Mela Muter, bien que naturalisée Française en 1927, conservera toute sa vie des attaches avec la Pologne. Elle apparaît dans les articles des revues polonaises éditées en France, aux côtés de l’artiste Olga Boznanska. Dans l’article du critique d’art André Salmon publié dans Mobilier et Décoration en janvier 1932, présentée comme Polonaise d’origine et Française d’adoption, elle déclare :
« Paris m’a donné tous les éléments qui m’ont constituée. J’y ai même retrouvé mon “slavisme”, que j’aurais sans doute ignoré en Pologne, et qu’on se plaît à reconnaître dans mes toiles. »
Elle propose alors une vision d’un Paris, capitale culturelle et cosmopolite du monde, contribuant à « fondre et fortifier toutes les matières premières brutes, quelquefois disparates, qu’on apporte dans ses bagages, et à en faire une sorte de métal solide et poli. Car aucune ville au monde n’est aussi brûlante et avec autant de tact et de mesure. »
On retrouve dans ses propos ce qui pourrait être une définition des artistes de l’École de Paris, qui participent au rayonnement de la « ville Lumière » telle que la proposent des critiques comme André Salmon ou comme celui qui a officialisé le terme en 1925 : André Warnod (Comœdia, 27 janvier).
Mais en tant que Polonaise, Mela Muter fait aussi partie des artistes qui vont subir le rejet de critiques xénophobes, qui refusent ces artistes étrangers exilés en France, et parlent volontiers de « décadence » de la peinture française. C’était déjà le cas d’un article de Jean Drault dans La Libre parole du célèbre antisémite Édouard Drumont daté du 4 octobre 1912, sur le Salon d’automne.
Dans les années vingt, des critiques dont la xénophobie s’accompagne d’un antisémitisme virulent, appellent à la dissolution pure et simple de l’École de Paris, au profit d’une école purement française. Fritz-René Vanderpyl (1876-1965), dans le monarchiste Mercure de France du 15 juillet 1925, proteste ainsi contre le « foisonnement » des « peintres israélites » dans les Salons d’après-guerre… Mela Muter n’est pas citée par le journaliste antisémite, mais elle l’est dans la réponse proposée dans le numéro suivant par le philosophe Adolphe Basler :
« Kisling, Mondzain, que d’autres artistes judéo-polonais, comme Zak, Kramstyck, Mme Muter, ne montrent de particularités particulièrement ethniques dans leurs œuvres.
C’est Paris qui les forma tous et tous font une peinture qui est celle d’une époque et non d’une race déterminée. »
Si l’on en croit les critiques du journal d’extrême droite L’Action française, l’artiste ne semble pas subir nominalement ces attaques contre les peintres juifs et étrangers, qui vont comme on le sait se multiplier au cours des années trente.
Cependant du fait de ses origines juive et polonaise, et sans doute aussi parce qu’elle est communiste – bien que naturalisée et convertie – Mela Muter décide prudemment de quitter Paris pour gagner Avignon pendant la période d’Occupation. Le retour est difficile. En 1934, du fait de la crise, elle avait dû louer son atelier de la rue de Vaugirard. Or, le jeune artiste français Jean Dubuffet qui l'occupe au sortir de la guerre, et dont l’antisémitisme est aujourd’hui avéré, refuse de lui rendre à la Libération. Il veut lui acheter, mais Mela a le projet d’en faire une maison d’accueil pour l’association SOS Village d’enfants, à qui elle lèguera toute sa fortune à sa mort. L’artiste se réfugie alors dans un fond de cour minable au 40 de la rue Pascal.
Fidèle à son style figuratif, elle est alors moins appréciée qu’avant la guerre ; aussi, elle perd peu à peu la vue. C’est le fils d’un ami peintre polonais, diplomate polonais en France qui va l’aider : elle pourra ainsi se faire opérer en 1965, et à nouveau exposer, comme lors d’une rétrospective organisée en 1966, quelques mois avant son décès, où la France semblait la découvrir à nouveau.
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Pour en savoir plus :
Ewa Bobrowska, « La présence des artistes polonais en France – État des lieux de la recherche », in : Ligeia, 2009/2 (N° 93-96), p. 67-76
Ewa Bobrowska, « Un portrait des “Années folles”. Mela Muter et la scène internationale à Paris », in : Mela Muter. Peinture, catalogue d'œuvres du musée universitaire de Torun, Torun, 2010, p. 13-17
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Rachel Mazuy est historienne, chargée de conférences à Science Po et chercheure associée à l’Institut d’histoire du temps présent. Elle travaille notamment sur l’histoire du mouvement ouvrier et ses liens avec celle de la Russie soviétique. Elle est également co-commissaire de l'exposition André Claudot La couleur et le siècle au musée des Beaux-Arts de Dijon (25 juin - 20 septembre 2021).