La première victoire militaire de Napoléon Bonaparte
En 1793, Bonaparte, 24 ans, fait pour la première fois la démonstration de son génie militaire avec les troupes de la Convention : il reprend Toulon aux Anglais.
Révoltés par la mise à mort de Louis XVI le 21 janvier 1793, les provençaux se soulèvent massivement contre la Convention dans les mois qui suivent. Plusieurs villes entrent alors en insurrection.
À Toulon, place fortifiée hautement stratégique, les chefs royalistes sollicitent le soutien de l'amiral Hood et de sa flotte composée de vaisseaux de guerre anglais et espagnols. Le 28 août, 17 000 soldats britanniques, espagnols et napolitains prennent ainsi pied dans la baie des Islettes alors que dès le lendemain, la flotte anglo-espagnole entre en rade de Toulon et s'empare du port.
Stationnée dans la région après avoir ramené l'ordre républicain à Marseille et à Avignon, l'armée des « Carmagnoles », commandée par le général Carteaux, entre alors en action en engageant le combat, sans grand résultat malgré le renfort de plusieurs régiments de l'armée d'Italie.
Nommé le 16 septembre en remplacement du lieutenant-colonel Dommartin, blessé lors des affrontements, le jeune capitaine Bonaparte, 24 ans, découvre une situation peu favorable aux troupes de la Convention lorsqu'il prend ses fonctions.
Dans son édition du 17 décembre, le Mercure universel revient sur les difficultés qui attendaient les assiégeants :
« Il faut observer en outre que le vent d'Est, qui nous prive de tout secours par mer, soit d'Arles, soit de Sète, est presque continuel, et le même vent mène tout à nos ennemis ; enfin ne recevroient-ils pas d'autres forces, avec la position de Toulon, ils sont plus que suffisans pour ne pas craindre nos attaques.
Il faudroit mieux de la moitié de monde que nous sommes ; faire des tentatifs avec ce nombre, c'est sacrifier inutilement nos frères ; attendre d'être renforcés, nos ennemis peuvent l'être proportionnellement, et la famine est certaine. »
Bonaparte comprend très vite qu'il faut empêcher les navires britanniques stationnés en mer de ravitailler les troupes qui tiennent la ville. Après avoir reconnu le terrain, et tenté de reprendre sans succès les fortins de l'Éguillette et de Balaguier qui protègent la rade, il établit des batteries d'artillerie sur les hauteurs de Saint-Laurent et sur le rivage de Brégaillon.
Le 1er octobre, Bonaparte fait réquisitionner toute l'artillerie disponible pour un grand bombardement sur le fort de Malbousquet, dont la reddition permettrait de libérer la ville. C'est finalement lors d'une contre-attaque menée le 30 novembre par Dugommier, qui a remplacé Carteaux, et par Bonaparte, pour reprendre une batterie d'artillerie, que le général britannique O'Hara est fait prisonnier. Voyant que la situation échappe à ses troupes, ce dernier entame des négociations en vue d'une reddition honorable.
Le 16 décembre, le fort de Malbousquet, mais aussi celui du Faron, est enfin pris par le général La Poype et les fortins de l'Éguillette et de Baladier, menacés par l'artillerie du général Marmont, sont évacués sans combat. C'est la débandade.
Le 19 décembre, tout est fini et les troupes de la Convention entrent dans la ville. S'ensuit alors une terrible répression, pendant laquelle plus de mille Toulonnais sont passés par les armes pour avoir trahi la patrie.
Les Anglais quant à eux, mauvais perdants, décideront, avant de partir, de piller et de saccager les vaisseaux de guerre français stationnés dans la rade.
Le 31 janvier 1794, le Mercure universel fait rétrospectivement état de cet épisode peu glorieux :
« Lord Hood a emmené avec lui trois vaisseaux de ligne, qui sont Le Commerce de Marseille, le Pompée et le Puissant, et sept ou huit corvettes, frégates ou bombardes ; son escadre a été augmentée de la frégate la Modeste, prise à Gênes, et de la corvette la Claire, de sorte que voici le sommaire du sort des trente-et-un vaisseaux trouvés dans le port de Toulon : quinze brulés, huit échappés aux flammes, trois emmenés par Lord Hood, le Scipion brulé à Livourne, et quatre envoyés dans les ports du Ponent avec les marins réfractaires. »
Quoi qu'il en soit, la reprise de la ville de Toulon était d'un intérêt vital pour la Convention. Pour célébrer cette victoire éclatante, cette dernière prend une série de mesures, dans un décret rédigé le 24 décembre, dont Les Annales patriotiques et littéraires de la France se font l'écho dans leur édition du lendemain :
« Sur proposition de son comité, la Convention nationale décrète :
Art. I. L'armée qui a vaincu Toulon a bien mérité de la patrie.
II. Il sera célébré une fête nationale, décadi prochain, à Paris, et le premier décadi, après l'arrivée du présent décret, dans toutes les parties de la république, en réjouissance de la prise de Toulon : la Convention nationale y assistera.
III. Les représentants du peuple qui sont à Toulon recueilleront les traits de courage et d'héroïsme des guerriers qui ont vaincu à Toulon.
IV. La ville de Toulon est supprimée. Elle portera désormais le nom de Port de la Montagne.
V. Les maisons de l'intérieur seront rasées, on y conservera que les édifices et les établissements nationaux.
VI. Le présent décret sera porté aux armées et à tous les départements par des courriers extraordinaires. »
Ce n'est que des années plus tard, lorsque le jeune capitaine corse a l'accent prononcé – que sous-estimait Carteaux – sera devenu le maître de l'Europe continentale, que cette victoire sera enfin attribuée à celui qui en était légitimement l'artisan.
Dans cette affaire, il fallait bien qu'un jour l'on rende à Bonaparte ce qui était à Bonaparte.