Iéna : la victoire française qui scella le sort de la Prusse
La bataille d'Iéna, traumatisante pour la Prusse, fait partie des épisodes mythiques de l'épopée napoléonienne. La presse officielle de l'époque en relata tous les détails.
Octobre 1806. Frédéric-Guillaume III de Prusse est inquiet : Napoléon réorganise le Saint-Empire en une Confédération du Rhin beaucoup trop favorable à la France. Il lance un ultimatum à l'empereur des Français, le sommant de quitter la Prusse et les États allemands. Napoléon refuse : c'est la guerre.
La Grande Armée (180 000 hommes) avance en Prusse, avec Berlin pour objectif. Napoléon envoie Davout au nord et Ney au sud : l'armée prussienne se scinde en deux. Le 13 octobre, l'empereur voit les Prussiens, dirigés par le prince de Hohenlohe, repliés près de la ville de Iéna (centre-est de l'Allemagne actuelle), dans une petite vallée encaissée. C'est là qu'aura lieu la bataille décisive.
Le Journal de l'Empire (27 octobre) raconte l'idée de Napoléon pour surprendre l'ennemi :
« L'Empereur arriva à Jena ; et sur un petit plateau qu'occupait notre avant-garde, il aperçut les dispositions de l'ennemi qui paraissait manœuvrer pour attaquer le lendemain […].
L'ennemi défendait en force, et par une position inexpugnable, la chaussée de Jena à Weimar, et paraissait penser que les Français ne pourraient déboucher dans la plaine sans avoir forcé ce passage. Il ne paraissait pas possible en effet de monter de l'artillerie sur le plateau, qui d'ailleurs était si petit, que quatre bataillons pouvaient à peine s'y déployer. On fit travailler toute la nuit à un chemin dans le roc, et l'on parvint à conduire l'artillerie sur la hauteur. »
Les artilleurs, menés par Lannes, s'installent sur le plateau pendant la nuit. Placées en surplomb, les forces napoléoniennes s'assurent un avantage décisif dès le début de la bataille. À l'aube, Napoléon s'avance parmi ses troupes.
« Un brouillard épais obscurcissait le jour. L'EMPEREUR passa devant plusieurs lignes. Il recommanda aux soldats de se tenir en garde contre cette cavalerie prussienne qu'on peignait comme si redoutable […]. À ce discours animé, le soldat répondit par des cris de marchons ! »
Puis c'est l'assaut :
« Les tirailleurs engagèrent l'action. La fusillade devint vive. Quelque bonne que fût la position que l'ennemi occupait, il en fut débusqué ; et l'armée française, débouchant dans la plaine, commença à prendre son ordre de bataille. »
L'arrivée de deux nouvelles divisions commandées par le maréchal Ney met fin à tout espoir de victoire prussienne :
« La cavalerie, l'infanterie prussienne ne purent soutenir leur choc. En vain l'infanterie ennemie se forma en bataillons carrés, cinq de ses bataillons furent enfoncés ; artillerie, infanterie, cavalerie, tout fut culbuté et pris. Les Français arrivèrent à Weimar en même temps que l'ennemi, qui fut ainsi poursuivi pendant l'espace de six lieues. »
La victoire française, effectivement écrasante (15 000 Prussiens tués et blessés contre 7 000 Français), prend dans la presse officielle des proportions mythiques. Comme pour la plupart des batailles napoléoniennes, celle d'Iéna comporte son lot d'épisodes légendaires, comme cet échange verbal entre l'empereur et ses soldats, relayé par le Journal de l'Empire et passé depuis à la postérité :
« Au fort de la mêlée, l'EMPEREUR, voyant ses ailes menacées par la cavalerie, se portait au galop pour ordonner des manœuvres et des changements de front en carrés ; il était interrompu à chaque instant par des cris de vive l'EMPEREUR ! La garde impériale à pied voyait avec un dépit qu'elle ne pouvait dissimuler, tout le monde aux mains, et elle dans l'inaction.
Plusieurs voix firent entendre les mots en avant ! "Qu'est-ce ? dit l'EMPEREUR ; ce ne peut être qu'un jeune homme qui n'a pas de barbe et qui ne peut préjuger ce que je dois faire ; qu'il attende qu'il ait commandé dans trente batailles rangées, avant de prétendre me donner des avis." »
Combinée avec la victoire simultanée de Davout à Auerstedt, la bataille d'Iéna pousse la Prusse à s'incliner devant l'Aigle. Le 27 octobre, Napoléon entre à Berlin. La défaite est traumatisante pour les Prussiens, qui en garderont pendant tout le XIXe siècle une haine mêlée de fascination envers l'empereur français. Voyant ce dernier passer à cheval le jour même près de l'université d'Iéna, le philosophe Hegel écrira avoir vu en lui « l'âme du monde ».
En 1871, lors de la proclamation de l’Empire allemand à Versailles, Bismarck dira : « Sans Iéna, pas de Versailles ».