Septembre 1944 : la ville du Havre est « rayée de la carte du monde »
La contre-offensive alliée commencée avec le Débarquement se solde par d’importants dégâts matériels sur le territoire français – tant par le bombardement allié que par le sabotage allemand. Le Havre en sortira défigurée.
Le vent tourne pour l’Allemagne nazie en 1944. Après avoir occupé la France pendant près de quatre ans, le Débarquement de Normandie, suivi de celui de Provence, mettent une pression importante sur l’armée du Reich. Paris est libérée en août, mais plusieurs villes du nord-ouest restent encore sous domination allemande à la fin de l’été.
Sur le Havre, ville occupée depuis 1940, les Anglais entreprennent un bombardement important à partir du 5 septembre 1944, engendrant une destruction massive à laquelle vient s’ajouter un sabotage allemand.
La première nuit, 348 avions de la RAF larguent 1 820 tonnes de bombes explosives et 30 000 bombes incendiaires sur la ville. Le 6, c’est 1 458 tonnes de bombes explosives et 12 500 tonnes qui sont larguées.
Ce n’est que le 12 que les forces anglaises et canadiennes entrent dans la ville. Le lendemain, la presse se félicite. « Le Havre est libéré, La Rochelle investie » affirme, en Une, Le Patriote du Sud-Ouest.
« Le correspondant de l’Agence Reuter auprès de la 1ère armée canadienne annonce que la garnison du Havre s’est rendue, à 11h30, aujourd’hui. »
Mais lorsque Charles de Gaulle passe dans la ville début octobre, c’est surtout l’état de la ville qui est mis de l’avant. Le général a « visité Le Havre et son grand port détruit » explique Le Courrier de l’Ouest.
« Dans Le Havre meurtri, mutilé, l’accueil fut poignant.
Le général se rendit au port, puis il vint déposer une gerbe au pied du monument aux morts, seul intact au milieu du quartier autrefois le plus populeux, le plus actif du Havre, et dont il ne reste plus rien que quelques murs calcinés se dressant au milieu des décombres comme des cheminées. »
Si beaucoup de ports de France ont été endommagés en 1944, L'Aube n’hésite pas à donner au Havre le triste nom de « port le plus détruit du continent ». La France nouvelle, qui fait un encadré sur l’état dans stations portuaires françaises au mois de novembre, va dans le même sens.
Au fil des mois, la presse revient sur le sort qu’a subi la ville. « Le Havre n’est plus qu’un désert couvert de ruines » affirme L’Écho d’Alger, « cette ville de 160 000 habitants a été rayée en deux heures de la carte du monde ».
En août 1945, l’hebdomadaire communiste Regards se rend dans la ville, où « pas un pli de terrain, pas une pente d’herbe, ou de labour, pas un bouquet d’arbres ne distraie à cette dévastation » :
France-Amérique propose une photo du champ de ruines qu’est devenue la ville :
« Ci-gît Le Havre »
Pour les belligérants de la Seconde Guerre mondiale, la ville avait donc une importance stratégique, notamment pour son grand port. Début 1935, la presse française s’était émerveillée devant cette « magnifique réalisation » qui avait, après trois années de travaux, donné une « gare maritime digne d’un grand port transatlantique ».
Dès 1933, le Petit Provençal expliquait :
« La gare maritime géante de la Compagnie Générale Transatlantique, au Havre, sera terminée en décembre prochain.
Elle sera la plus grande du monde avec ses 3 étages et ses 575 mètres de long. »
Si les bombardements ont causé d’importants dégâts, c’est surtout le sabotage de l’occupant opéré au moment de la retraite qui a miné l’établissement portuaire. « Les Allemands ont détruit systématiquement le grand port » explique-t-on au lendemain de la libération de la ville. « Les églises notamment, ainsi que 280 grues sur 283, n’existent plus. Dans le bassin gisent plus de 160 épaves. Seuls 1 200 mètres de quais sur 20 kilomètres sont réparables ».
Mais, malgré l’importance manifeste des dégâts, la presse se veut optimiste. « En moins de six mois, Le Havre aura dépassé de moitié son tonnage d’avant guerre » affirme non sans optimisme L’Aube dès décembre 1944.
Et effectivement, à partir de 1945, la reconstruction s’organise, sous la supervision notamment de l’architecte Auguste Perret. Début 1946, un Havrais témoigne :
« Les grandes voies de la future cité sont déjà préparées. Les urbanistes se frottent les mains : ils tracent leurs plans sur le désert et, ma foi, de fort beaux plans.
On parle ainsi beaucoup plus des réalisations de demain que des amers souvenirs d’hier. Le Havre sera une ville du monde nouveau. »
Ces travaux portent leurs fruits. En 1950, L’Aube affirme que la ville « reçoit aujourd’hui plus de marchandises qu’en 1938 ».
« Le port du Havre offre désormais au commerce et à la navigation les mêmes facilités qu’avant la guerre et même des facilités plus grandes en ce qui concerne notamment les tankers amenant en France les produits pétroliers bruts en provenance d’Amérique centrale. »
Si la ville du Havre et son port redeviennent fonctionnels quelques années après la fin de la guerre, il faudra toutefois attendre les années 1980 pour que les derniers chantiers de reconstruction se terminent. En 2005, le centre-ville reconstruit se verra inscrit au Patrimoine mondial de l’humanité de l’UNESCO.
L’intensité du bombardement allié aura également suscité de nombreuses critiques. En 2014, 70 ans après les événements l’historien et actuel maire de la ville Jean-Baptiste Gastinne expliquait dans une interview : « On sait pourquoi 1,5 million de poilus sont tombés pendant la Première Guerre mondiale. On ne sait pas si le sacrifice de la ville du Havre a eu une réelle utilité militaire. »
On estime à 2 000 le nombre de civils havrais tués pendant l’offensive de l’Axe, et à quelque 80 000 le nombre de ceux ayant perdu leur toit.
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Pour en savoir plus :
John Barzman, Corinne Bouillot et Andrew Knapp (dir.) : Bombardements 1944: Le Havre, Normandie, France, Europe, Rouen, Presses Universitaires de Rouen et du Havre, 2016
Eddy Florentin, Le Havre 44 à feu et à sang, Presses de la Cité, Paris, 1985