C'était à la une ! La catastrophe du Bazar de la charité
La lecture du jour retrace le terrible incendie du Bazar de la charité ; cette vente de bienfaisance qui fut le théâtre de dizaines de morts en 1897.
En partenariat avec "La Fabrique de l'Histoire" sur France Culture
Cette semaine : La catastrophe du Bazar de la charité, Le Matin, 5 mai 1897.
« LA CATASTROPHE DU BAZAR DE LA CHARITÉ
Les quinze dernières années de ce siècle qui va bientôt finir auront été marquées par trois épouvantables catastrophes dont le douloureux souvenir restera longtemps gravé dans la mémoire des Parisiens : l'Opéra-Comique, Saint-Mandé et le Bazar de la charité de la rue Jean-Goujon. [...] Hélas la catastrophe d'hier laisse loin derrière elle les deux précédentes, autant par le nombre que par la qualité des victimes. [....]
En quelques minutes, plus de deux cents familles, les plus aristocratiques de France, ont été mises en deuil ; on peut dire que tout l'armorial parisien est aujourd'hui atteint par cette catastrophe, la plus imprévue, la plus brutale, la plus impitoyable que nous ayons eu à enregistrer depuis longtemps.
Les femmes, les jeunes filles, les enfants forment la majorité des morts, et l'on ne peut se défendre d'un immense serrement de cœur en songeant que toutes ces infortunées créatures s'étaient rendues rue Jean-Goujon pour accomplir un pieux devoir, pour exercer la plus noble fonction sociale qu'il soit donné aux riches, aux puissants d'accomplir : la charité ! [...]
La journée avait été des plus fructueuses pour les pauvres : la recette, en effet, s'était élevée à un peu plus de 45,000 francs. [… ] Le baron de Mackau avait même eu l'idée, fort originale, d'acheter tous les décors de la Vieille rue de Paris, qui constituait l'une des principales attractions de l'Exposition du théâtre et de la musique au palais de l'Industrie, et les boutiques des dames vendeuses étaient encastrées dans des architectures du Moyen Âge, ce qui augmentait encore le pittoresque du Bazar de la charité. [...]
Mais, d'autre part, il faut bien reconnaître qu'aucune mesure de précaution n'avait été prise contre l'incendie, et, lorsque le moment d'établir les responsabilités sera venu, il y a des gens qui auront de terribles comptes à rendre. Mais n'incriminons personne : les imprévoyants sont peut-être au nombre des morts.
On avait eu surtout la funeste idée d'installer vers la gauche de la construction, un peu en arrière, une petite salle tendue d'étoffes légères et où se donnaient des séances de cinématographe. [...] Un tourniquet était disposé à l'entrée, et les séances étaient surtout suivies par les jeunes filles et par les enfants. [...] Encore quelques minutes et la fête, commencée sous d'aussi heureux auspices, allait se résoudre en un deuil immense. [...]Tout d'abord, où et comment le feu a-t-il éclaté ? Il circule plusieurs versions, mais la seule qui doive être acceptée comme véridique est celle-ci : l'incendie aurait été communiqué à une tenture du plafond par l'un des fils électriques alimentant l'appareil à projections cinématographiques. En un clin d'œil, l'incendie se communiqua à l'immense vélum couvrant tout le hall du Bazar de la charité, et, avant même qu'elles eussent eu le temps de prendre leurs précautions pour assurer leur retraite, les douze à quinze cents personnes qui se trouvaient dans l'édifice avaient au-dessus de leur tête comme une voûte de feu. C'est alors que se produisit l'effroyable et inévitable panique qu'aucune puissance humaine n'eût pu conjurer. On se précipita vers la porte centrale qu'on trouva fermée ; plusieurs dames purent sauter par les fenêtres s'ouvrant sur la rue Jean-Goujon, mais la plupart des visiteuses cherchèrent une issue pour fuir par les portes latérales. Et ce fut alors une poussée désordonnée, un écrasement furibond qui devait fatalement produire aux petites portes un encombrement, un engorgement, pourrions-nous dire, qui a annihilé l'exode effréné des malheureuses femmes cherchant leur salut au dehors. Et, brusquement, la toiture s'effondrait, recouvrant les victimes de débris incandescents, écrasant les unes en les brûlant et asphyxiant les autres. Puis le feu achevait de consumer les cadavres amoncelés sous les décombres. [...]
Les secours publics sont arrivés assez rapidement ; mais à quoi bon ? L'œuvre de mort était consommée. Les pompes à vapeur n'ont même pas eu à fonctionner, le Bazar de la charité ayant été complètement anéanti en moins d'un quart d'heure. Deux dévidoirs ont suffi pour noyer les décombres, tandis que des pompiers sapaient quelques poutres à demi-carbonisées qui étaient restées debout. C'est alors que le spectacle est apparu dans toute son horreur.
Il est cinq heures. Entre les hautes murailles des maisons voisines apparaissent maintenant, lugubres, noirs, lamentables, les débris de ce qui fut le Bazar de la charité.
Quelques poutres fumantes restent encore debout. Quelques planches calcinées apparaissent deci, delà, indiquant vaguement l'architecture trop éphémère du bâtiment. Et, sur le sol, c'est de la suie, une suie immonde, une boue effroyable où des crânes apparaissent, où des corps se devinent, où des entrailles mettent une note abominablement rouge. »