Écho de presse

1920 : le Bloody Sunday endeuille l'Irlande

le 20/11/2024 par Marina Bellot
le 20/11/2017 par Marina Bellot - modifié le 20/11/2024
Illustration : Des patrouilles dans les rues de Dublin et la foule aux portes d'un hôpital pour l'identification des corps - Le Matin du 25 novembre 1920 - Source : RetroNews BnF

Le 21 novembre 1920 à Dublin, des violences opposent des militants indépendantistes aux forces britanniques. Trente morts, des centaines de blessés : cette journée tragique restera dans l'histoire sous le nom de « Bloody Sunday ».

1919-1920. L'Irlande se déchire autour de la question de son indépendance. La campagne nationaliste irlandaise incite à la mobilisation populaire et à la création d'un « État dans l'État », en opposition au pouvoir britannique.

Un mois avant la journée sanglante qui restera dans l'histoire comme le Bloody Sunday, un journaliste des Annales politiques et littéraires dépeint une situation explosive :

« Il n'y a peut-être jamais eu par le monde de situation plus paradoxale que celle de l'Irlande. Voilà un pays qui, nominalement, fait partie intégrante de la couronne britannique et qui, en réalité, depuis trois ans, mais surtout depuis les élections de décembre 1918, se comporte comme un État indépendant, une république autonome.

Le Sinn Féin [le parti nationaliste irlandais] n'était d'abord qu'une minorité turbulente et sans grande influence politique. [...] La question n'a peut-être pris tant de gravité que parce que l'Angleterre n'avait jamais cru bien sérieusement jusqu'ici au péril irlandais. »

Agitation, crise, conflit... Les journaux relatent les premiers mois de cette guerre d'indépendance sans savoir précisément comment la nommer. Jusqu'au 21 novembre 1920 qui fait basculer les violences à un niveau jamais atteint.

La journée commence avec l’assassinat de 14 agents britanniques ou de leurs informateurs par l'Armée républicaine irlandaise sur les ordres du ministre des Finances irlandais, Michael Collins. Le soir même, la police anglaise investit un terrain de football pendant un match à Dublin et ouvre le feu sur la foule, faisant 14 morts et 65 blessés.

Les nouvelles arrivent de Londres, au compte-goutte, le 22 novembre.

L'Écho de Paris relate :

« À Dublin, 12 officiers anglais ont été tués. Des portes de maisons ont été forcées, les occupants ont été tués, on compte une dizaine de morts. »

Alors que les télégrammes de Londres se succèdent, l'ampleur des violences se précise. Le Gaulois rapporte ainsi :

« Il y a au total 11 hommes tués et 5 blessés au cours des attaques qui ont été dirigées aujourd'hui contre des officiers. Les victimes ont été attaquées chez elles, ces officiers n'habitant pas à la caserne. Les autorités militaires et la police ont fait des perquisitions dans toute la ville, qui est en proie à la terreur, craignant des représailles. »

Les représailles ont bientôt lieu. La presse française, horrifiée, raconte le terrible affrontement entre les partisans du Sinn Féin et les forces britanniques. Dans Le Temps, on peut lire le 23 novembre :

« Un match de football avait lieu sur un terrain situé au nord-est de Dublin, 15 000 personnes y assistaient. Peu après le début du match, on vit arriver un détachement de soldats armés de mitrailleuses automobiles. [...]

Lorsqu’elles arrivèrent sur le terrain, elles furent accueillies par des coups de feu tirés par les sentinelles sinn-feiners. Ce fut le signal d’un engagement général. Les fusils et les mitrailleuses entrèrent en jeu ; la foule répondit et on assista alors à un véritable combat.

Une panique s’ensuivit au cours de laquelle des femmes et des enfants furent foulés aux pieds. Dix sinn-feiners furent tués pendant le combat et un grand nombre de spectateurs, de 60 à 70, déclare-t-on, furent blessés. »

Le conflit s'est mué en drame. « Dans l’Irlande insurgée, une seule loi se dresse aujourd’hui sur les ruines de toutes les lois : c’est la loi du talion », s'inquiète L'Ère nouvelle, tandis que L'Homme libre note de manière prémonitoire :

« La journée de dimanche, à Dublin, si fertile en tragédies, semble devoir être suivie d'une recrudescence terrible de l'agitation qui déchire l'Irlande depuis de longs mois. Les événements d'avant-hier sont à la fois une résultante d'événements antérieurs et probablement la raison déterminante de futurs attentats dans cette chaîne sans fin de meurtres et de répression. »

Cette journée entachera largement la crédibilité du Royaume-Uni en Irlande.

Entre janvier et juin 1921, le nombre de victimes s'élève à 1 000 morts, tous camps confondus. Une trêve sera signée en juillet, mais elle n'empêchera pas l'Irlande de sombrer dans une guerre civile moins d'un an plus tard, en juin 1922.