Écho de presse

La sanglante partition des Indes en 1947

le 14/08/2024 par Pierre Ancery
le 06/11/2019 par Pierre Ancery - modifié le 14/08/2024
Carte des Indes au lendemain de l'indépendance (Union indienne en rouge et Pakistan en vert), Kümmerly & Frey, 1948 - source : Gallica-BnF
Carte des Indes au lendemain de l'indépendance (Union indienne en rouge et Pakistan en vert), Kümmerly & Frey, 1948 - source : Gallica-BnF

Le 15 août 1947, la fin de la domination britannique sur les Indes marque la naissance de deux États indépendants : l'Inde et le Pakistan. Une séparation qui s'accompagnera de terribles violences religieuses entre hindous et musulmans. La presse française parle alors de « véritable Saint-Barthélémy ».

En juillet 1947, le Parlement du Royaume-Uni effectue un vote qui va changer le destin de tout le sous-continent indien et des 410 millions habitants du Raj britannique.

L'Indian Independance Act met un terme à la présence coloniale britannique aux Indes et laisse place à deux États distincts. D'un côté, l'Union indienne (Inde actuelle) du Mahatma Gandhi et de Jawaharal Nehru, à la population majoritairement hindoue. De l'autre, le dominion du Pakistan de Muhammad Ali Jinnah, majoritairement musulman et lui-même divisé en deux régions : le Pakistan occidental (Pakistan actuel) et le Pakistan oriental (Bangladesh actuel).

Une décision qui met un terme à de difficiles tractations : Gandhi, Nehru et le gouvernement britannique étaient ainsi favorables à la création d'un seul État unifié. Mais la Ligue musulmane de Jinnah, estimant que la mise en minorité des musulmans au sein d'un État à majorité hindoue n'était pas acceptable, avait alors exigé la création d'un État pakistanais.

Exposition à la BnF

L'Invention du surréalisme : des Champs Magnétiques à Nadja.

2020 marque le centenaire de la publication du recueill Les Champs magnétiques – « première œuvre purement surréaliste », dira plus tard André Breton. La BnF et la Bibliothèque littéraire Jacques-Doucet associent la richesse de leurs collections pour présenter la première grande exposition consacrée au surréalisme littéraire.

 

Découvrir l'exposition

La séparation doit avoir lieu officiellement dans la nuit du 14 au 15 août 1947. « Les drapeaux rayés “L'Inde libre” flotteront demain pour le jour de l'indépendance », titre le journal communiste et anticolonialiste Ce Soir dans son édition du 15 août.

« Demain 15 août, l'indépendance des Indes sera proclamée. Partout se lèveront les étendards verts du Pakistan et les drapeaux rayés de l'Hindoustan.

Partout retentira le cri de ralliement des Indiens en lutte pour leur liberté : JAI HIND ! »

Une partition qui prend place dans un contexte d'intenses violences entre hindous et musulmans. Des violences qui touchent également la population sikh, très présente au Pendjab, une région qui s'apprête à être divisée entre Inde et Pakistan.

Ce Soir raconte ainsi les troubles qui ont lieu à Lahore, dans l'actuel Pendjab pakistanais :

« À la veille du jour où [...] sera consacrée […] la séparation de l’immense pays en Hindoustan et Pakistan (ce dernier État étant musulman), des troubles sanglants se sont produits, notamment dans la région de Lahore, c’est-à-dire dans la la province du Pendjab, dont le partage entre les deux nouveaux États n’est pas entièrement réglé […].

Cinq temples sikhs, ainsi que des dépôts de bols, ont été incendiés, et un épais nuage de fumée flotte sur la ville. Des magasins hindous et sikhs ont été pillés. 95 % des 500 000 Hindous et Sikhs de Lahore ont fui la ville. Il est pratiquement impossible de maîtriser les incendies.

La troupe a été amenée à tirer. »

Les violences sont d'autant plus intenses que les Britanniques ont accéléré le retrait de leurs troupes et laissent les habitants régler les litiges entre eux. La question du Cachemire, autre région frontalière, sera elle aussi cruciale.

Le lendemain de l'indépendance, France-Soir retranscrit toute la solennité du moment :

« Lentement, une horloge égrena les douze coups de minuit. Un projecteur s’alluma soudain.

Son rayon stria soudain la nuit d’un doigt lumineux et fixa sur le sommet de la citadelle de Lucknow, en plein cœur des Indes, éclairant le drapeau anglais qui depuis quatre-vingt-dix ans n’avait jamais été amené, flottant là-haut nuit et jour en commémoration de la grande victoire que les troupes anglaises avaient remporté en 1857 sur les Cipayes révoltés. Une sonnerie de trompes, brève, se fit entendre.

Lentement, le drapeau descendit pour la première et la dernière fois. Au même instant, à des centaines de kilomètres de là, à la Nouvelle-Delhi, le Pandit Nehru, premier ministre du nouveau Dominion de l’Inde, annonçait à 2 000 membres de l’Assemblée constituante :

“L'heure de notre indépendance vient de sonner.” »

Au même moment, un gigantesque exode a lieu. Les hindous du Pakistan fuient en direction de l'Inde, tandis que les musulmans d'Inde fuient vers le Pakistan. C'est l'un des plus grands déplacements de population de l'histoire : on estime qu'entre 1947 et 1950, environ 12,5 millions de personnes rejoignent l'un des deux nouveaux pays.

Partout, des heurts éclatent : des centaines de milliers de personnes – certaines sources les estiment à un million – y trouvent la mort. Le 11 septembre, le journal catholique La Croix compare les massacres à « une véritable Saint-Barthélémy ». « Des scènes d’horreur que le pandit Nehru qualifie de “honte pour son peuple” », titre le quotidien.

« Dans les deux cités de Delhi, disent les dépêches, les cadavres jonchent les rues et un nombre considérable de maisons sont brûlées. La troisième journée de pillages et de massacres, celle de mardi, a été la plus meurtrière.

Une véritable Saint-Barthélemy a mis aux prises Hindous et sikhs d'une part et musulmans de l’autre [...]. »

Alors que la liste des victimes ne cessent de s'allonger, Ce Soir annonce que Gandhi s'est lancé dans une grève de la faim pour protester contre la scission du pays, à laquelle il était à l'origine fermement opposé.

« Vingt-neuf personnes ont été tuées et trois cents blessées à la suite de bagarres entre Hindous et Musulmans, qui se sont produites lundi à Calcutta et au cours desquelles la police a fait usage de ses armes.

Le mahatma Gandhi a commencé un jeûne qu’il poursuivra “jusqu’à ce que la raison revienne à Calcutta”.

Dans la soirée d’hier, une foule de jeunes gens a attaqué sa maison. Les carreaux ont été brisés et des briques ont été jetées sur Gandhi qui a failli être atteint à la tête. »

Cinq mois plus tard, le 30 janvier 1948, Gandhi, qui avait travaillé inlassablement à la cessation des violences, sera assassiné par un extrémiste hindou.

En France, la douloureuse naissance des deux États interroge aussi le rapport des puissances coloniales européennes vis-à-vis de leurs colonies. « Mosaïque de peuples, l'Inde trouvera-t-elle l'unité ? » s'interroge par exemple le 24 août le journal catholique auvergnat Le Semeur, dans un article qui est surtout pour le journal l'occasion de pointer les supposées différences entre les colonialismes britanniques et français.

« Les méthodes coloniales des Anglais sont très différentes des nôtres, comme diffèrent les caractères des deux peuples. Le Français qui s’établit dans un pays nouveau et en assume la charge n’a pas de cesse que tout ce qui, à ses yeux, va mal, ne soit réformé […].

L’Anglais, lui, quand il s’installe dans un pays de vieille civilisation tel que les Indes, observe avec curiosité les mœurs si différentes des siennes, mais se garde bien de chercher à les reformer [...].

Il est bien probable, par exemple, que si les Français avaient eu la charge de gouverner les Indes, ils auraient tenté de mettre fin au régime des castes et, en particulier, d’assurer l'égalité à une trentaine de millions “d’intouchables” ; notre esprit d'égalité et de justice n’aurait pu s'accommoder de mœurs si contraires à notre idéal. »

Le rédacteur l'ignore encore, mais la partition de l'Inde sera le signal de départ des grands processus de décolonisation qui marqueront les décennies suivantes.

Le Bangladesh, ex-Pakistan oriental, est devenu indépendant en 1971. Les relations entre l'Inde et Pakistan, qui ont depuis la partition dégénéré à plusieurs reprises en conflit armé, restent aujourd'hui encore marquées par une grande tension. Notamment au Cachemire, territoire qui fait toujours l'objet d'un litige entre les deux nations.

Pour en savoir plus :

Christophe Jaffrelot, L’Inde contemporaine, de 1950 à nos jours, Fayard, 200

Urvashi Butalia, Les Voix de la partition : Inde-Pakistan, Actes Sud, 2002

Éric Paul Meyer, Une histoire de l'Inde : Les Indiens face à leur passé, Albin Michel, 2007