Écho de presse

Février 1945 : la conférence de Yalta, prémices du monde d'après-guerre

le 07/02/2024 par Pierre Ancery
le 09/02/2019 par Pierre Ancery - modifié le 07/02/2024
Winston Churchill, Franklin Roosevelt et Joseph Staline à Yalta, février 1945 - source : U.S. National Archives
Winston Churchill, Franklin Roosevelt et Joseph Staline à Yalta, février 1945 - source : U.S. National Archives

Du 4 au 11 février 1945, Roosevelt, Churchill et Staline se retrouvent en Crimée pour coordonner leurs efforts contre l'Axe, dans une conférence qui sera déterminante pour l'ordre mondial d'après-guerre.

4 février 1945. Alors que la victoire des Alliés semble désormais certaine, une conférence diplomatique décisive s'ouvre dans le palais de Livadia, près de Yalta, une petite station balnéaire de Crimée.

 

Elle réunit notamment Joseph Staline, Winston Churchill et Franklin Roosevelt, dirigeants de l'URSS, du Royaume-Uni et des États-Unis, qui se retrouvent pour adopter une stratégie commune face à l'Allemagne et le Japon. La conférence fait suite à plusieurs autres rencontres entre les Alliés, en particulier celle de Téhéran du 28 novembre au 1er décembre 1943.

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L'objectif est d'en finir avec les forces de l'Axe. Mais aussi de préparer l'ordre mondial d'après-guerre et de répartir les zones d'influence respectives des « Trois » en Europe une fois le conflit achevé. Une distribution des rôles sur laquelle les trois dirigeants s'opposent, les Occidentaux cherchant tant bien que mal à limiter les futures aires d'influence de l'URSS.

 

Car Staline est alors en position de force : tandis que l'offensive anglo-saxonne n'a toujours pas franchi le Rhin, l'Armée rouge n'est, elle, plus qu'à 80 kilomètres de Berlin. Et le dirigeant soviétique a face à lui un Roosevelt très affaibli (il mourra deux mois plus tard) et un Churchill qui lui a déjà beaucoup concédé lors de la conférence de Moscou en octobre 1944.

 

Les trois alliés aboutissent toutefois à un accord, rendu public au lendemain de la clôture de la conférence (le 11 février). La presse française, de nouveau libre, en fait sa Une. Le 13 février, le journal socialiste L'Aube titre « La conférence des Trois est terminée » et résume :

« C’est à Yalta, en Crimée, que le président Roosevelt, M. Churchill et le maréchal Staline ont poursuivi leurs entretiens pendant les huit jours que dura la conférence. Un communiqué commun a été publié cette nuit pour résumer les résultats de ces entretiens décisifs : il comprend neuf points et précise que des plans détaillés ont été établis pour assurer la défaite finale de l’Allemagne, son occupation et son désarmement.

 

La France sera invitée à jouer son rôle à côté des trois grandes puissances alliées. »

S'ensuivent les neuf points en question, parmi lesquels :

« 1. Coordination de l’effort allié et plan d’attaque commun pour porter des coups de plus en plus violents jusqu’au cœur de l’Allemagne.

 

2. Réaffirmation de la volonté commune d’obtenir une reddition sans condition de l’Allemagne.

 

3. Division de l’Allemagne en zones d’occupation : russe, anglaise, américaine. La France siégera à la commission de contrôle alliée à Berlin. Si tel est son désir, elle participera à l’occupation d’une zone dont les limites seront établies par la commission consultative européenne, siégeant à Londres.

 

4. Désarmement de l’Allemagne sur les plans militaire et économique.

 

5. Création d’une organisation mondiale pour le maintien de la paix. Les bases d’une telle organisation avaient été jetées à Dumbarton Oaks. Il a été décidé qu’une conférence des nations unies aurait lieu le 25 avril 1945 en vue de préparer la charte de cette organisation [...]. »

Le journal mentionne aussi le futur sort de la Pologne, laquelle, selon les revendications de Staline, récupérera des territoires enlevés à l'Allemagne et en laissera d'autres à l'URSS.

 

L'Humanité, qui parle de « complet accord » entre Staline, Roosevelt et Staline, publie dans son intégralité le communiqué commun des trois chefs d’État :

« L'Allemagne nazie est perdue. Le peuple allemand ne fera, s'il veut continuer une résistance inutile, que rendre plus coûteux le prix de la défaite.

 

Nous nous sommes mis d'accord sur une politique commune et sur des plans communs pour amener une REDDITION SANS CONDITION. Cette reddition, nous l'imposerons à l'Allemagne nazie après que la résistance armée aura été définitivement écrasée dans ce pays [...].

 

Il a été décidé que la France, si elle le désire, sera invitée par les trois puissances à occuper une de ces zones et à participer, en tant que quatrième membre, à la commission de contrôle. La délimitation de la zone française sera décidée par les quatre gouvernements intéressés.»

L'autre journal communiste national, Ce Soir, livre à peu les mêmes informations et publie une photo de la table de négociations.

Se coordonner pour vaincre Hitler, partager l'Allemagne et Berlin en zones d'occupation, créer l'Organisation des Nations Unies, veiller à la tenue d'élections libres dans les pays libérés... Des points essentiels, auxquels il faut ajouter une nouvelle qui réjouit la presse française : la France jouera un rôle dans l'occupation de l'Allemagne – grâce à Churchill qui, on le saura plus tard, s'est imposé sur ce point face à Staline.

 

Mais la presse n'est pas mise au courant des autres décisions prises à Yalta : Churchill et Roosevelt ont notamment obtenu de Staline qu'il entre en guerre contre le Japon dans les trois mois suivant la défaite de l'Allemagne. L'évaluation des réparations allemandes n'est pas non plus révélée.

 

Dans les jours qui suivent, les éditorialistes français commentent surtout la place laissée à la France libérée dans ce futur ordre mondial. Dans L'Humanité, Marcel Cachin, directeur du journal, se félicite :

« Le peuple de notre pays approuve avec joie et satisfaction le réel progrès ainsi réalisé par la Conférence de Crimée pour assurer en Europe le définitif écrasement de l'hitlérisme, l'application de la Charte de l'Atlantique, c'est-à-dire de la démocratie, et par cela-même, le relèvement de la France, républicaine, indépendante et forte. »

Tout comme le militant communiste Jacques Sadoul, qui salue dans Ce Soir les conclusions de la conférence entre les trois Grands :

« Les “Trois” invitent la France à collaborer. Ils accordent à notre pays la place d'une puissance à intérêts mondiaux. Ils lui donnent la possibilité de restaurer une grandeur que la plupart des nations du monde crurent à jamais détruite après l'ignominieux effondrement de 1940.

 

Il appartient à la France, et à elle seule, de démontrer au monde, par des actes, qu'elle est ressuscitée d'entre les morts [...]. »

En revanche, dans L'Aube, le gaulliste Maurice Schumann, porte-parole de la France Libre, émet des réserves sur la place relative laissée à la France :

« Il semble donc qu’on s’achemine plus ou moins consciemment vers un régime international qui établirait entre les puissances une hiérarchie à trois degrés. Si la France y devait faire figure de puissance du second degré, la sécurité collective, c’est-à-dire le droit commun des nations grandes ou petites y perdrait beaucoup plus que nous-mêmes [...].

 

Parlons net : nous voulons être assurés contre la récidive d’une Conférence des Trois ; nous n’acceptons pas que les modalités des décisions prises ou à prendre puissent être réglées au cours de conférences périodiques entre trois ministres des Affaires étrangères, c’est-à-dire, encore une fois, en dehors de notre présence. »

Après la guerre, Staline ne tiendra pas compte des déclarations sur l'Europe libérée et, violant l'accord du 11 février 1945, il imposera sa tutelle sur l'Europe centrale et balkanique.

 

La conférence de Yalta est souvent perçue, à tort, comme le moment où les trois grandes puissances se sont « partagées le monde », une analyse très exagérée et dictée après-guerre par le ressentiment des nations n'y ayant pas participé. Mais elle a toutefois posé les bases d'une situation qui débouchera, à partir de 1947, sur la Guerre froide.

 

 

Pour en savoir plus :

 

Jean-Baptiste Duroselle et André Kaspi, Histoire des relations internationales de 1945 à nos jours, Armand Colin, 2017

 

Jean Sévillia, « Il y a 70 ans, Yalta n'a pas partagé le monde », article paru sur Le Figaro.fr, 2015

 

Antony Beevor, La Seconde Guerre mondiale, Le Livre de poche, 2014