L'exil et la mort de Napoléon III, empereur déchu
Suite à la défaite de 1870 et à la proclamation de la République, le souverain déchu s'exile à Chislehurst, en Angleterre. Tenu pour responsable de l'échec de Sedan, il espère pourtant un retour au pouvoir. Mais la maladie l'emportera le 9 janvier 1873.
Le 2 septembre 1870, à l'issue de la défaite de Sedan, Napoléon III capitule et se rend aux Prussiens. Le 4 septembre, la IIIe République est proclamée. C'est la fin de deux décennies de règne impérial. Au souverain déchu, il ne reste que deux années et demie à vivre. Deux années et demie marquées par l'exil et la maladie, mais aussi par l'espoir jamais concrétisé d'un retour sur la scène politique française.
Fait prisonnier par la Prusse, Napoléon III est d'abord interné au château de Wilhelmshöhe. Il y reste jusqu'au 19 mars 1871, date à laquelle, libéré par Bismarck, il part pour l'Angleterre. L'ex-empereur s'installe à Camden Place, une gentilhommière de style géorgien située à Chislehurst, dans le Kent, où il retrouve sa femme Eugénie et leur fils.
Durant son exil, il va recevoir la reine Victoria, le prince de Galles, le Premier ministre Gladstone. S'inspirant de l'épisode du retour de l'île d'Elbe de son oncle Napoléon Ier, il va aussi réfléchir à une stratégie de retour au pouvoir. L'ex-empereur rêve d'une consultation directe du peuple sur la question de la restauration de l'Empire. Il espère aussi s'appuyer sur le parti bonapartiste, toujours vivant malgré son échec total lors des législatives, où il a été contraint de faire liste commune avec les monarchistes.
Mais Louis-Napoléon Bonaparte se heurte à un problème de taille : la République le rend largement coupable de la défaite traumatisante de Sedan. Un épisode qui occulte toutes les autres dimensions du règne de celui que Victor Hugo, son plus célèbre opposant, appelait « Napoléon le Petit ». Le 1er mars 1871, l'Assemblée nationale réunie à Bordeaux vote la déchéance officielle de l'ex-empereur, qualifié de « responsable de la ruine, de l'invasion et du démembrement de la France ».
La presse républicaine (Le Rappel, Le Temps, L’Événement...) se fait largement l'écho de cette position. Et s'en prend parfois violemment à l'ex-souverain, dont le retour possible apparaît comme une menace aux yeux d'un régime encore fragile (la Commune de Paris, qui a lieu entre mars et mai 1871, est durement réprimée par Adolphe Thiers). Un exemple parmi des centaines, ce poème à charge paru dans L'Indépendant français le 25 mars 1871 :
« Quoi ! tu ne doutes donc de rien ?
Tu gardes encore l’espérance
De retourner régner en France !
Ah çà ! mais tu nous hais donc bien ?
Allons, assez ! rentre dans l’ombre.
Heureux qu’on t’y laisse, et, crois-moi,
Tout est fini, fini pour toi.
L’homme risible, l’homme sombre ! »
Le 7 octobre 1871, La Revue politique et littéraire, s'adressant au camp bonapartiste, fait un bilan très sombre de la politique étrangère de l'ex-empereur, et insiste sur son impréparation lors de la Guerre de 1870 :
« De tous les gouvernements connus, il n’y en a pas eu un seul qui ait montré moins de décision, moins de promptitude à se résoudre que le gouvernement impérial, dans les dix dernières années surtout. La raison en est bien simple, c’est que, sous l’empire, tout, absolument tout dépendait de la volonté de l’empereur.
Le jour où s’éteignait, chez l'empereur vieilli, usé, fatigué, la faculté de se décider, faculté qui n’avait jamais été, d'ailleurs, bien brillante chez lui, le gouvernement impérial, la politique, l'administration de la France, cessaient d’avoir une direction, un but, flottaient au hasard des événements et des intrigues [...]. Que vous reste-t-il pour relever la France de l’abîme de maux où vous l'avez vous-même plongée ? »
Tandis que Le Siècle ironise en janvier 1872 :
« Que les méchants tremblent, Croquemitaine le Sedantaire est en vue. Les méchants, c'est vous, c'est moi, c'est quiconque n'est pas disposé à admettre que Sedan est la plus grande victoire du siècle, que Napoléon III est le plus grand homme d'État des temps modernes, et que tous les décavés de l'empire qui traînent leurs semelles sur le boulevard doivent rentrer en possession de leurs appointements. [...]
"Nous ne sommes plus au lendemain de Sedan," s'écrie M. Clément Duvernois, que l'exécrable 4 septembre a allégé de son portefeuille. Non, nous ne sommes plus au lendemain de Sedan ; mais nous sommes au lendemain du désastre de la France causé par l'empire, et la France, à qui l'empire a infligé la perte de deux provinces, une rançon de 5 milliards et — dernier outrage — la honte de l'occupation étrangère, supportera tout plutôt que de subir la honte d'un replâtrage bonapartiste. »
Napoléon III compte pourtant encore des soutiens dans la presse, à l'instar du Constitutionnel ou du Gaulois. Ce dernier fait paraître le 25 mai 1872 une lettre écrite depuis l'Angleterre par l'ex-empereur, suite à la publication du rapport de la commission d'enquête sur la capitulation de Sedan. Dans ce bref texte adressé à « messieurs les généraux commandant les corps d'armée à Sedan », l'exilé se justifie et refuse d'endosser l'entière responsabilité de la défaite :
« […] Je n'accepte de jugement que celui que prononcerait la nation régulièrement consultée. Aussi n’ai-je point à apprécier le rapport de la commission d'enquête sur la capitulation de Sedan ; je me borne à rappeler aux principaux témoins de cette catastrophe la position critique dans laquelle nous nous trouvions [...].
La position était désespérée. L’honneur de l’armée se trouvant sauvegardé par la bravoure qu’elle avait déployée, j’exerçai alors mon droit de souverain en donnant l’ordre d’arborer le drapeau parlementaire, et je revendique hautement la responsabilité de cet acte [...].
Nous avons donc obéi à une cruelle mais inexorable nécessité ; elle a brisé mon cœur, mais laissé ma conscience tranquille. »
Mais Napoléon III ne reverra jamais la France. L'ex-empereur, physiquement très affaibli depuis une dizaine d'années, est victime en décembre 1872 d'une violente crise urinaire : les médecins lui annoncent qu'il souffre d'une lithiase vésicale. Il subit deux opérations de la vessie. Mais son état s'aggrave et il meurt le 9 janvier 1873, à l'âge de 64 ans.
En France, son décès est immédiatement commenté par l'ensemble de la presse. Le Petit journal, républicain modéré, écrit le 11 janvier :
« Une dépêche télégraphique d'un laconisme saisissant, est arrivée hier à Paris :
"Chislehurst, 9 janvier 1872, midi. Napoléon vient de mourir."
Cette nouvelle s'est répandue de proche en proche avec une rapidité vertigineuse ; commentée, discutée, vivement, passionnément, elle a fait en quelques heures le tour de Paris, et n'a pas trouvé un seul indifférent [...].
Malgré l'origine criminelle de son pouvoir, le 2 décembre 1851, malgré les désastres amenés par sa chute dans la honte de Sedan, l'ex-empereur était le représentant le plus sérieux du principe d'autorité, de ce principe qui a de profondes racines en France, de ce principe que la République parviendra à transporter d'une personnalité sur le peuple, d'un souverain sur la nation [...].
Devant cette tombe qui s'ouvre, en présence du cadavre de cet homme qui, pendant vingt ans, fut le maître absolu de la France, je m'incline. »
Parmi les journaux républicains les plus à gauche, le verdict est sans appel : c'est l'amorce de la « légende noire » de Napoléon III, qui accompagnera pendant longtemps le souvenir de l'ex-empereur. Ainsi dans Le Rappel du 11 janvier :
« Louis-Napoléon Bonaparte, ex-empereur, est mort hier. Sur la pierre de son tombeau, l'histoire inscrira deux dates : 1851 et 1870. En 1851, il a frappé la République ; en 1870, il a frappé la France [...].
Il a déclaré la guerre à la Prusse, et infligé à la France l'invasion, l'humiliation du drapeau, cinq milliards à payer, l'arrachement de l'Alsace et de la Lorraine, et une telle saignée de tout, que le monde un moment l'a crue morte.
Mais on ne tue pas la France, et on ne tue pas la République. C'est lui qui est mort. La République est ressuscitée, et la France ressuscite. »
La presse monarchiste reste sur la réserve. Le camp bonapartiste, lui, glorifie le défunt. On lit ainsi dans Le Constitutionnel :
« Pour nous, le règne de l'Empereur Napoléon III est un des plus féconds en grands résultats que l'histoire de notre pays aura à enregistrer ; il comptera, malgré les malheurs de la fin, parmi les plus prospères.
L'ordre maintenu à l'intérieur, le progrès dans les institutions constitutionnelles, le développement de la richesse nationale sous l'influence d'une législation économique libérale, constituent un ensemble qui a sa grandeur. »
Les funérailles ont lieu sans qu'aucun officiel français ne fasse le déplacement. Napoléon III est enterré dans l'église catholique Sainte-Marie de Chislehurst. Six ans plus tard, il y est rejoint par son fils, le prince impérial Louis-Napoléon, tué en Afrique du Sud lors de la guerre anglo-zoulou. Leurs deux corps seront transférés à l'abbaye Saint-Michel de Farnborough, dans un mausolée créé à la demande de l'ex-impératrice Eugénie. Cette dernière y sera également inhumée à sa mort en 1920.
Honnie pendant toute la IIIe République, la figure de Napoléon III ne connaîtra un début de réhabilitation qu'à partir de la seconde moitié du XXe siècle. La question du rapatriement de sa dépouille a été depuis posée à plusieurs reprises, mais n'a jamais été soutenue par l’État français.
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Pour en savoir plus :
Pierre Milza, Napoléon III, Perrin, 2004
Eric Anceau, Napoléon III, un Saint-Simon à cheval, Tallandier, 2008