Écho de presse

Le terrible naufrage du paquebot l’Afrique

le 28/05/2018 par Michèle Pedinielli
le 26/02/2018 par Michèle Pedinielli - modifié le 28/05/2018
Carte postale figurant le paquebot l'Afrique, circa 1910 - source : WikiCommons

Le 12 janvier 1920, l’Afrique sombre dans le golfe de Gascogne avec 602 personnes à son bord. C’est à ce jour la plus grande catastrophe maritime française.

« À dix heures, hier soir, le paquebot Afrique signalait par T.S.F. : “Avons touché dans les Roches-Bonnes”.

Quelques instants plus tard parvenait un nouveau radio du commandant disant : “Envoyez d'urgence remorqueur. Crains de ne pouvoir tenir jusqu'au jour.” »

Lorsque le commandant Antoine Le Dû envoie son message de détresse le 11 janvier 1920 à 10h du matin, l’Afrique est en très mauvaise posture.

Le paquebot a quitté Bordeaux le 9 janvier pour rallier le Sénégal avec plus de 600 personnes à son bord, dont 192 tirailleurs sénégalais. Le lendemain, une voie d’eau est détectée dans la cale et les pompes sont mises en route. Hélas, elles se bouchent toutes rapidement et ne peuvent plus écoper.

Le commandant décide de virer de bord pour rejoindre le port de La Pallice mais le bateau est déjà difficilement gouvernable. L’officier envoie alors son message via la T.S.F. Un autre paquebot, le Ceylan, se porte à son secours.

« Au cours de la journée de dimanche, le paquebot faisait route avec une machine, l’autre étant immobilisée par des avaries, escorté par le paquebot Ceylan, accouru aux appels de détresse et qui, par suite du mauvais temps, ne put lui passer la remorque.

Ces deux paquebots naviguant de conserve sont restés l'un près de l'autre tout l'après-midi de dimanche et une partie de la nuit de dimanche à lundi. »

Non seulement le mauvais temps s’invite, mais le paquebot s’avance vers les hauts fonds de Rochebonne, un passage très dangereux dans lequel le Ceylan refuse de s’engouffrer. À 3 heures du matin, le Ceylan perd le contact avec l’Afrique.

« Vers trois heures du matin, l’Afrique se trouvait dans les parages du plateau des Roches-Bonnes, sur lequel il aurait touché, provoquant ainsi une voie d'eau.

À ce moment le paquebot Ceylan a signalé, en effet, ne plus percevoir les signaux de l’Afrique qui venait de lui indiquer dans un dernier message radio que l'on procédait à l'évacuation du bord dans des embarcations de sauvetage. »

Le paquebot Afrique vient de sombrer aux petites heures du matin. Dans son édition du 13 janvier, Le Petit Journal relate le récit d’un des rescapés.

« C’est à dix heures du soir, dimanche, que le vapeur Ceylan ne pouvant plus remorquer l’Afrique, ce dernier toucha le rocher des Roches-Bonnes. Le choc fut violent, mais nul ne s'en effraya.

Mais quelque temps après la situation devint intenable ; les paquets de mer déferlaient avec une violence inouïe sur le pont et l'entrepont. Le Ceylan ne percevant plus les signaux de détresse du commandant de l'Afrique ordonna le sauvetage. Les opérations furent rendues fort difficiles par suite de l'état de la mer et de la tempête.

Je puis vous dire, continua mon interlocuteur, que le commandant Le Du, ainsi que tout son équipage et son état-major, firent plus que leur devoir en cette circonstance. J'ignore s'il y a des victimes, ayant été sauvé dans les premiers. »

Profitant d’une accalmie, les secours sont lancés dans la matinée afin de repêcher des survivants. Le Ceylan, sur place, récupère deux embarcations.

« Le Ceylan commença dès la matinée de lundi la recherche du paquebot Afrique et de ses embarcations. À midi, il avait retrouvé l'une d'elles avec onze occupants. Vers 15 heures, aujourd'hui, il indiquait avoir recueilli un radeau sur lequel se trouvaient quinze personnes et en avoir aperçu un autre un peu plus loin.

Le paquebot Anversville, appelé par le Ceylan, croise également sur les lieux du naufrage et, d'autre part, la marine a envoyé les remorqueurs Cèdre et Victoire pour effectuer des recherches.

Il y a lieu d'espérer que d'autres embarcations et radeaux pourront encore être recueillis. »

En réalité, le bilan est effroyable. Sur les 602 passagers embarqués, seuls 34 sont sauvés (l’un deux, un « soldat noir », décède, épuisé, sur le pont du navire qui l’a recueilli). La recherche des cadavres va se poursuivre pendant plusieurs jours et la mer elle-même en rendra quelques-uns au fil du temps.

Au cours des semaines qui vont suivre, La Petite Gironde signale chaque nouveau corps retrouvé, leur identification devenant de plus en plus difficile. C’est parfois une bague, une boucle d’oreille ou un médaillon qui permettent de donner un nom à la victime.

Le 10 février, ce sont les restes du commandant Le Dû qui sont identifiés.

« Le cadavre trouvé en mer le 3 février, et ramené par un bateau de pêche, est celui du commandant Le Du, disparu pendant le naufrage de l’Afrique. Il eût été impossible de l’identifier, dans l’état où il était, si un doigt jadis écrasé, n’avait permis de le reconnaître.

Le frère du commandent Le Du, en notre ville, a rempli les formalités et est reparti le 9 février au soir sur Paimpol avec le corps. »

Les responsabilités de ce naufrage ne seront jamais clairement établies. On sait que le commandant et l’équipage ont fait tout ce qui était en leur pouvoir pour éviter la catastrophe puis sauver les passagers. Mais à la Chambre des députés, on s’émeut du peu d’infrastructures de secours prévues sur place.

« Toutes les mesures de sécurité n’avaient pas été prises dans les ports, notamment à Bordeaux où on manque d’appareils enregistreurs des tempêtes.

Il est criminel de laisser partir un navire par un temps de cyclone. De plus, comment se fait-il qu’à 100 kilomètres de Bordeaux il n’y eût aucun navire pour partir au secours de l’Afrique ? Avant la guerre, il y avait un bateau de sauvetage au Verdon ; il n’y en a plus. […]

L’Afrique pouvait être sauvé, si on avait eu de puissants moyens d'action. Le ministre doit créer au Verdon, à l'embouchure de la Gironde, les moyens de sauvetage suffisants, cela ne coûtera qu'un million. La Chambre de commerce, le département de la Gironde, sont prêts à participer à cette dépense. »

La Compagnie des chargeurs réunis, propriétaire de l’Afrique et accusée de n’avoir pas mis assez de canots de sauvetage sur le paquebot, ne sera jamais mise en danger par les enquêtes des affaires maritimes.

Près d’un siècle plus tard, l’Afrique gît toujours à 47 mètres de profondeur, quelque part sur le plateau de Rochebonne.