Chronique

1714 : Le siège de Barcelone, répression d'une rébellion catalane livrée à elle-même

le 20/08/2024 par Guillaume Hanotin
le 10/07/2018 par Guillaume Hanotin - modifié le 20/08/2024
« Le Siège de Barcelone », estampe - source : Gallica-BnF

Lorsque l’armée française vient soutenir militairement la couronne d’Espagne dans son conflit contre la dissidence en Catalogne, il s’ensuit un lent et douloureux étranglement de la ville de Barcelone et de ses habitants.

Le siège de la ville de Barcelone en 1714 par une armée franco-espagnole au service de Philippe V d’Espagne constitue le moment majeur de la fin de la guerre de Succession d’Espagne (1701-1713). C’est un événement qui concerne à la fois la Catalogne, l’Espagne et l’Europe du début du XVIIIe siècle. La chute de la ville, le onze septembre 1714, a marqué son identité au point que son anniversaire a aujourd’hui une portée politique comme signe de ralliement des Indépendantistes catalans.

Comprendre le récit de la chute de Barcelone devant l’armée de Philippe V, largement soutenu par des forces navales et terrestres du roi de France, impose de revenir sur ce qui a conduit à ce siège et donc à sa signification.

La guerre de Succession débute avec la mort du dernier roi d’Espagne descendant direct de Charles Quint : Charles II. Lorsqu’il meurt à Madrid le 1er décembre 1700, il laisse un testament dans lequel il choisit le duc d’Anjou, un petit-fils de Louis XIV, pour lui succéder. Celui-ci est reconnu par les Catalans en 1701-1702.

La situation s’envenime rapidement et les Catalans rejoignent la grande alliance formée à La Haye en 1702. Formée par l’empereur, la reine de Grande Bretagne et les Provinces-Unies, elle s’est donnée pour mission de chasser Philippe V du trône espagnol afin de le remplacer par l’archiduc Charles. Celui-ci devient rapidement Charles III, souverain légitime aux yeux des Catalans et de plusieurs territoires de la couronne d’Aragon.

La guerre est longue et ne dévaste pas seulement l’Espagne : l’Allemagne, l’Italie, les Pays-Bas, le nord de la France ou encore le Portugal furent également concernés. En 1713, leur principal allié, la reine de Grande-Bretagne, préfère la paix. Elle laisse les Catalans à leur propre sort. Ils s’engagent alors dans une lutte sans merci puisque Philippe V s’est imposé dans la péninsule contre Charles III, parti ceindre la couronne impériale en 1711.

Le combat des Catalans et le sort de Barcelone eurent un écho considérable en Europe comme le souligne La Gazette, diffusée en France. On trouve cependant des nombreuses relations similaires dans les périodiques de l’époque.

Dans la livraison de cet exemplaire, on trouve des informations venues de toute l’Europe : Bruxelles, Madrid, Londres, La Haye… En ce qui concerne le siège de Barcelone, on reçoit des nouvelles par le biais de Gérone. Elles datent du 11 septembre 1714, c’est-à-dire le jour de l’attaque finale. Elles couvrent la période qui va du 31 août au 11 septembre, soit les deux dernières semaines du siège.

La Gazette rend compte de l’ultime résistance de la ville ; de ces derniers instants avant qu’elle ne se rende, au moment où tout le monde comprend que c’est fini. Toutefois, c’est l’arrivée du duc de Mortemar le 20 septembre à Fontainebleau, où se trouve la cour, qui porte l’annonce que la ville souhaite capituler. L’information était ainsi élaborée à partir d’une compilation d’informations venues d’endroits variés et de moments différents.

« Le Siège de Barcelone », eau-forte anonyme, circa 1715 - source : Gallica-BnF

À la fin du mois d’août 1714, le commandant des forces bourboniennes, le duc de Berwick, est à la tête d’une armée de plus de 40 000 hommes : cavaliers, fantassins, artilleurs, sapeurs et mineurs sont nombreux et expérimentés ; outre d’être secondés par une force navale qui bloque tout secours venu par la mer, comme ce convoi venu de Majorque le 8 juillet et qui doit renoncer.

En face d’eux, les 7 000 défenseurs de la cité comtale sont en partie des soldats des régiments de Charles III restés sur place, quelques forces levées par les autorités, et la milice de la ville (« la coronela »). Leur moral est d’acier mais le manque de professionnalisme est criant. Depuis juillet, la tranchée d’attaque est ouverte. Mesurant un kilomètre de long, son percement est rendu difficile par les répliques des assiégés et le climat. Des pluies diluviennes s’abattent sur la ville comme le souligne La Gazette et plusieurs observateurs. Les Catalans établissent une seconde ligne défensive afin de protéger le rempart entre les bastions de Santa Clara et Portal Nou. Les sièges donnaient lieu en effet à de nombreux ouvrages et constructions tant pour protéger la ville que pour l’attaquer.

La Gazette permet de suivre la construction des tranchées et les faits marquants du siège. Le ton est descriptif, relativement épuré et sans détails superflus, comme pour répondre à l’intérêt premier du lecteur : savoir ce qui se passe à Barcelone.

Toutefois, plusieurs éléments permettent de mettre en évidence qu’elle est produite dans le camp des Bourbons : seuls les noms des officiers français et ceux des Espagnols au service de Philippe V sont donnés, les déserteurs sont toujours dans le camp des assiégés, et le récit place le lecteur aux côtés de Berwick. En dépit du propos parfois distancié, le contenu souligne combien la situation est difficile. Les tirs de batteries sont incessants.

Aux opérations strictement militaires s’ajoutent l’ensemble des faits et des propos qui dévoilent une forme de guerre psychologique dans laquelle les discours, prises de paroles et tout élément marquant une prise de position sont mis en évidence. Les désertions sont alors soigneusement évoquées. Elles permettent de mettre en évidence combien la situation à l’intérieur de la ville est difficile, comme pour mieux souligner que le combat est déjà gagné. Forme classique des écrits polémiques et des périodiques pour mobiliser sans que l’on en puisse mesurer la portée réelle.

Ainsi, La Gazette rapporte que :

« Deux cents hommes ou femmes sortirent de la ville, criant : Miséricorde, & Vive le Roy Philippes V […]. »

Il n’existe pas d’autres traces de ce geste d’une population aux abois. Elle n’est pas totalement invraisemblable dans la mesure où les Barcelonais étaient très divisés quant à la conduite à tenir : la capitulation ou la lutte à outrance.

En plus des soldats, les femmes et les enfants apparaissent toujours pour mieux souligner les difficultés d’approvisionnement. Réduits à la dernière extrémité, ils tentent de s’enfuir mais sont refoulés vers la cité.

«  Il vint trois fantassins déserteurs & deux cavaliers, qui confirmèrent que dans la ville on souffroit une disette extrême, & que si on avoit voulu recevoir toutes les femmes qui se sont présentées pour sortir, il n’y en seroit resté aucune ; mais on les a toutes renvoyées & on les a vues arracher l’herbe & la manger avec beaucoup d’avidité. »

La ville souffre du manque de denrées alimentaires, particulièrement de pain, et ce d’autant plus que le blocus naval empêche les maigres secours apportés la nuit par des petites barques. Ce ravitaillement était assuré par ceux que l’on appelait les « miquelets », c’est-à-dire les rebelles à l’autorité de Philippe V et restés très nombreux dans la Catalogne.

Le siège de Barcelone concentre l’attention mais une grande partie de la province n’est pas soumise et multiplie les attaques contre les soldats et les partisans du roi bourbon. La ville de Manrèse, située à l’intérieur des terres, est ainsi attaquée :

« La semaine dernière un grand corps de miquelets et de volontaires surprit la ville de Manresa [Manrèse], dont le gouverneur fut blessé à mort. »

Quelles que soient les initiatives pour décourager les assiégeants, il apparaît rapidement que l’attaque finale aurait lieu le 10 ou le 11 septembre.

L’information est ici très fiable puisque le 11 septembre 1714 à quatre heures du matin, l’assaut est donné par les troupes de Berwick. Il s’ensuit un long combat dans les rues de Barcelone depuis la brèche située sur le rempart entre les bastions Santa Clara et Portal Nou.

À midi, on aperçoit un drapeau blanc. La négociation des termes de la capitulation commence. Elle est actée le douze septembre : Barcelone se rend, les forteresses de Cardona et Montjuïc sont remises aux nouveaux maîtres de la Catalogne. En échange, la ville n’est pas livrée au pillage et la population est préservée. La punition politique, avec la suppression des constitutions catalanes, viendra plus tard.

La résistance catalane contre le souverain Philippe V s’achève donc par une défaite dont la présence dans La Gazette souligne la dimension internationale. L’écho de cette nouvelle frappa les esprits des contemporains car elle révélait la solidité des armées des Bourbons que l’on croyait épuisées. Elle signifia la fin d’une guerre longue et qui ensanglanta largement l’Europe.

La Gazette rend ainsi compte d’une réalité : le public était largement conscient qu’avec le sort de Barcelone, l’Europe trouverait un nouveau point d’équilibre. Rarement les regards portés sur les réalités de la guerre ne révélaient autant les espérances de la paix.

Guillaume Hanotin est historien et maître de conférence à l’Université de Bordeaux Montaigne.