1870 : La sanglante bataille de Sedan
1er septembre 1870, Sedan est le théâtre d'un affrontement décisif entre les forces du roi de Prusse et celles de l'Empire français. La bataille est vivement commentée dans la presse.
Donnant lieu à des interprétations parfois éloignées de la vérité, mais aussi à la publication de documents historiques tels que la correspondance de Guillaume Ier dans Le Figaro (voir plus bas), la bataille de Sedan est extrêmement médiatisée durant le mois de septembre 1870.
Le 4 septembre 1870, le Petit Journal annonce "La Victoire de Sedan" :
"Quel nom donnera l'histoire au combat gigantesque qui, depuis le second jour de cette semaine, se livre dans l'Argonne? [...] Les renseignements qui nous arrivent de toutes parts suffisent à nous montrer qu'elle a glorieusement débuté pour nous."
Le récit de la bataille est détaillé sur six colonnes et se conclut en laissant penser que Guillaume Ier n'a pas survécu à l'affrontement.
"Les Prussiens fuient. Tout le centre de leur armée, sans ordre, sans cesser d'être foudroyé par nos batteries, vient se répandre sur la rive gauche de la Meuse, dépasse les débris encore fumants de Mouzon, et ne parvient à se reformer qu'à Villemontry, à quatre ou cinq kilomètres en arrière de Mouzon. [...] D'ailleurs, si nous devons, – par une discrétion que chacun comprendra, taire quelques-uns des faits parvenus à notre connaissance; nous pouvons bien nous adresser aux dépêches prussiennes. Or, fait significatif, depuis trois jours: « Augusta est sans nouvelles. » Augusta, c'est Madame Guillaume, la reine de Prusse."
Le Temps, paru la veille, est moins triomphaliste et rapporte dans son "bulletin du jour" une série d'informations qui ne permet pas de connaître réellement l'issue de la bataille. Le journal contredit la dépêche du roi de Prusse qui annonce la victoire de ses troupes, tout en admettant l'ampleur des pertes françaises.
"Ce qui semble s’en dégager le plus nettement, c’est que le 30 la situation militaire de Mac-Mahon aurait été un moment compromise par l’issue d’une attaque de l’ennemi [...]. D’après le Public, ces troupes placées dans une mauvaise situation, et d’ailleurs encore surprises par les assaillants auraient fini par céder à une sorte de panique et par être refoulées ; c'est à cet événement que se rapporte sans doute la triomphante dépêche du roi de Prusse, et les renseignements publiés par le ministère de l’intérieur constatent eux-mêmes que les alternatives de la première journée nous ont coûté des pertes sensibles."
Les succès des armées de Napoléon III lors de la bataille du 31 août sont évoqués au conditionnel comme étant "ce qui paraît résulter [...] de l’ensemble dès informations relatives aux événements du 31 août" :
" [...] La fortune des armes nous aurait été plus favorable, et que nos troupes auraient, après de sanglants engagements, forcé les Prussiens à reculer en leur infligeant des pertes énormes. Suivant les communications officielles, c’est sous le feu même de Sedan qu’aurait eu lieu le fort du combat, et les canons de la place y auraient joué un rôle important."
La prudence voire l'incertitude du journaliste quant au déroulé des opérations militaires est mise en exergue par des faits que le rédacteur juge "plus certains". Il questionne également des éléments dont, selon lui, dépend la victoire.
"Ce qui est plus certain, c’est la jonction avec l’armée de Mac-Mahon du corps du général Vinoy, parti ces jours-ci de Paris. Une question qui demeure encore obscure, est celle de savoir dans quelle mesure l’armée du prince royal de Prusse a participé aux luttes de ces trois jours ; la solution de cette question est très importante pour permettre d’apprécier les chances définitives de succès du mouvement de MacMahon, en ce moment évidemment arrêté à Sedan"
Le 5 septembre, la cuisante nouvelle tombe : les armées françaises ont été écrasées, Sedan a été prise et Napoléon III a capitulé. Le Petit Journal relaie l'information dans un numéro entièrement consacré aux actualités militaires :
"Un grand malheur frappe la patrie. Après trois jours de luttes héroïques soutenues par l'armée du maréchal de Mac-Mahon contre 300,000 ennemis, 40,000. hommes ont été faits prisonniers.
Le général Wimpffen, qui avait pris le commandement de l'armée, en remplacement du maréchal Mac-Mahon, grièvement blessé, a signé une capitulation."
Thomas Grimm, le journaliste qui la veille annonçait la déroute des Prussiens et la victoire de Napoléon III s'explique :
"Oui, hier, en écrivant les lignes qui, hélas ! à l'heure où vous les avez parcourues, n'étaient plus qu'un trompeur espoir ; hier, en ajoutant quelques mots à la hâte au résumé de la bataille du 31 août, de la victoire du 31 août, mon cœur battait de joie et d'espérance."
Il exhorte ensuite les Français à oublier ses pages qui relatent la bataille de Sedan pour se préparer à mener la suite de la guerre.
"Il y a d'ailleurs mieux à faire qu'à écrire l'histoire de ces deux lamentables et glorieuses journées. Déchirons-là plutôt, cette page, et préparons la page suivante. Nous avons perdu des ressources. La France en a d'autres, riches, nombreuses. Un sang généreux a coulé. Il fécondera notre sol et en fera sortir de nouveaux bataillons."
Le 12 septembre Le Figaro publie "le récit de la bataille de Sedan, écrit par le roi Guillaume à la reine Augusta". Le journaliste met en avant l'importance d'un tel document "dans l'histoire du mois de septembre 1870".
Dans sa correspondance Guillaume Ier fait part à son épouse de sa grande émotion face au dévouement de ses troupes, au tournant historique que marque la victoire des Prussiens ainsi qu'à sa rencontre avec Napoléon III suite à son abdication.
" Tu connais maintenant par mes trois télégrammes toute l'étendue des grands événements historiques qui se sont accomplis. C'est comme un réve, lors même qu'on les a vus se dérouler heure par heure !
Quand je pense qu'après une grande guerre heureuse je ne pouvais rien attendre de plus glorieux pendant mon règne, et qu'aujourd'hui pourtant je vois s'accomplir de tels faits historiques [...]. Tout ce que j'éprouvais en ce moment, après avoir vu, il y a trois ans, Napoléon au fait de sa puissance, ne peut s'exprimer. Après cette entrevue [ndr : avec Napoléon III] de deux heures et demie à sept heures et demie, je parcourus à cheval le campement de toute l'armée devant Sedan. L'accueil des troupes, mon impression en revoyant le corps de la garde décimé, tout cela je ne puis aujourd'hui te le décrire ; j'ai été profondément touché par tant de témoignages d'amour et de dévouement. Maintenant je te dis adieu, le cœur ému, en finissant une telle lettre. GUILLAUME."
Le 18 janvier 1871, dans la gallerie des Glaces de Versaille, le roi Guillaume Ier devient Deutscher Kaiser. L'Empire allemand est proclamé, ébauchant ainsi l'Allemagne contemporaine. Deux jours plus tard, le gouvernement de la Défense nationale demande l'armistice : la défaite française entrainera l'annexion de l'Alsace-Lorraine qui ne rentrera dans le giron national qu'en 1919.