Ce décret révolutionnaire et fondateur n’est toutefois, au moment où celui-ci est signé, pas une invention de dernière minute. Il est au contraire l’aboutissement de nombreux débats, lois et rétropédalages étendus sur plus d’un demi-siècle depuis la Révolution française de 1789.
54 ans plus tôt, le 4 février 1794, la Convention nationale, inspirée par la philosophie des Lumières, votait déjà dans l'enthousiasme et avec une large majorité la première abolition de l'esclavage.
Ce décret concernait alors uniquement les colonies, l'esclavage sur le territoire métropolitain ayant été définitivement aboli par Louis X, en 1315. Les colonies concentraient alors la totalité des esclaves sous tutelle de la France, exploités dans les plantations pour le seul profit des colons. À Saint-Domingue, à la Martinique, en Guadeloupe, à La Réunion, à l'île Maurice, les esclaves devenaient ainsi théoriquement des hommes libres, jouissant des même droits que n'importe quel citoyen français.
Mais la guerre maritime avec l'Angleterre, qui occupait militairement plusieurs de ces îles, ainsi que l'opposition virulente d'une majorité de colons, empêchent la bonne application du décret, qui ne prendra finalement effet qu'à la Guyane, en Guadeloupe et à Saint-Domingue.
En 1802, lors de la paix d'Amiens signée avec la couronne britannique, qui stipule que l'Angleterre vaincue doit rendre à la France les territoires ultra-marins qu'elle lui a pris, Napoléon Bonaparte, pragmatique, prend la décision que « l’esclavage sera maintenu conformément aux lois et règlements » partout ou le décret du 4 février 1794 n'a pu encore être appliqué. L’empereur réduit ainsi en miettes tous les efforts entrepris par la Convention.
Le débat sur l'abolition définitive de l'esclavage va alors ressurgir à deux reprises.
Lors de la monarchie de Juillet tout d’abord, où la loi du 4 mars 1831 prévoit des sanctions très lourdes pour quiconque se livrerait à la traite négrière ; puis quelques années plus tard, en 1845, avec les lois Mackau, qui accordent pour la première fois un certain nombre de droits primordiaux aux esclaves.
Mais c’est à la suite de la révolution de février 1848 que l’idée d’arrêt définitif et non négociable de la traite des Noirs s’apprête enfin à se matérialiser.
Le gouvernement provisoire nomme alors Victor Schoelcher, un homme politique humaniste qui lutte avec ferveur contre l'esclavage depuis presque vingt ans, sous-secrétaire d'État aux colonies. Quelques jours plus tard, le 4 mars, Schoelcher est nommé par décret à la tête de la commission d'abolition de l'esclavage chargée de préparer l'émancipation. Le 27 avril, cette commission propose une série de décrets qui libèrent les esclaves en leur accordant le titre de citoyens ; ces décrets seront signés quelques jours plus tard par les membres du gouvernement.
C'en est fini, une fois pour toutes, de l’esclavage sur le territoire français.
Dans son édition du 5 mai, Le Moniteur universel publie un texte signé de la main de Victor Schoelcher, lequel explique toute la portée de cette abolition :
« La République n'entend plus faire de distinction dans la famille humaine.
Elle ne croit pas qu'il suffise, pour se glorifier d'être un peuple libre, de passer sous silence toute une classe d'hommes hors du droit commun de l'humanité.
Elle a pris au sérieux son principe ; elle répare envers ces malheureux le crime qui les enleva jadis à leurs pénates, à leur pays, en leur donnant pour patrie la France, et pour héritage tous les droits du citoyen français ; par là, elle témoigne assez hautement qu'elle n'exclut personne de son immortelle devise : Liberté, Égalité, Fraternité. »