Écho de presse

Jules Brunet, général français et combattant rebelle japonais

le 15/10/2020 par Nicolas Skopinski
le 11/03/2019 par Nicolas Skopinski - modifié le 15/10/2020
Le capitaine Jules Brunet – en bas à gauche – et son escadrille de combattants japonais rebelles, circa 1868 - source : WikiCommons
Le capitaine Jules Brunet – en bas à gauche – et son escadrille de combattants japonais rebelles, circa 1868 - source : WikiCommons

En 2003, sortait sur les écrans « Le Dernier samouraï », dans lequel Tom Cruise interprète un capitaine occidental se rangeant auprès de guerriers japonais. L’histoire, romancée, s’inspire de celle d’un officier français : Jules Brunet.

À l’été 1911, Jules Brunet, un général français relativement inconnu, décède. La presse relaie d’abord l’information sans préciser que cet homme a vécu une aventure très singulière plus de quarante ans plus tôt, en 1867, dans un Japon en plein bouleversement.

Le journal Le Temps finit par s’en rappeler. Hollywood aussi, en 2003, dans le film « Le Dernier samouraï », avec Tom Cruise en tête d’affiche.

« Alors qu’il n’était que simple capitaine, le général Brunet fut mêlé en effet, et de quelle façon romanesque, à la querelle fameuse qui éclata, en 1867, entre le mikado et le taïcoun.

L’histoire est curieuse. Elle vaut d’être contée. »

Tout commence en 1853. Jules Brunet est encore lycéen, lorsqu’un navire américain va changer son destin, à l’autre bout du monde. La flotte commandée par le commodore Perry, entend forcer le verrou japonais.

Le pays nippon est, à cette époque, hostile au changement. C’est l’ère du sakoku, un isolationnisme forcené. Traditionnel et féodal, le Japon sort de près de trois siècles de paix en autarcie. Entrer dans l’archipel peut alors être puni de mort. L’escadre Perry, armée de canons modernes, contraint le Japon à signer des accords commerciaux et ouvrir ses ports. Accords inégaux, favorisant les Occidentaux. Une aubaine, comme le raconte non sans cynisme Le Constitutionnel.

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« Ainsi les Japonais paraissent à l’heure de comprendre la loi du progrès et de s’y soumettre ! C’est une grande révolution dans les principes de gouvernement de ce pays autrefois voué à l’immobilité la plus complète. »

Chaque grande puissance veut sa part du gâteau, nouant des alliances avec les différentes factions politiques. Les Britanniques misent sur l’empereur, le mikado, au rôle symbolique. La France, elle, préfère se rapprocher du shogun (aussi appelé taïkoun), détenteur objectif du pouvoir politique. Depuis 1603, la charge est entre les mains du clan Tokugawa et la rigidité du système japonais nourrit le ressentiment de certains clans. Jouant sur ces tensions, les puissances occidentales les arment à l’européenne.

Souvent floué sur la qualité des armes achetées, le shogun demande à l’empereur Napoléon III l’envoi de formateurs en 1866. Parmi les hommes choisis par le capitaine Chanoine, responsable de la mission, un jeune lieutenant d’artillerie de 28 ans : Jules Brunet. Polytechnicien décoré de la croix de la Légion d’honneur, il s’est illustré lors de la guerre du Mexique. Intelligent, curieux, il est également un artiste accompli, plusieurs de ses dessins ayant été publiés dans Le Monde illustré.

Le 19 novembre, La Péluse, un paquebot des Messageries impériales, embarque de Marseille, destination Yokohama. Sur place, le chantier est immense. L’armée du shogun Tokugawa est mal équipée, mal organisée. Le passage d’un modèle ancestral à une armée régulière s’avère dans les faits compliqué. Le lieutenant Brunet se mêle aux soldats qu’il forme, tente de les comprendre. Leurs canons tirent à peine à plus d’un kilomètre. Il supervise et reprend en main les fabriques d’armes.

Un an plus tard, un arsenal, une poudrerie, une fonderie et six batteries d’artillerie moderne sont mis sur pied. Ce jeune lieutenant, éloquent, impressionne les Japonais avec qui il se lie d’amitié. Jules Brunet passe capitaine. La troupe encore hétéroclite, mêlant armement moderne et vêtements de soie traditionnels, progresse rapidement.

Parallèlement la tension monte dans le pays, en cette fin d’année 1867. Les clans du sud se fédèrent autour des princes Satsuma et Choshu. Leur armée entièrement modernisée, ils souhaitent renverser le shogun. La guerre du Boshin débute.

Sous la pression des princes rebelles, l’empereur condamne Tokugawa. Se battant désormais sous la bannière impériale, ils prennent Osaka et repoussent les troupes shogunales pas encore formées. Des arcs et des sabres font souvent face aux canons et fusils. Les puissances occidentales louvoient, hésitant à placer leurs pions pour profiter de ce basculement politique. La France tente jusqu’au bout de rester fidèle à Tokugawa. Elle sera la seule.

Fin février 1868, le Quai d’Orsay se range, et adopte une position de neutralité, bien perçue à Paris, comme en atteste le Journal des débats politiques et littéraires.

« On nous disait que ce souverain, notre ami intime, était fort, puissant, invincible, et voilà qu'il est faible et vaincu.

Pourquoi donc tenterions-nous de relever ce potentat lointain ; pourquoi irions-nous nous aliéner à grands frais, par une intervention si peu justifiée et d'un succès si incertain, toute une partie de la nation japonaise, dont l'amitié nous est nécessaire dans l'intérêt de notre commerce ? »

Ce cynisme fait enrager Jules Brunet. Il accepte l’offre des fidèles du shogun de poursuivre le combat à leurs côtés, au nord, sur l’île d’Ezo – aujourd’hui Hokkaido. Conseiller du général en chef Enomoto, son armée de 3 000 hommes va conquérir les villes d’Hakodate, Matsmaï et Essachi.

L’île entre leurs mains, ils tentent d’instaurer un pouvoir politique indépendant, la République d’Ezo. Des élections sont organisées, Enomoto devient Gouverneur général. Il laisse le poste de général en chef à Jules Brunet. L’idée suggérée par Brunet est la suivante : gérer habilement le territoire, le fortifier et forcer les princes rebelles à négocier. Aidé par six militaires français venus à leur tour rejoindre les troupes shogunales, Brunet prépare les défenses, aménage des batteries côtières. En février 1869, le sort en est jeté. L’empereur envoie des hommes et une flotte, soutenue par les Britanniques.

Brunet tente un coup de force en lançant une escadre menée par deux officiers français, Colache et Nicol.

« Puis un beau jour, cette poignée d’hommes, commandée par le capitaine Brunet, qui venait de faire la guerre au Mexique, non sans bravoure, attaque tranquillement l’armée du mikado.

La tentative était téméraire. Elle fut cependant couronnée de succès, du moins au début. »

En réalité, la petite escadre est mise en déroute. Colache est capturé,  tandis que Nicol arrive à s’enfuir, blessé. Les 7 000 hommes des armées du sud foncent droit vers l’éphémère république d’Ezo. En France, peu de journaux s’intéressent au sujet, sauf La Gazette de France qui lui consacre un mince entrefilet.

« Des avis du Japon portent qu’une grande force navale avait été envoyée par le mikado contre les rebelles.

Le bruit courait que les rebelles étaient appuyés par des officiers français. »

Le 17 mai, couverts par le feu nourri de navires anglais, les troupes débarquent. Les combats font rage et durent jusqu’au 9 juin. Encerclés dans la ville d’Hakodate, les hommes restés fidèles au shogun déposent les armes.

Jules Brunet, avec les blessés français et quelques serviteurs japonais parvient à s’enfuir par la mer.

De retour à Toulon le 17 septembre, il embarrasse ses supérieurs et avec eux le pouvoir impérial. Le Japon demande des comptes. Officiellement suspendu, il sera secrètement nommé adjoint à la manufacture d’armes de Châtellerault avant de reprendre du service face à la Prusse et d’être capturé. Il poursuivra sa carrière militaire et terminera paisiblement sa vie au grade de général.

Pour en savoir plus :

François-Xavier Héon, « Le véritable dernier Samouraï : l’épopée japonaise du capitaine Brunet », in: Stratégique, 2010

Jean-Marie Thiébaud, La Présence française au Japon, du XVIe siècle à nos jours : Histoire d'une séduction et d'une passion réciproques, L’Harmattan, 2008