Pierre Quillivic ne revint jamais. L'hiver austral balaie la petite île de ses tempêtes. Incapables de pêcher ou de chasser les lapins qui vivent sur l'île, les trois « oubliés » survivent grâce à des œufs de pingouin.
Le 6 décembre 1930, neuf mois après avoir laissé les « gardiens » sur l'île, un navire – le Saint-Paul – accoste enfin. L'un des marins témoigne dans L’Ouest-Eclair.
« Lorsque le Saint-Paul est arrivé le matin du 6 février [en réalité le 6 décembre] dit-il, à l'île Saint-Paul, nous avons eu beau faire manœuvrer notre sirène, personne n'a donné signe de vie. Nous avons cru l'île entièrement abandonnée.
Enfin, le Huludut s'est présenté, nous avons alors appris le malheur. Les trois survivants étaient encore bien faibles Ils nous racontèrent leurs épreuves. »
Les survivants relatent alors leur calvaire pendant ces longs mois où la seule nourriture disponible les tue petit à petit : la mort de la petite Paule puis celle de trois pêcheurs, la disparition de Quivillic au milieu des flots. Les colonnes de la presse reprennent les récits morbides.
« Un des survivants déclara:
"Si les trois premiers n'étaient pas morts, nous laissant ainsi leur part, nous aurions déjà subi le même sort qu'eux. Nous n'en avions plus que pour quelques jours." »
En juillet 1931, les survivants et les familles des victimes déposent plainte contre la société qui les employait. En 1935, un premier jugement condamne ainsi La Langouste française à leur payer un dédommagement – ce à quoi la compagnie fait appel.
En 1937, l'affaire est rejugée. Alcide Delmont, ancien sous-secrétaire d'Etat aux Colonies et avocat de la société havraise, rejette à nouveau toute responsabilité :
« Les pécheurs qui ont souffert n'ont qu'à s'en prendre à eux-mêmes; ils sont les principaux artisans de leur malheur et la société n'a aucune part de responsabilité.
"II y avait, a-t-il dit, assez de vivres qui ont été retrouvées lorsque, le 6 décembre 1930, le navire Saint-Paul revint à l'îlot. Ils avaient des lapins, du poisson frais, de la langouste fraîche, du homard frais.
Alors, quelles sont les causes des décès ? C'est un mal, répond M. Alcide Delmont à cette question, que la science ne connaît encore pas exactement ce n'est ni le béribéri, ni le scorbut ; on peut l'appeler faute de mieux, le mal des conserves !" »