Écho de presse

Le mystère du vaisseau fantôme la Mary Celeste

le 01/09/2018 par Michèle Pedinielli
le 03/08/2018 par Michèle Pedinielli - modifié le 01/09/2018
Peinture de 1861 de la Mary Celeste par un artiste inconnu - Source Wikicommons

En 1872, un navire est retrouvé en pleine mer quasiment intact et désert, son équipage volatilisé. Le mystère de la Mary Celeste alimente toujours les récits de bateau-fantôme.

Le 4 décembre 1872, le capitaine du trois-mâts Dei Gratia qui file sur Gibraltar aperçoit à 400 milles à l’est des Açores une brigantine sous voile de huniers et grand foc dont le comportement lui paraît bizarre. Le bateau ne file pas en ligne droite et le pont apparaît étrangement désert. En abordant le navire, l’impression se confirme : le bâtiment est entièrement vide.

« La cargaison, qui consistait en futs d'esprits, n'avait pas été touchée, une cabine qui avait dû être habitée par une femme et son enfant n'avait pas été pillée, tout y était à sa place. Une petite fiole contenant de l'huile était posée sur une machine à coudre, sur une table on voyait une pelote de coton et un dé qui n'étaient pas tombés à terre. Un harmonium occupait un coin de la cabine, et près de cet instrument était un casier contenant des volumes et des cahiers de musique parfaitement rangés. »

La navire est connu : il s’agit de la Mary Celeste qui a quitté Boston peu avant le Dei Gratia avec à son bord sept marins ainsi que le capitaine Briggs, sa femme Sarah et leur petite fille Sophia Mathilda. Mais lorsque le navire est découvert, l’équipage ainsi que Briggs et sa famille semble s’être volatilisés. Ce qui étonne le plus les marins du Dei Gratia, puis plus tard les enquêteurs de Gibraltar, c’est que tout semble à sa place, parfaitement rangé, sans trace de violence si ce n’est la présence de deux éléments :

« Les seules choses suspectes étaient, dans cette cabine, un sabre dans son fourreau, mais dont la lame portait des traces de rouille produites par du sang incomplètement essuyé, et à l'avant du navire et de chaque côté du bordage de profondes entailles paraissant faites à dessein. »

 

La Mary Celeste est ramenée au port de Gibraltar par le Dei Gratia. Les enquêteurs maritimes s’intéressent d’abord aux documents du bateau. Mais leur déconvenue est rapide.

« Le registre du navire, le manifeste et les connaissements étaient enlevés, ainsi que le sextant du chronomètre. (…) La carte et le loch furent trouvés au moment de la saisie du navire. Tous deux sont au courant jusqu’au 24 novembre et indiquent la hauteur de Saint-Mary’s.(…)  Le 24 novembre, à midi, on avait fait les observations d’usage, ce qui prouve que le temps devait être assez beau ; la position était 6,56 N., 27,20 E. Il y a encore une annotation du 25, au matin, 8 h, indiquant le passage de l’Ouest vers l’Est, par le Nord de Saint-Mary’s. Depuis le 25, il s’était passé dix jours sans que le gouvernail eût fonctionné. »

Ainsi, seul le journal de bord (le loch) est resté à bord. Les autres papiers ont disparu. On passe ensuite à l’examen du navire.

« Celui-ci eut lieu le 23, par des plongeurs jurés, qui déclarèrent que les deux flancs du navire avaient été perforés à l’aide d’un instrument tranchant, et que le navire était en parfait état, bien approvisionné, qu’il n’avait pas essuyé de tempêtes, qu’il ne portait traces ni de feu ni d’explosion, ni d’aucune autre cause d’abandon. Mais une épée fut trouvée, qui semblait porter des traces de sang et avoir été nettoyée avant d’être remise au fourreau. Une enquête officielle, à laquelle des officiers de la marine ont pris part, a fait reconnaître que les ouvertures avaient été pratiquées intentionnellement. Sur le tribord, on découvrit des marques de sang. »

 

Que s’est-il passé à bord de la Mary Celeste ? Un bâtiment complètement vide qui ne semble pas avoir affronté une tempête ni subi de voie d’eau, un intérieur intact (cargaison et approvisionnement en nourriture compris), des documents et des instruments portés disparus, quelques traces de sang… L’attorney de Gibraltar rend ses conclusions.

« L’attorney de Gibraltar expose ensuite qu’il croit que l’équipage (après avoir défoncé un baril d’alcool), s’est enivré et a assassiné le capitaine Briggs, sa femme, son enfant et le second du navire ; qu’on a ensuite perforé le navire, de façon à faire croire à un abordage ou à un heurt contre des rochers et à faire croire aux marins qui le rencontreraient qu’il ne valait pas un effort pour être sauvé; que ces faits doivent s’être passes entre le 25 novembre et le 5 décembre. »

 

Mais cette hypothèse est loin de clore l’intérêt que la Mary Celeste déclenche. Tous les ingrédients du mystère sont là et l’imagination bat son plein pendant des années. En 1884, le jeune Arthur Conan Doyle publie anonymement un récit, J. Habakuk Jephson's Statement, dans lequel il raconte sa version du mystère du bateau qu’il appelle la Marie Celeste : une mutinerie déclenchée par les marins qui assassinent le capitaine et sa famille avant de se réfugier en Afrique de L’Ouest. Toute fiction qu’elle soit, l’histoire fait grand bruit et incite le consul de Gibraltar à enquêter dans ce sens.

Plus tard, l’écrivain Laurence J. Keating affirme avoir retrouvé le cuisiner de la Mary Celeste et publie son « témoignage ». Dans cette histoire, l’harmonium est au centre du drame.

« La femme du capitaine a fait embarquer un piano. C'est une petite femme sèche et brune qui chante mal mais s'obstine à chanter tout le temps en tapant sur son « perroquet chantant » comme disent les hommes.

Cela énerve le lieutenant Hullock, une brute qui couche dans une cabine voisine et qui rumine de noirs desseins contre l'instrument. Il l'amarre mal, et compte sur le roulis pour le reste. Mais le 24 novembre c'est la catastrophe.

Un grain balaie le brick, assomme le timonier. Le navire divague. Le piano se libère mais il écrase du même coup la pianiste : Mme Briggs meurt dans la nuit. On l'immerge roulée dans un suaire de toile à voile. Et d’une.

Devant l'équipage rassemblé, le capitaine à demi fou de douleur accuse le lieutenant d'avoir provoqué cette mort. Quelques jours plus tard le capitaine fait jeter le piano à l'eau. Et les marins accablent de malédictions l'instrument qui s'obstine à flotter. Et voici qu'une nuit la Mary Céleste accroche une épave. On veut en aviser le capitaine. Il a disparu. Suicide, noyade ? On ne le sut jamais, jamais. Et de deux. »

Selon Keating, il reste trois marins à bord de la Mary Celeste (dont le cuistot) et lorsqu’ils sont récupérés par le Dei Gratia, le capitaine de ce navire leur demande de se taire pour pouvoir toucher la prime liée à la récupération du bâtiment. L’histoire est bien ficelée, mais ce n’est qu’une histoire… que des journaux de New-York prennent au sérieux et publient comme un témoignage véridique. Sans se demander – entre autres – pourquoi l’harmonium maudit avait retrouvé sa place dans la cabine lorsque le bateau fut découvert.

Malgré les inventions de toutes sortes (depuis des attaques de requins jusqu’aux interventions surnaturelles), près de 150 ans plus tard, l’étrange histoire de la Mary Celeste n’a jamais été éclaircie.