Écho de presse

1916 : La grande insurrection de Pâques en Irlande

le 17/08/2019 par Marina Bellot
le 14/03/2019 par Marina Bellot - modifié le 17/08/2019
Les ruines de la Dublin Bread Company, sur O'Connell Street, après l'insurrection de Pâques, 1916 - source : WikiCommons
Les ruines de la Dublin Bread Company, sur O'Connell Street, après l'insurrection de Pâques, 1916 - source : WikiCommons

Le 24 avril 1916, des nationalistes irlandais déclenchent une insurrection contre les Britanniques alors que la Grande Guerre fait rage en Europe. Réprimée dans le sang, cette révolte deviendra pour l'Irlande un symbole de sa lutte pour l'indépendance.

En avril 1916, alors que la guerre fait rage en Europe et que 200 000 Irlandais se battent aux côtés des Britanniques contre l'Allemagne, un groupe de nationalistes catholiques issus de l’Irish Republican Brotherhood (IRB) décide de déclencher à Dublin une insurrection contre le colonisateur anglais, faisant sien l'adage : « England's difficulty is Ireland's opportunity » (Les difficultés de l'Angleterre sont des occasions à saisir pour l'Irlande).

Contact est pris avec l’Empire allemand pour négocier un gros arrivage d’armes. L’accord est conclu : le cargo allemand Aud doit arriver pour Pâques, avec à son bord plus de 20 000 fusils. Cependant, un patrouilleur britannique arrête le navire : le capitaine se saborde et se livre aux autorités britanniques, comme s'en font alors l'écho les journaux français.

Cette tentative avortée ne décourage pas l'IRB : l'organisation parvient tant bien que mal à s’approvisionner en armes et lance l'insurrection le 24 avril, alors que des membres de l’Irish Citizen Army et de l’Irish Volunteers Force défilent dans O’Connell Street.

Divers points stratégiques sont attaqués : la Poste Centrale, les Four Courts, Mendicity Institute, la biscuiterie Jacobs, les moulins Bolands, et la gare de Westland Row.

L'un des meneurs de l'insurrection, le poète Patrick Pearse, lit une proclamation à la foule :

« Au nom de Dieu et des générations mortes dont elle reçoit la vieille tradition nationale, l'Irlande, par notre voix, appelle ses enfants à son drapeau.

Soutenus par nos frères exilés en Amérique, nous déclarons que le droit du peuple irlandais à la propriété de l'Irlande et à la libre détermination de sa destinée est libre et imprescriptible. »

Le plus gros de la bataille se déroule à Dublin, où les insurgés parviennent à repousser les assauts des Britanniques, qui appellent en renfort des troupes stationnées en divers endroits du pays.

Le 25 avril, alors que Patrick Pearse proclame la République d’Irlande et radiodiffuse le succès de l’insurrection, la contre-attaque britannique s'organise : l'armée régulière tente de réprimer durement les instigateurs de l'émeute.

Dès le lendemain, 26 avril, la presse française, reprenant les informations diffusées par le gouvernement britannique à Londres, annonce l’échec de cette tentative insurrectionnelle.

« En Irlande, le gouvernement est maître de la situation », titre ainsi Le Petit Journal :

« Londres, 26 Avril –  À la Chambre des lords [...] lord Lansdowne dit que la tentative insurrectionnelle était d'avance vouée à un insuccès ignominieux.

Néanmoins, la situation offre une certaine gravité et demande des mesures énergiques. »

« Une émeute éclate à Dublin. Elle est aussitôt réprimée », annonce dans le même sillage Le Petit Parisien, qui se réjouit :

« L'Allemagne vient d'essayer de provoquer un mouvement en Irlande. Hâtons-nous de dire tout de suite qu'elle a subi un échec complet. »

Le 28 avril, alors que les insurgés résistent encore en quelques points épars de la capitale irlandaise, l'état de siège est décrété dans toute l'île, comme s'en fait notamment l'écho Le Radical :

« Au cours de la séance de la Chambre des Communes, M. Asquilh a déclaré que, d'après les nouvelles parvenues d'Irlande aujourd'hui, la situation continue d'être assez grave. Les rebelles sont toujours maîtres d'un certain nombre d'édifices publics. On se bat dans les rues. Certains symptômes indiquent que le mouvement s'étend dans diverses régions d'Irlande, notamment dans l'Ouest.

Les troupes ont été renforcées et continuent de l'être. Le gouvernement estime que la force militaire envoyée en Irlande est suffisante.

Le conseil des ministres a décidé aujourd'hui que le pouvoir exécutif en Irlande doit proclamer immédiatement l'état de siège dans toute l'étendue de l'ile. »

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Mais au bout de six jours de combats, l’insurrection tourne court : les insurgés irlandais sont écrasés dans le sang par l'occupant britannique.

Le 29 avril 1916, Patrick Pearse, alors président du gouvernement provisoire irlandais, est contraint de décréter la cessation des combats. La reddition sans conditions est signée le même jour.

Le bilan humain est lourd : environ 400 morts dont plus de 300 civils, plus de 2 600 blessés.

« Cette semaine du 24-30 avril est, sans aucun doute, la page la plus sombre dans l'histoire de l'Irlande, fertile cependant en incidents sanglants », commente l'envoyé spécial du Journal.

À l'heure du bilan, « union sacrée » oblige, l'influence allemande est dénoncée dans tous les journaux sans exception, quitte à faire passer l'insurrection, à tort, pour un complot allemand.

Dans son journal L'Homme Libre, Georges Clemenceau écrit ainsi :

« Un nouveau coup boche manqué. Il n'y a rien de plus à dire. La presse germano-américaine s'évertue à faire croire à une insurrection irlandaise. Rien n'y manque que les insurgés. »

Illustration au sujet de l'insurrection de Dublin parue dans Le Matin, mai 1916 - source : RetroNews-BnF
Illustration au sujet de l'insurrection de Dublin parue dans Le Matin, mai 1916 - source : RetroNews-BnF

La répression britannique sera aussi impitoyable que contre-productive. Près de 3 500 hommes seront ainsi arrêtés à Dublin, ainsi que 2 000 personnes en Angleterre et au Pays de Galles.

Les cours martiales prononceront jusqu’à 90 peines de morts. Un certain Eamon de Valera échappera à l'exécution en raison de sa citoyenneté américaine. Quarante-trois ans plus tard, il deviendra le premier président de la République d'Irlande.

Les Irlandais commémorent depuis chaque année l’Insurrection de Pâques, considérée comme l'un des actes fondateurs de la lutte pour l'indépendance du pays.

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Pour en savoir plus :

Jean Guffian, La question d'Irlande, Éditions Complexes, Paris, 1989

Philippe Maxence, Pâques 1916 : renaissance de l'Irlande, Via Romana, 2007