Chronique

Après la Guerre d’Espagne : la retirada photographiée

le 03/11/2022 par Anne Mathieu
le 28/09/2022 par Anne Mathieu - modifié le 03/11/2022
Arrivée en gare de Bourges de familles de Républicains en fuite, Regards, février 1939 - source : RetroNews-BnF
Arrivée en gare de Bourges de familles de Républicains en fuite, Regards, février 1939 - source : RetroNews-BnF

La guerre, ce n’est pas uniquement le terrain des combats, des destructions, c’est aussi ce qu’elle engendre : l’exode. Les photoreporters que nous allons côtoyer ici montrent la guerre d’Espagne en dehors du territoire où elle a lieu – en l’occurrence en France.

Le reportage de guerre, c’est aussi, dans ses suites, ce que nous nommons dans nos travaux le reportage en temps de guerre. Mais avant le départ pour l’ailleurs inconnu, il y a la préparation au départ. Celle-ci pourrait être symbolisée par cette Une du 27 janvier 1939 de l’hebdomadaire de la CGT, Messidor, qui offre à voir aux lecteurs une photo poignante :

Cette photo, non créditée, qui sera publiée dans moult périodiques, est de Robert Capa. Elle a été prise à Barcelone, tombée aux mains des franquistes le 26 janvier 1939.

Commence alors la Retirada, la « retraite », cet immense exode des républicains espagnols vers la frontière française – et aussi des étrangers qui vinrent combattre le fascisme en Espagne.

Les photos de Capa sont nombreuses, souvent célèbres, de la route vers l’exil aux « camps de concentration » français, ces camps d’internement dans lesquels l’État français parqua les Espagnols, et, pour reprendre les mots de la reportrice Madeleine Jacob dans Messidor, les traita « comme des chiens ».

C’est à d’autres photos, moins connues, et fort souvent totalement oubliées, auxquelles nous allons prêter attention. Provenant du référencement issu de nos recherches, ces photos nous emmènent d’Espagne à la frontière, des camps d’internement aux centres d’accueil des réfugiés.

Après la chute de Barcelone, les journaux français, et notamment ceux ayant épousé la cause antifasciste, se remplissent de photos prises sur le chemin de l’exil. Telles celles en Une du quotidien L’Œuvre du 30 janvier 1939, la seconde faisant partie de ces photos mille fois publiées dans la presse de l’époque, et demeurant jusqu’à nos jours l’un des symboles du calvaire que connut cette population en partance :

NOUVEAU

RetroNews | la Revue n°4

Quatre regards pour une histoire environnementale, un dossier femmes de presse, un chapitre dans la guerre, et toujours plus d'archives emblématiques.

COMMANDER

Même le quotidien de la SFIO, Le Populaire, en ces semaines dramatiques, fait appel plus qu’habituellement à l’image. Des images non créditées, comme c’est en général le cas dans ce journal, et qui mériteraient une attention importante tant certaines d’entre elles transmettent avec puissance la détresse de ce peuple. Ici, au Perthus :

Le passage de la frontière au Perthus est l’occasion de voir apparaître deux noms dans le quotidien Ce soir, lequel leur offre les honneurs de sa Une et aussi de sa fameuse dernière page. Il s’agit de Jean Buriot, reporter, et de Jean Arnaudin, ingénieur téléphoto – présentés comme tels par le journal. Par exemple, en ce 9 février 1939, en dernière page. « Frontière douloureuse », indique une des légendes…

Les camps de triage, puis les camps d’internement seront la destination première des réfugiés espagnols. Le camp d’Argelès est particulièrement photographié, et notamment par ces deux journalistes. Toutefois, on retrouve aussi Jean Buriot, seul, le 13 février, en dernière page. Ce jour-là, nous avons aussi le témoignage d’une action d’un reporter envers les réfugiés : « […] le large sourire qui éclaire son visage est un merci », précise l’une des légendes.

« Notre reporter vient de lui donner quelques paquets de cigarettes pour ses amis et pour lui. »

Difficile d’être reporter, de se confronter à ce drame humain, et de ne point porter secours, de ne pas apporter un peu de réconfort…

Et puis, il y a aussi les photos des réfugiés sur le chemin vers leur nouvelle vie, à travers la France. Celles prises dans les trains sont significativement nombreuses. Dans L’Humanité le 3 février, on remarque cette scène, saisie à Villeneuve-Saint-Georges, dans un wagon. Non créditée, elle émane très probablement du correspondant local.

Le lendemain, c’est cette fois-ci à Juvisy que l’appareil s’empare du visage de ces femmes et de ces enfants en route vers un nouveau futur, loin de leur terre de naissance.

Des reporters sillonnent la France, pour couvrir ces transferts de réfugiés, pour, surtout, rendre compte de la façon dont ils sont accueillis, hébergés, dans les divers coins de l’Hexagone.

A Caen, par exemple, la reportrice Germaine Decaris, qui a couvert antérieurement d’autres arrivées de réfugiés, décrit pour L’Œuvre comment l’ancienne gare Saint-Martin a été aménagée pour pouvoir les accueillir. Son reportage, publié en deux volets, est accompagné de clichés, non crédités, et probablement pris par elle. Ils servent en tout cas d’illustration parfaite au récit de la reportrice. Tel, ce 12 février, où sont publiées des photos en Une et en page intérieure :

Les reporters se rendent aussi dans des centres créés par des organisations militantes. A Vouzeron, dans le Cher, le Syndicat des métallurgistes a ouvert les portes de sa colonie. C’est la reportrice Édith Thomas, laquelle a aussi eu l’occasion antérieurement de couvrir l’arrivée des Espagnols en France, qui est, ici, envoyée spéciale de Regards.

Son article, composé sur trois pages, est accompagné des clichés du photojournaliste Alexis Léveillé. Des clichés qui montrent combien la vie des réfugiés oscille entre deux états : la douleur persistante de ce qu’ils viennent de vivre ; le soulagement d’être loin de la guerre et de renaître à la vie. Un sourire naissant sur le visage de cette petite fille est immortalisé par Alexis Léveillé :

Ce « reportage photographique » d’Alexis Léveillé auquel Regards donne la part belle est un exemple parmi d’autres de tous ces clichés crédités ou non crédités pris sur le territoire français dans les suites de la guerre d’Espagne. Ils furent l’œuvre de photoreporters, de reporters de plume, de correspondants, qui recueillirent l’information sur ce que la guerre produit sur les populations civiles, sur ce qu’est concrètement l’exil et ce qu’il représente.

L’histoire du photoreportage en temps de guerre d’Espagne sur le territoire français demeure à écrire.

Pour en savoir plus :

Anne Mathieu., Nous n’oublierons pas les poings levés. Reporters, éditorialistes et commentateurs antifascistes pendant la guerre d’Espagne, Syllepse, 2021 

Europe, « Ecrivains et reporters dans la guerre d’Espagne », n° 1118-1119-1120 (Anne Mathieu, Coord.), juin-juillet-août 2022