Guerre d’Espagne : Simone Téry se saisit de l’appareil photo
Célèbre reportrice de plume de la presse de gauche des années 1930, Simone Téry s’est, pendant la Guerre d’Espagne, intéressée à la photographie. Moins réputés que ses denses articles, les clichés de Téry n’en demeurent pas moins des témoignages saisissants du conflit.
Intéressons-nous maintenant à une autre figure de reporter de plume qui se met à la photo, et non des moindres puisqu’il s’agit de Simone Téry, déjà fort célèbre lorsqu’elle arrive en Espagne au début du mois de février 1937. Si elle publie principalement pour le compte de L’Humanité et de Regards, elle signe aussi des reportages dans d’autres périodiques, dont certains vont être ici évoqués.
Le 4 mars 1937, la Une de Regards, comme c’est souvent le cas, publie une photo pleine page. Elle porte le titre « Sur la route avec les enfants qu’on évacue de Madrid », dont le lecteur comprend qu’il est celui de l’« émouvant récit de Forrest », annoncé en bas de la photo. Celle-ci montre des poings levés, des visages souriants mais aussi préoccupés : elle saisit avec prégnance le mélange de ferveur et d’anxiété qui habite désormais cette guerre où les forces fascistes soumettent les populations civiles à des bombardements terribles et incessants.
William Forrest est un journaliste britannique, qui couvre la guerre d’Espagne depuis le coup d’Etat, pour le compte de périodiques britannique et français. Son reportage présent débute en page 5, où l’on retrouve les poings levés, brandis par des « mères dis[a]nt au revoir à leurs enfants que le car emmène loin de Madrid » :
La fin du reportage de Forrest se situe en page 8, de nouveau illustré par des photos, mais qui cette fois-ci laissent place à la détresse, à l’angoisse du départ avant l’évacuation ; l’une d’elles montre, aussi, un enfant blessé, justification éloquente de la nécessité de cette évacuation.
Là, surprise : en-dessous de la signature de l’auteur du reportage, « Forrest », apparaît la mention « Photos Simone Téry ».
Que celle-ci ait pu imposer ses photos pour illustrer l’article d’un confrère – sans omettre que l’une d’entre elles ait été accueillie en Une de Regards ! — montre à la fois la reconnaissance de l’hebdomadaire pour son travail photographique, mais aussi une volonté de celle-ci de s’inscrire dans cette pratique professionnelle.
Rien d’étonnant, par conséquent, que, la semaine d’après, on trouve stipulé pour l’un de ses reportages : « Textes et photos de notre envoyée spéciale » :
On relève même, en page 3 du quotidien radical L’Œuvre du 3 avril, une photographie ainsi légendée : « Margarita Nelken, député d’Estramadure aux Cortès, s’entretient sur le front de Jarama avec les officiers du bataillon qui porte son nom (photo prise et rapportée d’Espagne par Simone Téry) ». Ce, alors qu’elle ne publie pas ce jour-là un reportage de plume dans ce journal, auquel elle collabore pourtant ponctuellement.
Signe de l’intérêt revêtu par cette photo, et également des possibles démarches effectuées par Téry pour la populariser, elle est reprise le 8 avril dans Regards, en page intérieure, et toujours dûment créditée :
Simone Téry nous intéresse, en outre, parce qu’elle informe le lecteur de sa pratique photographique. « Je prends des photos », mentionne-t-elle par exemple dans son reportage du 17 avril pour L’Avant-garde, l’organe des jeunesses communistes.
Ces notations diverses inscrivent la reportrice dans la revendication – même non formulée – d’un double statut, et montrent chez elle une revendication dudit statut et par conséquent une certaine auto-estime pour sa production photographique. Une posture de photographe, de photo-reportrice adoptée par Téry. Laquelle sait parfaitement ce qu’elle fait, elle qui côtoie ses confrères photoreporters de guerre et dont des reportages ont parfois été assortis de leurs clichés, tel par exemple le 18 mars 1937, des « Photos Capa et Taro » :
Les crédits des photos de Téry, les notations par sa plume de sa pratique photographique permettent de conjecturer sur l’origine de nombreuses photos non créditées provenant d’elle-même comme de certains de ses confrères ou consœurs. Ainsi est-il fort probable que cette photo de destructions en dernière page de Regards du 31 mars 1938, annonçant son reportage de plume, provienne de son appareil :
Autre exemple. En mars 1938 est créé Messidor, organe de la CGT dirigé par Léon Jouhaux, secrétaire général de l’organisation syndicale, lequel va faire appel au célèbre Lucien Vogel – ancien mythique directeur de Vu – pour en être le directeur technique. Grâce à ce dernier, Messidor publiera de nombreuses photographies, notamment de Robert Capa.
Le 1er avril, la Une annonce un reportage de Simone Téry, « Devant les morts de Barcelone », reportage mis en avant par la couleur dont il bénéficie, la même que celle du titre de l’hebdomadaire ; par, également, la photographie qui orne la page. Une photographie qui, si elle ne concerne pas la morgue de Barcelone dans laquelle la reportrice va entraîner le lecteur, est prise dans la capitale catalane. Elle est, très probablement, issue de l’œil de Téry.
Réfugiés, destructions, politiques visitant les tranchées, scènes de la vie quotidienne dans une ville en guerre… La reportrice de guerre à la plume talentueuse tenta de transférer dans l’image photographique les descriptions qu’elle traçait dans ses articles. On peut penser, aussi, grâce à ses remarques dispersées, que la photo lui permettait de mettre une distance avec l’insupportable auquel elle était confrontée.
Sa pratique photographique atteste en tout cas d’une volonté de s’inscrire dans ce genre journalistique. Peut-être, aussi, ces divers reporters de plume tentés en cette guerre d’Espagne par le photoreportage, révèlent-ils une prise de conscience de l’inauguration de l’omnipotence de l’image sur l’écrit.