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Il y a cent ans, un tremblement de terre détruisait Tokyo

le 24/10/2023 par Le Populaire
le 08/02/2023 par Le Populaire - modifié le 24/10/2023

A la fin de l’été 1923, le Japon doit faire face à l’un des pires séismes de son histoire. Tandis que la mort ravage l’île d’Honshu, Le Populaire dresse un premier bilan terrifiant de la catastrophe.

Le 1er septembre 1923 à 11h58 heure locale, un séisme de magnitude 7,9 frappe l’île principale du Japon, Honshu. Les villes de Tokyo, Yokohama et Shizuoka sont dévastées. Après coup, on estimera à quelque 105 000 morts le nombre de victimes mais sur le moment, les agences de presse avancent des chiffres plus terrifiants encore : on parle de 300 000, 500 000 décès, un million parfois, dont 100 000 rien qu’à Tokyo. 570 000 habitations sont détruites. Deux millions de sans-abri sillonnent les rues à la recherche d’un refuge. Les tremblements ayant neutralisé la majorité des accès à l’eau, il faut deux jours pleins pour éteindre tous les feux. A Yokohama, les secousses provoquent en sus un raz-de-marée.

Rares sont alors les journaux qui envoient des reporters sur place. La presse française dans son intégralité reprend les faits annoncés par les grandes agences internationales. C’est peut-être le quotidien socialiste Le Populaire qui, dans son édition du 4 septembre, regroupe le plus grand nombre d’informations essentielles – et sidérantes – en deux colonnes à la Une.

LA CATASTROPHE JAPONAISE

Cent mille morts dans la seule ville de Tokio – Deux cent mille habitants de Yokohama sont sans nourriture et sans abri

Là-bas, en un point de l'univers, la terre tremble, s'entr'ouvre et se referme sur des villes florissantes et le monde entier assiste, impuissant, à cet effroyable cataclysme.

Les hommes construisent, deviennent maîtres de la matière, domptent des forces inconnues. Mais ils restent désarmés devant cette mystérieuse activité qui, soudain, s'empare de notre planète pour la secouer éperdument.

La terre est, d'ailleurs, en perpétuel mouvement. Mais il est des points de notre globe qui ont reçu le terrible privilège de l'instabilité géologique.

On peut ainsi tracer deux lignes particulièrement menacées. L'une borde le continent américain tout le long du Pacifique, l'autre traverse le bassin méditerranéen, la région transcaspienne et vient rejoindre le Japon, en passant par les îles de la Sonde.

Les séismes peuvent offrir tous les degrés d'intensité, depuis des frémissements qui ne peuvent être enregistrés que par les microsismographes jusqu'aux secousses dont la violence entraîne de véritables catastrophes, si elles perturbent des régions habitées.

On cite ainsi les secousses de l’an 526 comme ayant fait de 120.000 à 200.000 victimes sur les côtes de la Méditerranée. Le séisme de 1693, en Sicile, aurait entraîné la mort de 60.000 habitants. Celui de Lisbonne (novembre 1755) fit périr 40.000 personnes.

Le Japon, lui-même, avait connu déjà des tremblements d'une violence inouïe. Le 26 octobre 1891, en moins d'une minute, on pouvait compter 7.000 morts, 100.000 blessés, trois villes populeuses détruites. Le 15 juin 1898, 30.000 riverains furent engloutis sous une vague énorme due à une secousse sismique.

D'ailleurs, au Japon, le frémissement du sol est à peu près constant. Pour donner une idée de l'instabilité de ce sol tourmenté, rappelons l'impressionnant calcul fait à Sisu, en 1891. Là, entre le 28 octobre et le 10 novembre, les services météorologiques n'enregistrèrent pas moins de 1.360 commotions plus ou moins graves et presque toujours accompagnées d'éboulements et de crevasses.

Les phénomènes produits par les tremblements de terre sont d'ailleurs très divers ; les plus fréquents sont les dénivellations du sol, les effondrements ou les soulèvements, tel celui de 1855, qui rendit à peu près inutilisable le port de Nippon

« Cette fois, comme on le verra, il s'agit d'un véritable désastre. Son évaluation est encore impossible, mais les dépêches qui arrivent sont chaque fois plus angoissantes. »

NOUVEAUX DÉTAILS

Le cataclysme qui a frappé le Japon est encore plus considérable que ne le laissaient prévoir les premiers télégrammes.

A Tokio, les flammes se sont propagées à l'arsenal, qui a fait explosion et a été entièrement détruit. Cette explosion a fait plusieurs milliers de victimes.

Les dégâts les plus importants sont dans le district de Yamanoto. Des milliers de personnes manquent d'eau et de vivres.

En s'écroulant, un édifice à Marumouchi, a fait de nombreuses victimes. La ville d'Atane, sur le mont Hakone a été démolie et six ou sept mille de ses habitants ont péri.

A Yokohama, le quartier des affaires a été rasé. La ville d'Ito, dans la péninsule de Idzu a été emportée par le raz de marée. En s'écroulant, le tunnel ferroviaire de Sasako, le plus grand du Japon, a causé la mort de 600 personnes.

L'ÎLE SACRÉE EST SUBMERGÉE

Osaka, 3 septembre. – Le Palais impérial de Tokio est sauvé, il n'a subi que des dégâts partiels. La ville de Tokio est dévastée, à l'exception du quartier d'Ushigome, d'une partie du quartier de Koishigama, de presque tout le quartier de Yet-Su-Ya et du nord d'Aoyamadori.

Presque tous les bâtiments en ciment armé se sont effondrés. Le quartier de Kukagame a été inondé par un raz de marée.

On n'aperçoit plus aucune maison à Amakusa ni à Yokusaka.

Le dépôt maritime de Yokusaka semble avoir été balayé.

« Enoskima, île sacrée et lieu de villégiature, ainsi que Kamakusa sont submergés. La fumée continue à sortir du volcan de l'île Oskima. »

Un rapport du lieutenant-aviateur Ishida a été reçu par le commandant de la division de Nagoya. L'aviateur dit qu'il lui a été difficile de survoler la ville à une hauteur permettant de faire des observations en raison de l'intensité des flammes et de la fumée qui était suffocante.

On n'annonce aucun dommage sérieux à Nikko où réside l'empereur. Le Palais Impérial a été ouvert pour recueillir des réfugiés.

LA LOI MARTIALE PROCLAMÉE

Après la réunion des ministres qui a eu lieu hier matin, le comte Ushida, premier ministre par intérim, a décidé la promulgation de la loi martiale et l'établissement d'un bureau de secours.

Un sans-fil annonce que les bâtiments maritimes sont intacts et que la loi martiale a été proclamée à Yokohama.

Pendant que la capitale brûlait, le comte Yamamoto, le nouveau premier ministre s'employait d'urgence à former le cabinet. Des rapports annoncent que le nouveau gouvernement a été installé officiellement hier soir.

ON FUSILLE LES PILLEURS

San-Francisco, 3 septembre. – On mande de Tokio que la mise en vigueur de la loi martiale, en vue d'empêcher les pilleurs et les gens malintentionnés de profiter du désarroi pour se livrer à leurs exercices, s'est déjà manifestée par l'exécution sommaire de trois malandrins coréens.

LES AMBASSADES FRANÇAISE ET ITALIENNE DÉTRUITES

On donne une longue liste des principaux édifices détruits par le tremblement de terre. Dans ce nombre sont comprises les ambassades française et italienne.

LA VILLE DE YOKOHAMA BRÛLÉE

San Francisco, 3 septembre. De nouveaux détails arrivent du Japon au sujet des dégâts terrifiants provoqués par le tremblement de terre. On constate que le désastre est plus grand encore qu'on ne le pensait tout d'abord. S'il faut en croire les télégrammes reçus à San-Francisco, l'ensemble des morts, dans la seule ville de Tokyo, est de 100.000. Voici, du reste, en résumé, les dégâts principaux soufferts par la capitale japonaise : Une grande partie de la ville détruite par le feu ; les rues jonchées de cadavres ; tous les tramways disloqués, de nombreux trains renversés ; le palais impérial en feu ; 700 personnes tuées dans l'écroulement de la tour Asakusa ; l'arsenal et les stations de chemins de fer détruites.

A Yokohama, la situation est la suivante : 10.000 morts ; un coup de mer a suivi la secousse sismique et englouti de nombreux bateaux ; la ville est presque entièrement brûlée.

Pour ajouter à toutes ces horreurs, on annonce que les survivants sont non seulement sans toit, mais sans eau et sans nourriture.

200.000 HABITANTS DE YOKOHAMA SANS ABRI

Un message sans fil, envoyé par le paquebot « Korea-Maru » annonce que 200.000 habitants de Yokohama sont sans abri et sans nourriture. Plusieurs milliers de ces malheureux se sont réfugiés à bord des bateaux « Paris-Maru », « Harbin-Maru » et « Italie-Maru ».

Le commandant de la station navale de Kuré a reçu un message sans fil de Funahashi annonçant qu'un sérieux incendie ravage Yokohama. Les ateliers de la marine et les hôpitaux ont été incendiés On manque d'instruments de chirurgie et de médicaments, ainsi que de denrées de première nécessité.

On annonce d'autre part que la division de Nogaya prépare des aéroplanes pour aller survoler Tokyo, afin de se rendre compte de l'étendue du désastre.

UN CROISEUR FRANÇAIS À YOKOHAMA

Le ministre de la marine a fait donner l'ordre au croiseur léger « Colmar », qui se trouvait à Shanghai, d'appareiller pour Yokohama, afin de coopérer au ravitaillement et au sauvetage des nationaux français-et dos sinistrés.

8.000 OUVRIERS PÉRISSENT DANS UNE MINOTERIE

On mande d'autre part de Nakasaki, qu'il est impossible d'estimer le nombre des morts dans tous les districts frappés par le fléau. On signale que les moulins de Fuji, près du mont Fuji, se sont écroulés. 8.000 ouvriers ont péri.

À Hakon, montagne célèbre, où de nombreux Japonais ont l'habitude d'aller, en villégiature, il est plus facile de compter les vivants que les morts.

Le prince Saionji, qui se trouvait à Gotemba, a échappé par miracle, en se réfugiant dans un bosquet de bambous.

On signale en outre qu'un certain nombre de volcans sont dans une phase d'éruption active.

DES AÉROPLANES SURVOLENT LES VILLES DÉTRUITES

On mande d'Osaka que le ministre de la Guerre a chargé le commandant de la division d'Osaka de lui rendre compte des conditions de la ville de Tokyo et de se disposer à transporter immédiatement 4.000 balles de riz destinées aux réfugiés.

Des journaux ont envoyé des reporters en aéroplanes et ont ouvert une souscription dans leurs colonnes, afin d'aider les sinistrés.

Les municipalités d'Osaka et de Kobé ont voté une somme importante dans ce but et envoient également de grandes quantités de riz dans la capitale.

Y A-T-IL UNE NOUVELLE CATASTROPHE ?

Londres, 3 septembre. Les sismographes de la station de West-Bromwich, près de Birmingham, ont enregistré hier matin à 4h16 une seconde secousse sismique presque aussi violente que celle du jour précédent et dont le centre était probablement au Japon, à 500 km au sud de celui de la veille.

Les derniers détails parvenus à Londres au sujet du tremblement de terre au Jupon indiquent que le feu se répandit à Yokohama avec une telle rapidité que les habitants furent pris de panique et des centaines moururent piétinés. La foule se rua vers le port et se précipita à l'eau pour monter à bord des navires.

La panique est telle que l'imagination populaire croit que la côte du Pacifique va être balayée par un raz de marée.

À Tokyo, le comte Yamamoto, le nouveau premier ministre, a échappé de peu au tremblement de terre. La Tour Asakusa, de 175 mètres, s'est écroulée, entraînant dans sa chute 700 personnes qui s'y étaient réfugiées au moment de la panique.