Il est vrai que le film a de quoi plaire dans un pays plongé dans le marasme économique et la crante de la guerre. Comme dans la version Fairbanks, le long-métrage se construit autour d’un héros virevoltant, souriant et positif qui incarne une Amérique sûre d’elle, malgré la crise. Mais s’y ajoute cette fois un aspect bien plus engagé. Car les richesses produites par le capitalisme débridé des années 1920 ont créé de telles inégalités qu’elles ont poussé l’Amérique à partir de la présidence de Franklin D. Roosevelt à impulser d’immenses réformes sociales. Regroupées dans le « New Deal », celles-ci trouvent leur écho dans le film de Curtiz et de Keighley.
Ainsi, l’opposition entre Normands et Saxons revient sur le devant de la scène et sert désormais clairement de métaphore à un conflit entre un peuple opprimé par son aristocratie, comme cela était le cas dans les écrits de Walter Scott et d’Augustin Thierry. Après l’avoir amené dans son camp, Robin des Bois entraîne ainsi Lady Marianne devant une foule de pauvres qu’il a sauvés et qu’il nourrit, et lui explique :
« Ces pauvres hères ont vu leurs foyers saccagés ou brûlés, leurs enfants et leur famille affamés, torturés par vos collecteurs d’impôts.
Hier encore, ces pauvres gens vivaient heureux dans leurs chaumières. De simples villageois sans méchanceté ni hargne. Maintenant, torturés, les yeux crevés, la langue tranchée, les oreilles arrachées, ils viennent me demander protection contre vos amis normands. »
Robin évoque là clairement une figure rooseveltienne. Issu de l’aristocratie (le président des États-Unis était un membre éminent d’une des plus vieilles familles de l’élite new-yorkaise), il n’en est pas moins préoccupé par l’injustice sociale et vient en aide aux plus démunis en les logeant et en les nourrissant. Ces pauvres, filmés en caméra subjective comme s’il s’agissait d’un reportage ou d’un documentaire renvoient aussi à ceux qui bénéficient alors des habitations à bas coût construit aux États-Unis grâce aux programmes d’assistance du New Deal.
Cet aspect social n’échappe pas à la critique de l’époque. Regards, proche du PCF, prends certes ses distances pour le film, mais ne peut s’empêcher d’écrire :
« Malgré tout, on se laisse entraîner au rythme de cette belle histoire d’un héroïque vengeur des misères du peuple en lutte contre les féodaux et leur sanglante domination. Thème qui n’est pas sans actualité et qui nous fait aimer ce gigantesque album d’Épinal aux couleurs vives, aux beaux décors, aux péripéties mouvementées. »
Si cette version de Robin des Bois semble s’inscrire de prime abord dans la tradition des visions contestataires du brigand de Sherwood, il s’en démarque aussi. Certes, nous l’avons dit, il évoque plus d’une fois la lutte entre Normands et Saxons. Mais plus question, à une époque où triomphent le nazisme et l’antisémitisme, de parler, comme le faisait Augustin Thierry, de faire de cette opposition un conflit entre deux races. Peu après la scène décrite plus haut, un dialogue entre Lady Marianne et l’archer révolté permet ainsi d’enlever toute ambiguïté à ce sujet :
« Marianne : De votre côté, vous tuez des Normands.
Robin : Oui, ceux qui l’ont mérité, ceux qui sont cruels et injustes.
Marianne : Vous êtes étrange, vraiment !
Robin : Étrange ? Parce que je sympathise avec les malheureux et les opprimés ?
Marianne : Non, ce qui est étrange, c’est que vous vous insurgiez contre cet état de choses. […] Vous protégez même des Normands !
Robin : Normand ou Saxon, quelle importance ? C’est l’injustice que je hais et non les Normands ! »
Voilà donc Robin des Bois promouvant ouvertement l’amitié entre les peuples et affirmant que son combat est surtout social, voire antifasciste. L’insistance sur les sévices infligés par la soldatesque du Prince Jean n’est ainsi pas sans rappeler ceux pratiqués par les SA nazis comme les chemises noires mussoliniennes. Et les réfugiés qu’accueille Robin évoquent aussi les Juifs fuyant le régime hitlérien.
C’est d’ailleurs à l’un d’eux, Erich Wolfgang Korngold, qui compose la bande originale du film, qui remportera un oscar. Il le fait sans doute avec la bénédiction de Jack Warner, patron des studios produisant le long-métrage, non seulement partisan du New Deal mais aussi ferme opposant au nazisme, notamment depuis 1934, année où sa firme arrête toutes ses opérations dans le IIIe Reich.
La présence même d’Errol Flynn à l’affiche du film renforce l’idée que ce Robin des Bois est avant tout une œuvre qui appelle à combattre sans merci l’extrême droite. Un an avant le tournage de ce long-métrage, l’acteur était en effet allé en Espagne Espagne en pleine guerre civile et y avait sympathisé avec le camp républicain, comme il l’explique lui-même dans Paris-soir le 8 avril 1937 :
« Je voulais me rendre là-bas où des hommes se battaient. Bien que je ne fasse point de politique et me défende d’en faire, je sentais qu’il y avait là-bas des hommes qui croyaient en quelque chose de très grand, ce à quoi nous ne sommes plus très habitués, et y croyaient au point de sacrifier leur vie. […]
Je fus présenté au ministre Miravitlès […]. Je prépare un reportage pour de grands magazines américains. Surtout, je veux, dès arrivé à Hollywood, entreprendre la réalisation d’un film. Il s’intitulera ‘International Brigade’ et témoignera de l’horreur et de la grandeur des choses d’Espagne.
Je suis Irlandais, peut-être est-ce pour cela que les combattants sont mes frères lorsqu’ils luttent pour un idéal ! »