Écho de presse

1861-1867 : la désastreuse expédition française au Mexique

le 18/06/2023 par Pierre Ancery
le 20/12/2020 par Pierre Ancery - modifié le 18/06/2023
Opérations lors du siège de Puebla, au Mexique, Le Monde illustré, 1863 - source : RetroNews-BnF
Opérations lors du siège de Puebla, au Mexique, Le Monde illustré, 1863 - source : RetroNews-BnF

Fin 1861, au prétexte d'obtenir le remboursement d'une dette contractée auprès de la France par le gouvernement mexicain, Napoléon III envoie sur place un corps expéditionnaire. Il rêve en fait d'instaurer au Mexique un empire latin et catholique dirigé par l'archiduc Ferdinand-Maximilien.

En 1861, le Mexique est un pays profondément divisé. Deux camps dominent la sphère politique : les conservateurs, catholiques soutenus par les grands propriétaires fonciers, et les libéraux, anticléricaux et fédéralistes. Ces derniers sont conduits par Benito Juárez, au pouvoir depuis 1858.

Juárez a alors dû faire face à la rébellion du camp opposé, menée par les généraux Zuloaga et Miramon, ce qui a entraîné une guerre civile qui s'est terminée avec la victoire des partisans de Juárez. Une guerre qui a terriblement endetté le pays : le Mexique doit de fortes sommes à l'Espagne, à l'Angleterre et à la France. Mais les caisses sont vides, et Juárez décide de suspendre pour deux ans le paiement de la dette.

L'empereur français Napoléon III, au prétexte de se faire payer la dette contractée par les Mexicains, va saisir l'occasion pour se lancer dans une expédition qui, espère-t-il, va permettre de renverser Juárez et d'instaurer au Mexique un empire latin et catholique favorable aux intérêts français.

L'idée lui a été soufflée par son beau-frère le duc de Morny (personnellement intéressé au remboursement de la dette) et par sa femme l'impératrice Eugénie de Montijo : l'empire mexicain constituerait un pendant catholique aux États-Unis protestants et deviendrait le premier pays industrialisé d'Amérique latine, attirant ainsi des milliers d'immigrants. L'empereur prévoit même de donner la couronne à l'archiduc Maximilien de Habsbourg, frère cadet de l'empereur d'Autriche-Hongrie François-Joseph Ier et mari de Charlotte, fille du roi des Belges Léopold Ier.

À la fin 1861, Napoléon III décide donc d'envoyer un corps expéditionnaire au Mexique, officiellement pour intimider Juárez. Les conditions sont idéales puisque les États-Unis, alors en pleine guerre de Sécession, ne pourront pas intervenir. L'empereur convainc l'Angleterre et l'Espagne de se joindre à l'expédition.

À ce stade, dans la presse française, les intentions de Napoléon III demeurent opaques. Le 11 novembre, Le Journal des débats politiques et littéraires s'interroge sur les conséquences de cette aventure dans les relations avec les États-Unis :

« Tout se prépare en ce moment dans nos ports pour l'expédition du Mexique. Le contre-amiral Jurien de La Gravière, qui doit commander notre escadre, est parti hier matin de Paris pour se rendre à Toulon. On ne connaît point encore nettement dans le public le but commun que poursuivent les trois puissances alliées. À plus forte raison ne sait-on pas ce que chacune d'elles peut secrètement méditer à part des autres.

Parmi ces incertitudes, il est cependant une chose qu'aperçoivent les yeux les moins exercés. L'expédition combinée qui va partir des ports de la France, de l'Angleterre et de l'Espagne présente ce grave caractère qu'elle est comme une reprise de possession tout au moins morale de l'Amérique par l'Europe [...].

Elle constitue une véritable atteinte à la doctrine fameuse de Monroe, qui prétendait interdire à tout jamais à l'Europe d'exercer aucune influence sur les destinées de l'Amérique. »

Entre la fin 1861 et le début 1862, des forces françaises (2 500 hommes), britanniques (700) et espagnoles (6 000) débarquent au Mexique. Des négociations ont lieu avec les libéraux mexicains (signature de la convention de Soledad en février), mais elles n'aboutissent pas. En avril, ne voulant pas se laisser entraîner dans une guerre de conquête, Anglais et Espagnols se retirent. Les Français restent sur place.

Dans les journaux du Second Empire, au même moment, d'innombrables articles se penchent sur la situation mexicaine. Si la presse d'opposition continue de s'interroger sur la légitimité de l'ingérence française dans les affaires mexicaines (« Nous continuons à ne rien savoir de très précis sur l'objet que l'on poursuit en faisant une expédition au Mexique », écrit La Presse), la presse gouvernementale, à l'instar du Constitutionnel qui appartient au duc de Morny, argumente en faveur de l'action militaire. Et invoque la situation des « nationaux » français dans un pays livré au désordre :

« Certains journaux seraient presque tentés de trouver que l'expédition du Mexique manque de raisons suffisantes […].

Sait-on combien de nos compatriotes ont été victimes de l'anarchie mexicaine, en sept mois seulement de l'année 1861, sans remonter au-delà et en négligeant un arriéré énorme de griefs de tout genre ? »

Le général de Lorencez, à la tête du commandement français, marche sur la ville de Puebla, principal obstacle avant la capitale Mexico. Mais il doit faire face à la résistance acharnée des partisans de Juárez. Au cours de la bataille de Puebla, le 5 mai 1862, les juaristes retranchés, menés par le général Zaragoza, parviennent à repousser les Français.

Une défaite cinglante rapportée par Le Siècle le 16 juin :

« D'après des rapports d'origine mexicaine, l'attaque projetée a en effet été exécutée le 5 avec une grande vigueur, mais sans atteindre son but, les retranchements de Guadalupe n'ayant pas été enlevés.

Depuis lors, aucun autre engagement n'avait eu lieu. Le gouvernement de l'empereur prend immédiatement des mesures pour expédier au Mexique des renforts considérables.»

L'empereur envoie au Mexique un renfort de 28 000 soldats. La ville de Puebla finira pas tomber en mai 1863, après de longs combats.

Les troupes françaises entrent à Mexico, d'où Benito Juárez s'est enfui pour se réfugier à la frontière avec les États-Unis. Un simulacre d'assemblée nationale composée de membres du parti conservateur donne la couronne à l'archiduc Maximilien, qui deviendra officiellement empereur du Mexique le 10 avril 1864.

En France, l'expédition mexicaine stimule l'intérêt pour le pays et de nombreux articles paraissent pour renseigner les lecteurs sur les mœurs et la géographie locales. Parmi des dizaines d'autres articles consacrés au Mexique, Le Monde illustré s'intéresse par exemple, en février 1865, à la province d'Oaxaca, fief du leader républicain Porfirio Díaz, dont le siège par les troupes françaises s'achève au même moment.

Mais la partie est en réalité loin d'être gagnée pour les Français. Au Nord du pays, les juaristes sont encore nombreux et mènent une violente guerilla contre les forces expéditionnaires. Et les États-Unis, où la guerre de Sécession s'est terminée en avril 1865 par la victoire du Nord, décident d'intervenir dans le conflit mexicain en apportant leur soutien à Juárez.

Cette implication est vivement critiquée en France dans la presse pro-gouvernementale. En décembre 1865, La France tente par exemple d'expliquer que c'est le peuple mexicain qui a voulu la création de l'empire dirigé par Maximilien :

« La France est allée au Mexique pour obtenir satisfaction d’un gouvernement sans foi, contre les violences et les iniquités duquel elle avait à défendre ses nationaux. La guerre a forcé Juarez d’abandonner la capitale.

À partir de ce moment, les populations délivrées ont fait cause commune avec l’armée française. Les troupes mexicaines et les gardes nationales ont pris largement leur part de ce grand mouvement qui, forçant Juarez à reculer de commune en commune jusqu’à la frontière, l’a expulsé du territoire mexicain.

Le peuple a voulu un gouvernement qui lui rendit l’ordre et le fit rentrer dans la famille des nations civilisées, au ban desquelles l’avait mis Juarez. Il a fait l’empire. Est-ce que c’est l’armée française qui a voté pour l’empire et pour Maximilien ? Est-ce que c’est elle qui a contraint, quand elle n’occupait pas de fait la dixième partie du territoire, la populations à voter pour le futur empereur, dans les provinces même, où pas un de ses soldats n’avait pénétré ? »

Mais rien n'y fait : les États-Unis exigent le retrait de la France et en avril 1866, Napoléon III rappelle en catastrophe son corps expéditionnaire. Il ne peut se permettre de gaspiller ses troupes au moment où, en Europe, une guerre se profile entre l'Autriche et la Prusse. Le dernier navire français se retire du Mexique en février 1867 et Benito Juárez revient au pouvoir.

La débâcle française fera encore un mort : l'éphémère empereur Maximilien Ier. Celui-ci, se croyant capable de maintenir son empire sans aide étrangère, refuse d'abdiquer et de fuir le pays. Capturé par les juaristes, il est exécuté le 19 juin 1867 à Santiago de Quéretaro. En apprenant sa mort, le journal libéral Le Temps écrit :

« L’empereur Maximilien a été exécuté ; il a payé de son sang la faute cruelle de cette entreprise avortée, qui formera une si lamentable page de l’histoire contemporaine. Quel contraste avec les espérances pompeuses qu’on avait fait briller à nos yeux au début de cette aventure ! »

Pour en savoir plus :

Alain Gouttman, La Guerre du Mexique (1862-1867) : le mirage américain de Napoléon III, Perrin, 2008

Jean Avenel, La campagne du Mexique (1862-1867), Economica, 1996

Lisa Andries, « Regards croisés sur l'expédition française au Mexique », Impressions du Mexique et de France, Ed. Maisons des sciences de l'homme, 2009