Écho de presse

Décembre 1918 : Le « Noël de la victoire » a un goût amer

le 13/07/2019 par Marina Bellot
le 20/12/2018 par Marina Bellot - modifié le 13/07/2019
Au Noël américain du Palais de Glace, 400 orphelins français reçoivent des cadeaux, Le Journal, 26 décembre 1918 - source : RetroNews-BnF
Au Noël américain du Palais de Glace, 400 orphelins français reçoivent des cadeaux, Le Journal, 26 décembre 1918 - source : RetroNews-BnF

Derrière l'apparat de gaité relayé par la presse, le premier Noël pacifique après quatre années de guerre est fêté dans la retenue, tandis que des milliers de soldats sont encore loin de leur foyer.

24 décembre 1918. Les Français s'apprêtent à fêter « le cinquième Noël de la Grande Guerre, le premier qui soit pacifique depuis 1914 » se réjouit Le Petit Journal, qui se fait l'écho, non sans lyrisme, de la « joie », du « rire », de l'« allégresse » des Parisiens prétendument libérés du poids de la guerre grâce à la « paix que les soldats ont mis dans les chaussons de la France » :

« Alors les cœurs si longtemps serrés par le cercle de l'angoisse se sentent revivre. Le poids qui les écrasait diminue, diminue chaque jour. Et le rire est apparu, a fleuri, a tout rajeuni. 

Sur les boulevards, Paris a fait apparaître son nouveau visage. »

Et de raconter l’excitation de la foule devant l'avatar gonflable de l'empereur allemand, Guillaume II, qui rend son dernier souffle :

« Un objet a beaucoup de succès. On l'appelle le “dernier soupir de Guillaume”. C'est un personnage en baudruche muni d'un sifflet par lequel on souffle, Guillaume II apparaît alors, muni de bras et jambes en carton. On le pose debout, appuyé contre une boîte, et tout doucement, voilà Guillaume qui se dégonfle, se ratatine, se râle et “crève” en exhalant un dernier “couic”. »

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Ce « Noël de la Libération a été particulièrement joyeux », renchérit le journal de Georges Clemenceau, L'Homme libre :

« Population, troupe ont fraternisé comme aux plus beaux jours de l'armistice.

Point de réveillon, mais autour de la table familiale se trouvaient groupés les visages empreints d'un grand air de cordialité.

La nouvelle année est proche, et nous savons que la prospérité qu'elle annonce ne sera entachée par aucune espèce de menace. »

Pourtant, derrière cette façade de gaité, la guerre est encore bien présente dans les esprits et certains, comme ce chroniqueur de La Petite République, appellent à la « retenue » :

« La joie d’une soirée de fête se paierait peut-être de trop de jours de gêne. [...]

Après tant d’immenses sacrifices, après tant de deuils pénibles encore si récents, il ne déplaît pas de sentir encore un peu de réflexion et de retenue, même dans la joie profonde de la victoire.

Aussi bien, l'avenir, maintenant, n’est-il point à nous ? Noël de 1918 est le Noël triomphant de la victoire arrachée ; Noël de 1919 sera celui de la victoire acquise et qui déjà portera ses fruits... »

Aussi l'armistice, qui a mis fin aux combats quelques semaines plus tôt, n'a pas encore ramené tous les soldats dans leurs foyers, loin s'en faut. La démobilisation est en effet progressive – les derniers poilus ne rentreront chez eux que plusieurs mois après la cessation officielle des hostilités.

C'est pourquoi, dans leurs journaux de tranchées qui continuent à être imprimés, les soldats font paraître les tristes souvenirs des Noël précédents passés au front. Une manière de ne pas oublier l’horreur qui a dévasté des millions de foyers.

Ainsi, dans Le Ver luisant, on peut lire ce « Noël sanglant » poésie d'un soldat du 41e régiment d'infanterie coloniale :

« Il fait très froid, la neige tombe
Et couvre de son blanc linceul
Le pauvre soldat mort sans tombe,
Loin de son vieux clocher tout seul.

Et tandis qu’au champ de carnage
Le canon, sans trêve, rugit,
Les cloches dans chaque village
Sonnent la messe de minuit. 

Au fracas des mitrailles
Qui remplace les carillons,
Bien loin des joyeux réveillons
Et des ripailles,

Pour ceux qui luttent sans repos,
N’ayant pas même un lit de paille.
C’est le Noël de la bataille,
Le Noël sanglant des héros ! 
»

Dans un autre journal de tranchées, Sans Tabac, c'est la douleur teintée d'un timide espoir qu'exprime ce soldat du 66e régiment d'infanterie :

« Noël ! Noël ! Noël ! L’âme du prisonnier
En ce jour solennel est pleine d’amertume,
Une sombre douleur que nul ne peut nier,
Le torture aujourd’hui bien plus que de coutume.

À tous ces exilés dont la mâle fierté
Dans un regard moqueur cache l’âme meurtrie,
À tous ces malheureux qui pleurent leur Patrie,

Qu’apportes-tu Noël ? Est-ce la Liberté ?

Préparons l’avenir, croyons aux jours meilleurs ;
D’une Paix florissante ayons tous l’espérance,
Pour le suprême effort, fortifions nos cœurs,
Puis d’un souffle puissant, crions :  Vive la France ! » 

Dans Le Rire, un dessin en dit long sur le traumatisme et l'amertume qui teintent ce Noël 1918 :

« O sapin !  O sapin !
Comme tes feuilles sont belles !
(Chanson patriotique allemande.) 
»

De fait, l'après-guerre sera un moment douloureux pour nombre de Français. Un an après la fin des combats, le triomphe aura un goût amer, tant la reconstruction matérielle et morale du pays s'avèrera un défi colossal.

Pour en savoir plus : 

Bertrand Vayssière, Relever la France dans les après-guerres : reconstruction ou réaménagement ? in: Guerres mondiales et conflits contemporains, 2009

Pourquoi l'armistice de 1918 n'a pas vraiment mis fin à la guerre, à lire sur le site de France TV