Le jour où Raymonde Dien se coucha sur les voies contre la guerre en Indochine
En 1950, la militante communiste Raymonde Dien s’oppose pacifiquement à un convoi de blindés en partance pour l’Indochine. Sa détention et sa condamnation par un tribunal militaire suscitent une vaste mobilisation organisée par le PCF.
En 1950, Raymonde Dien a 20 ans. Militante communiste, c’est une farouche opposante à la guerre, en particulier à celle qui occupe tous les esprits cette année-là : le conflit en Indochine, débuté en 1946, opposant dans cette large province d’Asie du Sud-Est annexée par la France l’Union française aux résistants indépendantistes du Viêt Minh communiste.
Le 23 février, le PCF apprend qu’un train transportant des blindés en partance pour Saïgon doit passer par la gare de triage de Saint-Pierre des Corps (Indre-et-Loire). Une manifestation est alors organisée pour protester contre l’acheminement de ces tanks. Pour bloquer physiquement le train, deux militants se couchent sur les voies : René Jannelle (un des secrétaires fédéraux du PCF) et Raymonde Dien.
Elle est toutefois la seule à être identifiée et arrêtée.
« Elle a vingt ans, un doux visage allongé, un clair sourire. Le mercredi 23 février, la porte de la prison de Tours s’est refermée sur elle.
Qu'a-t-elle donc fait, Raymonde Dien, pour être ainsi jetée parmi les condamnés de droit commun ?
Elle s’est couchée sur les rails, devant un train chargé de tanks qui devaient, après vérification, être expédiés au Viêt-Nam. C’était en gare de Saint-Pierre-des-Corps, et des centaines de partisans de la paix étaient à ses côtés… »
Commence alors une grande campagne organisée par le PCF – et évidemment relayée par L’Humanité – pour exiger sa libération. Les communistes de France, et notamment les femmes, se mobilisent contre l’incarcération de l’une des leurs.
« Des milliers de lettres venant des mamans qui ont des filles de 20 ans, comme Raymonde, venant, de toutes les mamans, de toutes les femmes, arriveront aux procureurs de la République de Tours et d’Orléans demandant la libération immédiate de Raymonde Dien. »
Du fond de sa cellule tourangelle, Raymonde Dien paraît sereine en attendant son procès. Elle écrit sa confiance dans les lettres à sa famille, à son parti et au secrétaire général de celui-ci, Maurice Thorez.
« J’ai confiance et j’attends ; je sais que le peuple tourangeau, que tous les communistes, que tous les partisans de la paix, dont les rangs s’agrandissent tous les jours, sauront arracher ma libération.
D’ailleurs, depuis mon arrestation, le Parti a déjà fait du bon travail et il continue, j’en suis fière. »
La lutte semble payer puisque le procureur annonce la mise en liberté provisoire de la militante à la fin du mois de mars. Mais immédiatement après, les partisans communistes apprennent avec stupeur que Raymonde Dien est sur le point d’être en fait transférée au Fort du Hâ, à Bordeaux, où elle comparaîtra devant un tribunal militaire.
« C’est un véritable coup de force du gouvernement qui avait été obligé, devant le vaste mouvement de protestation populaire, d’accorder à Raymonde Dien la liberté provisoire.
Le procureur l’avait annoncé aux avocats de la vaillante Combattante de la Paix, laquelle devait être libérée hier dans la journée.
C’est pour “l’interroger” que la justice militaire de Bordeaux aurait fait transférer Raymonde Dien à Bordeaux ! Illégalité flagrante, la justice civile étant déjà saisie de l’affaire. »
Jugée pour destruction de matériel militaire par l’armée, elle risque dans ce cadre la condamnation à mort. La mobilisation s’intensifie dans la ville de Bordeaux, comme l’évoque le quotidien de centre-gauche de l’après-guerre L’Aurore.
« Depuis son arrestation, la presse communiste n’a cesse de réclamer la libération de son “héroïne”.
Des télégrammes rédigés en sa faveur se sont accumulés sur la table du Juge d’instruction militaire. Au fur et à mesure qu’approchait la date du procès, la campagne communiste s’intensifiait. Les murs de Bordeaux se couvraient d’affiches reproduisant la photo de l’accusée et réclamant son acquittement. Le bitume des rues s’animait de “Libérez Raymonde Dien” inscrits en lettres géantes.
Depuis quelques jours enfin, à la sortie des usines, de jeunes communistes distribuaient aux ouvriers des tracts les appelant à manifester. Ajoutant l’insulte à la menace militaire, Raymonde Dien est incarcérée avec une espionne nazie qui attend, elle, d’être libérée. La presse communiste s’en indigne.
Le cas de cette jeune femme est particulièrement émouvant. Arrêtée parce qu’elle s’était couchée sur la voie devant un convoi de matériel de guerre, Raymonde Dien est emprisonnée depuis trois mois au Fort de Hâ, à Bordeaux. Cette magnifique patriote a été enfermée dans la même cellule qu’une nazie ! L’hitlérienne, en la voyant entrer, lui a dit :
“Ah ! On jette les patriotes en prison. Alors je serai bientôt libre !” »
Son procès s’ouvre le 31 mai dans des conditions houleuses : les grilles du tribunal n’ouvrent pas à l’heure dite, empêchant avocats et journalistes d’entrer.
Et lorsqu’ils peuvent enfin s’installer dans la salle du procès, nouveau rebondissement :
« Et voilà qu’à 10h30 le scandale éclate. Jamais, de mémoire d’avocats, on n’avait vu chose pareille. On nous annonce que le président du tribunal, qui vient d’être pris de coliques... néphrétiques, demande le renvoi du procès au 6 juin !
Énorme émotion dans la salle, le public proteste. Une femme lit tout haut l’acte d’accusation, elle le commente. Ça fait un véritable petit meeting en pleine salle d’audience. Les avocats vont parlementer.
À 1h30, les juges, blêmes, sont entrés. D’une voix bredouillante, le plus âgé annonce que le procès est remis à aujourd'hui 15 heures.
“En principe”, crie le commissaire. “En principe !” répète le juge docile. »
Finalement le procès qui s’est finalement ouvert à 15h se termine douze heures plus tard, à 3h du matin. À l’issue de longs débats, Raymonde Dien est condamnée à un an de prison ferme par le tribunal militaire pour avoir entravé la marche d’un convoi militaire quoiqu’en ne se livrant à aucune violence.
Elle sera libérée le 25 décembre 1950 et célébrée comme une héroïne par la presse communiste : « l’héroïne tourangelle n’est plus dans un cachot du fort du Hâ ».
La jeune femme, qui a fêté ses 21 ans en prison, retrouvera le lendemain sa famille et ses camarades. Comme la prison n’a en rien entamé son militantisme, ses premiers mots officiels dès son arrivée à Tours seront pour les autres militants pacifistes emprisonnés :
« Maintenant, il faut libérer Henri Martin et les autres, tous les autres. »
Le conflit, que l’on nommera bientôt la Guerre d’Indochine, aboutira à l’issue du conflit sur environ 1,5 million de morts, blessés et prisonniers. On estime à 150 000 le nombre de civils tués par les forces en présence.
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Pour en savoir plus :
Michel Bodin, Les Combattants français face à la Guerre d'Indochine, Paris, L’Harmattan, 1998
Ivan Cadeau, La Guerre d'Indochine : de l'Indochine française aux adieux à Saigon, 1940-1956, Paris, Tallandier, 2015