura commis ce crime dans un accès de folie auquel il était sujet, et qu’il se sera noyé dans une rivière ou dans un étang du voisinage. »
Richard Dadd est en effet sujet à des troubles mentaux. L’année précédente, il a été diagnostiqué « non compos menti », c’est-à-dire pas sain d’esprit, par le docteur Sutherland du St Luke’s Hospital après avoir souffert d’hallucinations paranoïaques et avoir déclaré qu’il était « élu par des puissances divines pour chasser le démon ».
« Le docteur Sutherland qui a été consulté, a déclaré que Richard Dadd lui paraissait atteint d’aliénation mentale : il conseillait de le surveiller.
Son père, qui avait été pharmacien, ne fit que peu d’attention à ce conseil ; il disait que d’ailleurs tout ce que son fils désirait c’était le calme et l’isolement, et qu’il l’emmènerait à la campagne où, sans aucun doute, Richard recouvrerait la santé. »
De fait la santé mentale de Richard Dadd ne s’est pas amélioré, puisque l’enquête établit avec certitude qu’il vient de tuer son père et de s’enfuir. La presse tente de reconstituer son itinéraire.
« Richard Dadd, fils de la victime, après avoir commis le parricide, se dirigea vers Rochester, où il prit une chaise de poste et partit pour Douvres, où il arriva mardi dernier, à quatre heures du matin. Il descendit au Ship Hôtel (l’hôtel du Vaisseau).
Ses vêtements étaient en désordre et il annonça aux personnes qui l’observaient, qu’il était tombé de voiture. […] À peine arrivé, il fit prix avec un bateau pêcheur pour le transporter à Calais. […]
À Calais, il se hâta d’acheter des vêtements neufs. Il laissa ceux qu’il sortait, en arrivant à Douvres, dans l’auberge où il était descendu à Calais ; et quand on les examina après son départ, on reconnut qu’ils portaient des taches de sang.
On supposait que le meurtrier avait pris la route de Dieppe. »
Les autorités françaises recherchent alors Richard Dadd dans toutes les directions. C’est à Montereau, dans l’actuel département de la Seine-et-Marne, qu’il sera arrêté après avoir agressé le passager de la diligence dans lequel il voyageait.
« Il était placé sur l’impériale de la diligence à côté d’un jeune Anglais dont les regards lui parurent égarés, et qui s’amusait depuis plus d’un grand quart d’heure à lui baisser sa cravate et le col de sa chemise.
Ce singulier manège impatientait le voyageur, qui pria son voisin de cesser ; celui-ci tira alors de sa poche un excellent rasoir anglais, et se mit en mesure de couper la gorge au malheureux Français qui, malgré une assez vigoureuse défense, reçut quatre entailles assez profondes.
Malgré ses blessures, il parvint à se rendre maître du jeune homme, dont la folie paraît consister dans la manie de couper la gorge ; car, conduit devant le juge de paix de Montereau, il déclara très tranquillement se nommer Richard Dadd, arrivé tout récemment d’Angleterre, où il avait assassiné son père en lui coupant la gorge.
On le déposa à la maison de Melun. Mais ce qui paraîtra plus étonnant encore dans cette étrange histoire, c’est qu’à peine arrêté, Richard Dadd s’empressa de donner ce qu’il avait sur lui pour faire soigner sa victime. »
L’enquête en France confirme l’état d’aliénation mentale de Dadd, persuadé que le meurtre de son père était d’inspiration divine.
« II résulte de l’enquête à laquelle la justice s’est livrée, que ce jeune homme se dit le fils, l’envoyé de Dieu, pour exterminer les hommes les plus possédés du démon.
Il raconte avec le plus grand sang-froid que, dans le parc du manoir de lord D..., il fut pris, étant avec celui que l'on dit être son père, d’une inspiration divine qui lui commanda de l’immoler. »
Il est interné à l’asile de Clermont (à Fontainebleau) jusqu’en juillet 1844, puis, en vertu de la nouvelle loi d’extradition, est renvoyé en Angleterre.
Il y est reconnu coupable du meurtre de son père et condamné à la perpétuité.
Il s’apprête à passer vingt ans dans la section criminelle de l’hôpital psychiatrique de l’hôpital royal de Bethlem. Ses docteurs l’encouragent à peindre et c’est là qu’il réalisera ses toiles les plus célèbres, dont le portrait du psychiatre Sir Alexander Morison en 1852, puis de 1855 à 1864, le tableau qui est considéré comme son chef-d’œuvre : The Fairy Fellers' Master-Stroke.
Richard Dadd mourra le 7 janvier 1886 à l’hôpital de Broadmoor, à Londres.