Jean Nicoli, grande figure de la Résistance corse
Histoire de l’instituteur communiste qui a organisé la guérilla dans le sud de l’île pendant son occupation italienne, en charge notamment des parachutages dans les montagnes du Sartenais. Arrêté et torturé, il sera exécuté quelques jours avant la libération de la Corse.
En novembre 1942, Mussolini décide d’occuper la Corse avec l’objectif de la rattacher – ainsi que Nice – à l’Italie fasciste. Le Duce envoie quelque 85 000 soldats sur l’île qui seront bientôt rejoints par 15 000 Allemands, soit 100 000 hommes d’occupation pour une population d’alors 215 000 habitants.
Si en Corse la nouvelle de l’armistice avait désemparé ceux qui s’attendaient à voir l’île devenir l’avant-poste d’un gouvernement possiblement replié à Alger, la Résistance s’est organisée dès cette annonce, notamment autour des 300 membres du Parti communiste que compte l’île.
Parmi eux, on compte Jean Nicoli. Cet instituteur antifasciste, d’abord membre de la SFIO, adhère au Parti communiste clandestin au mois de décembre 1942. Comme l’indique L’Humanité après-guerre, c’est lui qui organise en Corse le Front National, groupe qui regroupe toutes les sensibilités de la résistance à l’occupant.
« Dès 1938, il s’élève avec vigueur contre les prétentions mussoliniennes sur l’île. Il n’accepte pas la capitulation vichyste et organise le Front National en Corse : 12 000 hommes qu’il s’emploie à pourvoir d’armes.
Il est de toutes les réceptions de sous-marins, de tous les parachutages, de tous les coups de main contre les forces d’occupation. »
Le 6 février 1943, il participe à la première récupération des armes apportées depuis Alger par le sous-marin Casabianca. Le 30 mai 1943, il organise les funérailles publiques de Louis Frediani, syndicaliste cheminot abattu par une sentinelle italienne à Ajaccio.
« Le même soir, les patriotes écrivent en lettres énormes sur l'emplacement même où le cheminot tomba: “VENGEANCE!”.
Le lendemain, à l'enterrement, toute la population, malgré l’interdiction dés Italiens, porte la cocarde tricolore. C’est la première manifestation en masse du front National. »
Plus de 2 000 personnes suivent le cortège funèbre qui s’ouvre sur une couronne portant l’inscription « Le Front National à son regretté camarade ». Devant l’ampleur de la foule, l’armée d’occupation ne bouge pas.
Mais Jean Nicoli est surtout l’organisateur méthodique des parachutages dans le sud-est de l’île. Dans le relief escarpé de l’Alta-Rocca, il trouve de possibles terrains de parachutage, répartit les tâches pour récupérer les caisses, effacer les traces, et dissimuler les armes.
Sa tête est mise à prix par l’OVRA, le contre-espionnage italien, qui connaît son visage, une de ses fausses cartes d’identité ayant été donnée aux Italiens par un traître. Nicoli poursuit néanmoins les repérages et organise la guérilla.
Le 27 juin, il séjourne à Ajaccio. C’est là qu’il est reconnu et dénoncé par Fiori, un marchand de vin adhérent du Parti populaire français (PPF) collaborationniste de Jacques Doriot, dont France-Soir fait le portrait en 1950.
« Hébergé en juin 1943 à Ajaccio, chez un patriote corse du nom de Bonafedi (qui fut déporté), Jean Nicoli envoya une jeune fille employée dans la maison, Barberine Dieghi, chercher du vin chez Flori.
Flori, se doutant que ce vin était destiné à Nicoli, dit à la jeune fille de l’attendre un instant. Il revint une heure plus tard seulement, apportant le vin.
Or, un quart d’heure après le retour de Barberine chez Nicoli, la maison était cernée par la police. Nicoli et Bonafedi furent arrêtés. »
Emprisonné dans la citadelle d’Ajaccio, Jean Nicoli est torturé, comme les autres résistants arrêtés. Les bourreaux italiens s’acharnent mais il ne parle pas. Entendant les cris des autres prisonniers, il écrit la « Complainte des martyrisés ».
« Des pur-sang de Cyrnos le moral tient tête
À toutes les injures, à toutes les tempêtes.
De leurs aïeux ils ont le cran et la fierté
L’amour de leur pays et de la liberté. »
En août 1943, Jean Nicoli est transféré à Bastia pour y être jugé. Ses camarades ont prévu d’attaquer le convoi mais le général italien Magli avance la date du transfert et fait passer les prisonniers par la route. Le 28 août, Jean Nicoli est jugé et condamné à mort au nom du roi d’Italie.
« Le 28 août 1943, au nom de Sa Majesté Victor-Emmanuel III, roi d’Italie et d’Albanie, empereur d’Éthiopie, le tribunal militaire de guerre des forces armées italiennes en Corse condamne le résistant Jean Nicoli, communiste, à la peine de mort avec dégradation pour “aide à l’ennemi avec la circonstance aggravante d’avoir été organisateur”. »
Il ne lui reste qu’une nuit, pendant laquelle il va écrire. D’abord à ses camarades de cellule : « Nous montrerons au procureur du roi (Victor-Emmanuel III) qu’il y a des Corses qui sont encore dignes de leurs dieux et qui sauront mourir en dignes fils de Cyrnos... Nous lèverons haut l’étendard, soyez tranquilles ! », puis au Parti communiste : « J’ai été trahi. Heureusement, dans la bande qui ma vendu, pas un seul camarade. Dans le Parti seul, mes frères, il y a des hommes. »
À ses enfants enfin : « Souriez-moi. Soyez fiers de votre papa, il sait que vous pouvez l’être. La tête de Maure et la fleur rouge, c’est le seul deuil que je vous demande. Au seuil de la tombe, je vous dis que la seule idée qui sur notre pauvre terre me semble belle, c’est l’idée communiste. Je meurs pour notre Corse et pour mon Parti. »
Le lendemain matin, il est amené sur le lieu de l’exécution. Jean Nicoli n’a pas compris qu’étant condamné à la « peine de mort avec dégradation » il va être fusillé dans le dos. Il refuse et défie le peloton. L’exécution va être barbare.
« Le tribunal militaire du 7e corps d’armée italien le condamne à être fusillé dans le dos. Nicoli n’accepte pas la sentence. Le 30 août 1943, au peloton d’exécution il lance :
“Lâches ! Vous voulez me fusiller dans le dos parce que vous n’avez pas le courage de me regarder en face.”
Fous de rage, les chemises noires se jettent sur lui, l’égorgent et le décapitent à coups de poignard. Après la Libération c’est une tête martyrisée, toute entourée de bandelettes, qu’on retrouve, à l’exhumation, posée sur le tronc du héros.
Aucune trace de balle. Nicoli a été massacré. »
Quelques jours plus tard, le 9 septembre 1943, ses camarades du Front national lancent l’insurrection, profitant de la capitulation italienne. En octobre 1943, la Corse est libérée de l’occupation fasciste.
Après la guerre, son dénonciateur ne se présentera pas à la justice.
« Flori, condamné à mort par Cour de Justice d’Aix, avait été gracié, et son jugement cassé.
Enhardi par la bienveillance que les pouvoirs publics manifestent aux individus de son espèce, il ne s’est pas présenté hier, se bornant à envoyer un certificat médical faisant état d’une “crise cardiaque”. »
Et la chaîne de commandement de son assassinat ne sera pas non plus inquiétée comme s’en indigne le journal communiste Ce Soir.
« Le Front National de Corse a lancé un appel dans lequel on lit notamment :
Six ans après, les criminels de guerre, comme le général Magli, assassin de Jean Nicoli, sont libres ; les nazis qui ont fait exécuter les otages de Châteaubriant, de Bordeaux, de Dijon, ont été acquittés; les assassins d’Oradour-sur-Glane ne sont pas encore châtiés.
En Corse, Le Patriote, organe clandestin de la Résistance, est restitué au traître Santi. François Piétri a la prétention de revenir dans l’île qu’il a souillée par son infâme trahison.
La Résistance est bafouée. »
Le corps de Jean Nicoli a été ramené en octobre 1944 dans son village natal, San Gavino di Carbini. Son nom est aujourd’hui inscrit sur de nombreuses stèles, en Corse comme sur le continent.
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Pour en savoir plus :
Maurice Choury, Tous bandits d’honneur ! Résistance et Libération de la Corse Juin 1940- Octobre 1943, éditions Alain Piazzola