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Robin des Bois, héros du grand écran au premier XXe siècle

le par - modifié le 10/01/2023
le par - modifié le 10/01/2023

Durant l’entre-deux-guerres, le cinéma américain popularise la figure de Robin de Bois auprès du grand public français : d’abord en tant que personnage libre et badin, puis dans un registre ouvertement plus politique en plein New Deal des années 1930.

Au sortir de la Grande Guerre, Robin des Bois n’est pas complètement inconnu du grand public en France. Augustin Thierry, comme on l’a vu dans un précédent article, en a fait un héros de la cause libérale durant les années 1820. Plus tard, Alexandre Dumas s’intéresse lui aussi à l’archer rebelle et lui consacre deux ouvrages, Le Prince des voleurs (1872) et Robin Hood le proscrit (1873). Mais ceux-ci paraissent de manière posthume et sont en réalité des traductions de romans anglais signés Pierce Egan le Jeune.

En fait, ce n’est que bien plus tard que Robin va devenir un héros populaire en France. Une recherche des fréquences de termes montre bien que l’explosion des références au bandit de Sherwood date de l’entre-deux guerre et spécifiquement pendant les années 1923 (1 441 pages citant « Robin des Bois ») et 1939 (2 140 pages) durant lesquelles sortent deux films dont il est le héros : le premier, muet, avec Douglas Fairbanks dans le rôle-titre, et le second avec Errol Flynn.

La version de 1922 arrive à un moment où le cinéma américain s’impose peu à peu en Europe. Véritable superproduction, Il est l’occasion de montrer l’extraordinaire puissance de la machine à rêves hollywoodienne. Toutefois, de prime abord, il est assez déroutant.

Long de plus de deux heures, une bonne moitié du long-métrage décrit les pérégrinations de Robin des Bois avant qu’il ne devienne un hors-la-loi. D’abord connu comme le « comte de Huntingdon », noble chevalier engagé au côté du roi Richard Cœur-de-Lion dans la croisade, il finit par quitter l’expédition alors qu’elle n’est encore qu’en France – s’attirant l’ire de son souverain – car il apprend que l’Angleterre est sous la coupe de l’affreux Prince Jean. Ce n’est qu’une fois revenu dans son pays natal qu’il délaisse la lourde cotte de mailles des chevaliers pour revêtir la tenue légère du bandit forestier et prendre la tête des joyeux rebelles de Sherwood. Avec eux, il va, virevoltant, multipliant les cascades, combattre l’usurpateur et finir par le renverser.

Si la première partie du film met en scène une société de cour dominée par les préparatifs de la guerre, la seconde, par contraste, semble être un gigantesque carnaval dépeignant une classe populaire joyeuse, vivant dans la forêt et ne se battant en fin de compte que pour mettre fin à une tyrannie. Ces deux moitiés bien distinctes évoquent l’évolution de la société américaine – et plus largement occidentale – entre les années 1910 et 1920. Après les années de guerre, suivies par la terrible pandémie de « grippe espagnole », les nations industrialisées, marquées par la mort de millions d’hommes et de femmes, demandent à se divertir et à rêver.

Et c’est justement ce qu’est prête à lui fournir l’Amérique des « roaring twenties » (les « rugissantes années vingt ») et sa culture populaire où se mêlent le jazz et le cinéma. Ainsi, le comte de Huntingdon, compagnon guindé de Richard partant pour la croisade évoquant immanquablement le soldat s’embarquant pour le front de la Grande Guerre (qui était d’ailleurs souvent comparée à une nouvelle croisade) fait place à un Robin des Bois bondissant, presque enfantin, qui s’amuse à jouer de mauvais tour avec ses compagnons – on pourrait même dire ses copains – aux vilains adultes que sont le Prince Jean et ses sbires.

C’est peu ou prou ce qu’explique Douglas Fairbanks (qui, en plus de jouer le rôle titre, écrit et produit le film) dans une interview rapportée par Le Petit Provençal le 13 septembre 1923, lorsqu’il affirme que le but le son son long-métrage est : « de garder le charme des vieilles légendes qui enchantèrent notre enfance ».

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Son film est en effet surtout un prétexte pour mettre en scène un Moyen Âge idéalisé, destiné à offrir au public un instant de dépaysement. Ainsi, le début du long-métrage annonce, dans deux cartons :

« Les châteaux majestueux dont les tours perçaient le ciel ont laissé des souvenirs impérissables. Bien que la tempête des siècles a laissé en ruine les œuvres des temps anciens, leur esprit plane sur nous et les poètes ressuscitent l’âge de la chevalerie. »

S’ensuivent deux images, l’une d’un château en ruines – sans doute inspiré par Château-Gaillard qui a déjà servi de décor au film Judex – qui, soudain enveloppé dans la brune, semble renaître de ces cendres et réapparaître aussi resplendissant qu’au premier jour.

Extraits tirés de Robin des Bois, Douglas Fairbanks, 1922
Extraits tirés de Robin des Bois, Douglas Fairbanks, 1922

Voilà le public prévenu. Le film de Fairbanks se propose, comme les poètes, de faire revivre un Moyen Âge fantasmé, un Moyen Âge qui semble tout droit sortir des brumes de nos rêves. L’acteur-producteur s’en donne d’ailleurs les moyens en construisant une immense forteresse pour servir de décor à son long-métrage. Cette bâtisse devient vite un argument de promotion du film. Je sais tout, le 15 février 1923, en montre des photos pleine page avant de faire l’inventaire des matériaux et de la main-d’œuvre qu’il a nécessitée :

« Cinq cents ouvriers charpentiers et maçons ont travaillé pendant deux mois à édifier le colossal décor. Deux cents ouvriers étaient encore occupés à fabriquer les moules figurant les pierres du château.

Dans ces moules fut coulé du plâtre mêlé à des fibres de bois et des barres de fer. Rien que pour la façade du château, on dut employer 225 000 kilos de plâtre, 25 400 kilos de fibres de bois, 1 500 sacs de ciment. »

Puis l’article s’extasie des mensurations de la bâtisse et de la rapidité avec laquelle elle a été construite.

« Une fois terminée – ce travail de géants ne demanda que deux mois, – la façade du château se développa sur une longueur de 207 mètres. Huit tours massives hautes de 40 mètres l’encadraient majestueusement et un fossé large de 10 mètres ceinturait tout l’édifice. »

On retrouve là des thèmes déjà employé pour décrire les gratte-ciels (qui peuvent par ailleurs être comparé à des châteaux de l’ère industrielle, comme ici par André Maurois) Car le film de Fairbanks ne propose pas seulement de rêver du Moyen Âge. Il est aussi une vitrine du rêve américain, un rêve moderne capable de créer en l’espace de deux mois un décor de tournage propre à stupéfaire. Un décor qui sert également de scène aux exploits de l’acteur américain, à la fois athlète et comédien, qui dans la seconde partie du film, vêtu de son costume de Robin des Bois, s’en donne à cœur joie, comme l’explique Comoedia du 23 février 1923 :

« [Fairbanks] a fait de ce film une véritable attraction constante pour les yeux.

Il y dépense sa souplesse et sa facilité inouïe d’apparaître, en moins de quelques secondes, au sommet d’un escalier, perché sur une fenêtre, courant dans un chemin de ronde, escaladant une muraille, tombant à l’improviste sur le dos d’un ennemi, s’échappant des mains de plusieurs guerriers et s’asseyant enfin, calme, apaisé, satisfait, sur les marches du trône royal. »

Fairbanks incarne ici le héros américain moderne par excellence. Au début du film, son personnage semble pris dans le carcan d’une société européenne et victorienne guindée. Certains plans évoquent même les peintures anglaises médiévalistes d’Edmund Leighton magnifiant la noblesse médiévale britannique, comme God Speed ! (1900), The Accolade (1901) ou encore The Shadow (1908) où une jeune damoiselle dessine sur un mur les traits de la silhouette d’un chevalier, scène reproduite à l’identique dans le film.

Le tableau The Shadow (1908) et la scène rejouée dans le film Robin des Bois, 1922
Le tableau The Shadow (1908) et la scène rejouée dans le film Robin des Bois, 1922

Mais Fairbanks se libère de tout cela dans la seconde moitié de son long-métrage. Délaissant sa lourde armure, il se fait léger, à l’image d’une Amérique qui, dépassant l’Europe qui lui avait jusque là servi de modèle, devenait de plus en plus sûre d’elle et affirmait sa primauté sur le monde. Désormais, à l’instar de Fairbanks et de Robin, c’est elle qui donne le tempo culturel au globe.

Et celui-ci est entraînant et rapide, aussi rapide que celui du jazz et des chantiers de construction des gratte-ciels, un tempo qui fascine un vieux continent estropié par la Grande Guerre, et qui suscite également en son sein des jalousies. Le Miracle des loups, film médiévaliste français de 1924, est ainsi pensé notamment comme une réponse au long-métrage de Fairbanks.

Tout occupé à émerveiller son public, Fairbanks n’insiste pas sur l’aspect politique de la légende de Robin des Bois. À la différence des auteurs anglais du XIXe siècle ou d’Augustin Thierry, il ne centre pas son aventure de l’archer de Sherwood sur le conflit entre « Saxons » et « Normands » et insiste peu sur le côté social de la geste de Robin. Certes, les pauvres prennent le parti de Richard et les riches celui de l’usurpateur Jean. Mais cette opposition semble là encore renvoyer à celle entre l’Europe et l’Amérique, entre un continent toujours coincé dans des structures de l’Ancien régime, et une Amérique populaire entrée de plain-pied dans la modernité.

Il faut attendre les années 1930, marquées par la crise économique mondiale et par la montée du fascisme, pour que les films évoquant, de près ou de loin l’archer de Sherwood reprennent une dimension ouvertement politique.

Tout d’abord, en 1936, sort le long-métrage Robin des Bois d’El Dorado mettant en scène la vie de Joaquin Murrieta, un bandit social américano-mexicain du XIXe siècle dont les exploits semi-légendaires auraient inspiré le personnage de Zorro (créé en 1919). L’intérêt de ce long-métrage réside notamment dans le fait que, dès sa sortie, il a été comparé au film Viva Villa ! (1934) mettant en scène une vision romancée de la vie de Pancho Villa. La Dépêche du 25 septembre 1936 y retrouve « les plus beaux morceaux de Viva Villa ». Se répète ainsi, en pleine période troublée, l’habitude déjà présente chez Augustin Thierry et les libéraux des années 1820 de tracer un parallèle entre Robin des Bois et des révolutionnaires contemporains.

Puis fin 1938 sort sur les écrans français Les Aventures de Robin des Bois de Michael Curtiz et William Keighley, avec Errol Flynn dans le rôle-titre. Le film, parlant et en Technicolor, rencontre un succès énorme. En décembre 1938, Pour vous lui consacre sa quatrième de couverture. Paris-Soir, alors le quotidien le plus lu de France, l’adapte chaque samedi en roman-photo.

Il est vrai que le film a de quoi plaire dans un pays plongé dans le marasme économique et la crante de la guerre. Comme dans la version Fairbanks, le long-métrage se construit autour d’un héros virevoltant, souriant et positif qui incarne une Amérique sûre d’elle, malgré la crise. Mais s’y ajoute cette fois un aspect bien plus engagé. Car les richesses produites par le capitalisme débridé des années 1920 ont créé de telles inégalités qu’elles ont poussé l’Amérique à partir de la présidence de Franklin D. Roosevelt à impulser d’immenses réformes sociales. Regroupées dans le « New Deal », celles-ci trouvent leur écho dans le film de Curtiz et de Keighley.

Ainsi, l’opposition entre Normands et Saxons revient sur le devant de la scène et sert désormais clairement de métaphore à un conflit entre un peuple opprimé par son aristocratie, comme cela était le cas dans les écrits de Walter Scott et d’Augustin Thierry. Après l’avoir amené dans son camp, Robin des Bois entraîne ainsi Lady Marianne devant une foule de pauvres qu’il a sauvés et qu’il nourrit, et lui explique :

« Ces pauvres hères ont vu leurs foyers saccagés ou brûlés, leurs enfants et leur famille affamés, torturés par vos collecteurs d’impôts.

Hier encore, ces pauvres gens vivaient heureux dans leurs chaumières. De simples villageois sans méchanceté ni hargne. Maintenant, torturés, les yeux crevés, la langue tranchée, les oreilles arrachées, ils viennent me demander protection contre vos amis normands. »

Robin évoque là clairement une figure rooseveltienne. Issu de l’aristocratie (le président des États-Unis était un membre éminent d’une des plus vieilles familles de l’élite new-yorkaise), il n’en est pas moins préoccupé par l’injustice sociale et vient en aide aux plus démunis en les logeant et en les nourrissant. Ces pauvres, filmés en caméra subjective comme s’il s’agissait d’un reportage ou d’un documentaire renvoient aussi à ceux qui bénéficient alors des habitations à bas coût construit aux États-Unis grâce aux programmes d’assistance du New Deal.

Cet aspect social n’échappe pas à la critique de l’époque. Regards, proche du PCF, prends certes ses distances pour le film, mais ne peut s’empêcher d’écrire :

« Malgré tout, on se laisse entraîner au rythme de cette belle histoire d’un héroïque vengeur des misères du peuple en lutte contre les féodaux et leur sanglante domination. Thème qui n’est pas sans actualité et qui nous fait aimer ce gigantesque album d’Épinal aux couleurs vives, aux beaux décors, aux péripéties mouvementées. »

Si cette version de Robin des Bois semble s’inscrire de prime abord dans la tradition des visions contestataires du brigand de Sherwood, il s’en démarque aussi. Certes, nous l’avons dit, il évoque plus d’une fois la lutte entre Normands et Saxons. Mais plus question, à une époque où triomphent le nazisme et l’antisémitisme, de parler, comme le faisait Augustin Thierry, de faire de cette opposition un conflit entre deux races. Peu après la scène décrite plus haut, un dialogue entre Lady Marianne et l’archer révolté permet ainsi d’enlever toute ambiguïté à ce sujet :

« Marianne : De votre côté, vous tuez des Normands.

Robin : Oui, ceux qui l’ont mérité, ceux qui sont cruels et injustes. 

Marianne : Vous êtes étrange, vraiment !

Robin : Étrange ? Parce que je sympathise avec les malheureux et les opprimés ?

Marianne : Non, ce qui est étrange, c’est que vous vous insurgiez contre cet état de choses. […] Vous protégez même des Normands ! 

Robin : Normand ou Saxon, quelle importance ? C’est l’injustice que je hais et non les Normands ! »

Voilà donc Robin des Bois promouvant ouvertement l’amitié entre les peuples et affirmant que son combat est surtout social, voire antifasciste. L’insistance sur les sévices infligés par la soldatesque du Prince Jean n’est ainsi pas sans rappeler ceux pratiqués par les SA nazis comme les chemises noires mussoliniennes. Et les réfugiés qu’accueille Robin évoquent aussi les Juifs fuyant le régime hitlérien.

C’est d’ailleurs à l’un d’eux, Erich Wolfgang Korngold, qui compose la bande originale du film, qui remportera un oscar. Il le fait sans doute avec la bénédiction de Jack Warner, patron des studios produisant le long-métrage, non seulement partisan du New Deal mais aussi ferme opposant au nazisme, notamment depuis 1934, année où sa firme arrête toutes ses opérations dans le IIIe Reich.

La présence même d’Errol Flynn à l’affiche du film renforce l’idée que ce Robin des Bois est avant tout une œuvre qui appelle à combattre sans merci l’extrême droite. Un an avant le tournage de ce long-métrage, l’acteur était en effet allé en Espagne Espagne en pleine guerre civile et y avait sympathisé avec le camp républicain, comme il l’explique lui-même dans Paris-soir le 8 avril 1937 :

« Je voulais me rendre là-bas où des hommes se battaient. Bien que je ne fasse point de politique et me défende d’en faire, je sentais qu’il y avait là-bas des hommes qui croyaient en quelque chose de très grand, ce à quoi nous ne sommes plus très habitués, et y croyaient au point de sacrifier leur vie. […]

Je fus présenté au ministre Miravitlès […]. Je prépare un reportage pour de grands magazines américains. Surtout, je veux, dès arrivé à Hollywood, entreprendre la réalisation d’un film. Il s’intitulera ‘International Brigade’ et témoignera de l’horreur et de la grandeur des choses d’Espagne.

Je suis Irlandais, peut-être est-ce pour cela que les combattants sont mes frères lorsqu’ils luttent pour un idéal ! »

Œuvre politique autant que spectacle populaire, le film de Curtiz et de Keighley marque toute une génération et ancre à nouveau Robin dans l’imaginaire progressiste. Après guerre, l’archer de Sherwood deviendra une figure de plus en plus utilisée par la gauche, notamment pendant le Maccarthysme. Mais c’est une autre histoire.

Pour en savoir plus :

François Amy de la Bretèque, La légende de Robin des Bois, Toulouse, Privat, 2001

Michael E. Birdwell, Celluloid Soldiers. The Warner Bros. Campaign Against Nazism, 1934–1941, New York, NYU Press ,1999

Jonathan Fruoco, Les faits et gestes de Robin des Bois : poèmes, ballades et saynètes, Grenoble, UGA éditions, 2017

Ina Rae Hark, « The Visual Politics of The Adventures of Robin Hood. » in: Journal of Popular Film 5, no° 1, 1976, p. 3–17

Kevin J. Harty, « Robin Hood on Film : Moving Beyond a Swashbuckling Stereotype », in Thomas Hahn (dir.), Robin Hood in Popular Culture. Violence, Transgression, and Justice, Cambridge, D. S. Brewer, 2000, p. 87-100

Stephen Knight, Robin Hood : a mythic biography, Ithaca, Cornell University Press, 2003