Le jour où le pont Saint-Louis s’est écroulé
En 1939, une péniche accroche l’une des piles du pont Saint-Louis, provoquant son effondrement. Le drame fait trois morts, de nombreux blessés et les choux gras de la presse.
Le 22 décembre 1939, heurté par une péniche, la Tunisie, le pont Saint-Louis qui relie l’île de la Cité à l’île Saint-Louis à Paris, s’effondre et sombre dans la Seine.
« Y eut-il une faute de navigation ? L'enquête le dira. Quoi qu'il en soit, la Tunisie, déportée sur la gauche, heurta brutalement l'arc à sa naissance.
Ce fut le drame. Les rivets qui fixaient le pont à la paroi du quai cédèrent. Entraîné par son poids, le pont déséquilibré s'inclina. L'autre extrémité rompit à son tour. Le tablier tout entier s'abîma dans le fleuve. Avec lui, tout ce qui passait en ce moment plongea dans la Seine.
Alors que les têtes et les bras émergeaient, en de furieux débats – victimes que l'effroi des témoins ne leur permit pas de dénombrer –, la péniche s'en allait à la dérive, emportant avec elle un chargement de gravats et de ferrures jetés en travers de son pont. »
Pour rajouter à la confusion, une conduite de gaz prend feu dans le tablier du pont et va brûler comme un lance-flammes pendant deux heures. Les premiers journalistes arrivés sur place essaient d’évaluer le nombre de victimes.
« Combien de personnes se trouvaient sur le pont à ce moment ?
Question angoissante que la multitude des témoignages n'a pas permis de résoudre, même de façon approximative. Une trentaine, disent les uns ; à peine une dizaine, affirment d'autres.
Et, pourtant, on a réussi à repêcher jusqu'ici dix personnes, dont trois cadavres. Sur combien d'autres le fleuve a-t-il reformé les remous ? »
Les secours se mettent rapidement en place. L’équipage d’un remorqueur non loin réussit à repêcher des personnes tombées à l’eau. La brigade fluviale intervient immédiatement. Les observateurs relèvent aussi le courage d’un passant qui vient de se jeter à l’eau pour sauver des victimes. Le gérant d’un café à l’angle du pont témoigne.
« J’aperçus une dizaine ou une vingtaine, je ne sais trop dire, de têtes et de bras qui s'agitaient au-dessus de l'eau.
Un de mes clients plongea dans la Seine pendant que je courais chercher les bouées de sauvetage du pont Louis-Philippe. Je vis bientôt mon client ramener une femme d'une quarantaine d'années.
On me dit plus tard qu'une autre personne a été sauvée par lui. »
Le courageux Samaritain, M. Krutylow, a en effet plongé plusieurs fois pour récupérer des passants au bord de la noyade. Il sera admis à l’Hôtel-Dieu, dans un état d’extrême épuisement.
Le bilan de la catastrophe se monte à trois morts et plusieurs dizaines de blessés. Un chiffre qui aurait pu être beaucoup plus important si le pont n’avait pas été en travaux au moment de l’accident.
« Le pont tout entier était donc en réparation et la chaussée condamnée sur une moitié de sa largeur. Aussi bien est-ce sans doute à cette circonstance qu'on doit de n'avoir pas à déplorer la perte d'un plus grand nombre de vies humaines.
Les travaux en cours interrompant en partie la circulation, il ne devait se trouver que de rares passants et pas une voiture au moment où allait se produire l’accident. »
Ces travaux sont d’ailleurs la conséquence de précédents incidents avec des bateaux. En effet, l’accident de la Tunisie intervient après deux autres accrochages moins graves.
« Or, depuis trois semaines, deux fois des bateaux l'avaient heurté.
Comme chaque année, en effet, le niveau de l'eau, en cette saison, est très élevé. Les péniches qui descendent vers la mer, vides, sont hautes sur le flot. En outre, le courant, dévié par un épi, les déporte vers la rive gauche, si bien qu'au lieu de passer sous le milieu de l'arche, elles l'abordent le long de la berge, à l'endroit où s'abaissent les voussures.
Et c'est ainsi que deux fois en trois semaines, deux des membrures de la charpente, sous le choc d'une étrave, avaient cédé. »
En attendant d’évaluer la responsabilité du capitaine, l’enquête s’oriente vers la fragilité du pont. Comme le relève Le Matin, « il semble inadmissible qu'un pont cède sous la simple poussée d'une péniche ».
« Aux dires d'un architecte qui se trouvait sur place après le drame, les heurts renouvelés des bateaux contre l'arc ont entamé les rivets noyés dans la maçonnerie du quai et il était impossible, paraît-il, de s'en apercevoir.
Les services d'architecture ont néanmoins dû s'occuper de l'état inquiétant de cette voie, puisque récemment elle fut interdite aux véhicules pesant plus de trois tonnes et que deux gardiens de la paix, placés à chaque extrémité, étaient spécialement chargés de faire respecter cette consigne. […]
Enfin, un crédit avait été inscrit, avant guerre, au budget des ponts et chaussées. Il était destiné à surélever l'arcature du pont et sans doute à le consolider. »
Les Parisiens devront attendre plus d’un an avant de retrouver une liaison entre les deux îles de la Seine, les « événements de juin 1940 » ayant suspendu le projet.
« M. Georges Lemarchand, ancien président du conseil municipal, qui représente à l'Hôtel de Ville le quartier Notre-Dame, proposa la construction d'une passerelle provisoire reliant l'île Saint-Denis à la Cité. Il avait obtenu satisfaction en quelques mois et le génie militaire allait poser la passerelle lorsque survinrent les événements de juin 1940.
Il n'était plus question de construire des ponts au moment où on les détruisait tous. »
Le nouveau pont est en fait une passerelle métallique de type pont-cage, qui sera ouverte au public en juillet 1941.
C’est en 1970 que l’actuel pont Saint-Louis, fait de nombreuses poutres d’acier, sera inauguré.