Écho de presse

La naissance de l'indépendantisme algérien

le 10/10/2023 par Pierre Ancery
le 04/04/2018 par Pierre Ancery - modifié le 10/10/2023
Scène de rue en Algérie, Agence Meurisse, 1917 - source : Gallica-BnF

Au début du XXe siècle, plusieurs mouvements nationalistes algériens contestent le colonialisme français. Dans la presse hexagonale, seule L'Humanité les soutient.

Dans les années 1920, le mécontentement gronde en Algérie française. L'ordre colonial est de plus en plus contesté, d'autant qu'une grave crise économique a frappé le pays après la Première Guerre mondiale, provoquant une famine importante.

 

Mais le principal motif de colère des « indigènes » algériens reste la différence de statut qui les sépare des citoyens français. Le Code de l'indigénat, mis en place au milieu du XIXe siècle, restreint en effet leurs droits sur des points aussi essentiels que la liberté de circulation, de presse, d'accès aux emplois publics et d'enseignement. 

 

Le corps électoral musulman a certes été élargi par une réforme en 1919, mais beaucoup estiment cet effort insuffisant. C'est le cas notamment des Jeunes Algériens, mouvement à tendance assimilationniste dont le nom fait référence aux Jeunes Turcs. Dirigés par l'émir Khaled El Hachimi, petit-fils de l'émir Abdelkader, ils réclament en premier lieu la fin du régime d'exception.

 

Mais leur cause n'est guère écoutée en France. Dans la presse de l'époque, les Jeunes Algériens sont souvent présentés comme des nationalistes anti-Français et des fauteurs de troubles. En 1922, L’Écho de Paris, sous la plume d'un certain général Aubier, se montre par exemple très critique envers le mouvement de l'émir Khaled, dont les revendications lui semblent extravagantes :

 

« Presque tous les Arabes ou Berbères arabisés en sont encore au stade patriarcal ou tributaire […].

 

Confier des bulletins de vote à une société aussi peu évoluée, ce serait les remettre entre les mains de quelques personnalités d'influence féodale ou religieuse [...]. »

 

Parmi les quotidiens hexagonaux, seule L'Humanité, journal anticolonialiste, relaie le combat des Jeunes Algériens. Elle publie ainsi en 1924 une missive adressée par l'émir Khaled au président du Conseil Édouard Herriot. Alors exilé en Égypte, le leader liste ses revendications :

 

« 1° Représentation au Parlement à proportion égale avec les Européens algériens ;

2° Suppression des lois et mesures d'exception, des tribunaux répressifs, des cours criminelles ;

3° Mêmes charges et mêmes droits que les Français en ce qui concerne le service militaire ;

4° Accession pour les Indigènes à tous les grades, civils et militaires, sans d'autre distinction que le mérite ou les capacités personnels [...] »

 

Mais dans les années suivantes, les Jeunes Algériens vont décliner. D'autres mouvements, souvent plus radicaux, prennent alors le relais.

 

À Paris, une nouvelle organisation fondée par des travailleurs émigrés algériens naît en mars 1926 : l’Étoile nord-africaine (ENA), dirigée par le charismatique Messali Hadj, et dont l'émir Khaled est le président d'honneur. L'objectif de l'ENA : lutter pour l'indépendance totale de l'Algérie, du Maroc et de la Tunisie.

 

Organisation révolutionnaire, l'ENA est affiliée au Parti communiste français, qui lui donne la parole au Congrès anticolonial qu'il organise à Bruxelles en février 1927. Messali Hadj y prononce un discours nationaliste qui fait date :

 

« L'impérialisme français s'est installé en Algérie par la force armée, la menace, les promesses hypocrites […].

 

Des populations qui vivaient dans un état de prospérité qu'elles n'ont pas aujourd'hui, l'impérialisme en a fait des affamés, des esclaves, et cette expropriation s'est faite comme partout, sous le signe de la civilisation. »

 

Dans la presse française, seule L'Humanité apporte une fois de plus son soutien à l'organisation. Le journal publie par exemple cette lettre signée de l’Étoile nord-africaine en 1927 :

 

« Des concessions nous sont de temps en temps faites, non par sympathie, mais parce que nos oppresseurs ont besoin de nous (la guerre de 1916-18 en est un exemple) ou nous craignent (comme pendant l'insurrection rifaine).

 

Par quelques concessions, ils tentent de nous détourner de la lutte pour le respect de nos droits et pour l'exécution de leurs promesses, mais dès que la situation le leur permet, ils nous reprennent ce qu'ils nous avaient donné quelque temps auparavant […].

 

Nous devons donc constater que nos droits ne sont respectés que dans la mesure où nous sommes en mesure de les faire respecter. Il en sera de même pour toute amélioration à notre sort […].

 

Nous avons entrepris de développer chez le peuple algérien l'idée qu'il n'aura les libertés et la meilleure existence auxquelles il a droit, qu'en luttant pour les obtenir et en s'organisant pour cette lutte. »

 

Mais cette idée d'un droit à l'autodétermination des « indigènes » algériens est alors extrêmement marginale dans l'opinion française. Dans le reste de la presse, l’Étoile nord-africaine est la plupart du temps décriée comme un mouvement d'inspiration soviétique dangereux pour la France. Ainsi L’Écho d'Alger qui écrit la même année :

 

« La société l’Étoile Nord-Africaine, fondée par un groupe d'Algériens, de Tunisiens et de Marocains dans le but de lutter contre la colonisation française, soumit au congrès les vœux suivants […].

 

Ces résolutions, est-il besoin de le souligner, ont depuis longtemps trouvé place dans le manuel du parfait agitateur soviétique, au chapitre intitulé : “Du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes.” Ce seul exemple suffit à dénoncer la méthode utilisée par les moscoutaires pour tenter de planter le drapeau rouge dans l'Afrique du Nord.

 

Les bolcheviks internationalistes de derrière les fagots ont commencé par devenir les alliés des nationalistes musulmans – qui sont, il est heureux de le constater, une faible minorité. »

 

La « bolchevisation » du Parti communiste français voulue par le Komintern va toutefois conduire l'ENA à s'en séparer en 1928. La revendication principale du mouvement de Messali Hadj reste en effet l'autodétermination.

 

Quant au gouvernement français, il décide en 1929 d'interdire l’Étoile nord-africaine. Elle se reconstituera en Algérie en 1936, avant d'être à nouveau dissoute et de se transformer en 1937 en un parti clairement indépendantiste, le Parti du peuple algérien (PPA).

 

Implanté à Alger, celui-ci deviendra de plus en plus populaire, en particulier parmi la jeunesse algérienne, jusqu'à son interdiction en 1939.