1862 : exécution de 38 guerriers sioux
Au terme d’une insurrection indienne de grande ampleur, Abraham Lincoln condamne à mort 38 Indiens sioux. Il s’agit de la plus grande exécution publique sur le sol américain.
Le 26 décembre 1862, près de 6 000 personnes se pressent sur la place du village de Mankato, (Minnesota). Un échafaud carré a été dressé quelques jours plutôt, chaque côté supportant une barre à 6 mètres de haut depuis laquelle pendent dix cordes. Quarante cordes en tout ont été installées. Deux seules resteront vides.
« L’ordre de se mettre en marche fut enfin donné aux condamnés, et la triste procession, en psalmodiant un chant funèbre, se dirigea d'un pas ferme vers le lieu du supplice.
Une double haie de soldats avait été formée de la prison à l'échafaud.
La foule, à la vue des Indiens, poussa de frénétiques vivats. Elle était heureuse, car elle allait bientôt savourer sa vengeance. »
Les 38 Indiens Sioux qui se dirigent vers l’échafaud ont été convaincus d’être les chefs de l’insurrection qui fit entre 300 et 800 morts cette année-là parmi les colons blancs.
Cette « guerre des Sioux » [voir notre article] commence avec le meurtre de cinq colons puis le pillage de plusieurs villages blancs en août 1862. Dans son message annuel aux deux Chambres, dans lequel il aborde la question de l’esclavage, le président Abraham Lincoln évoque une « insubordination » et des « hostilités ouvertes ».
« Au mois d’août dernier, les Indiens sioux, dans le Minnesota, ont attaqué les établissements de leur voisinage avec une extrême férocité, tuant indistinctement hommes, femmes et enfants. Cette attaque était complètement inattendue, et en conséquence on n’avait préparé aucun moyen de défense.
On estime que les Indiens n’ont pas massacré moins de 800 personnes, et que des propriétés pour une grande valeur ont été détruites.
Comment a été amenée cette révolte, c’est ce que l’on ne sait pas au juste, et des soupçons, qui peuvent être injustes, ne sauraient être exprimés. »
« Comment a été amenée cette révolte » n’est peut-être pas clair à Washington, mais sur place, dans le Dakota, la colère gronde depuis longtemps.
En vertu d’un traité signé en 1851, les Sioux ont laissé une bonne partie de leurs terres aux fermiers blancs en échange d’un paiement annuel et d’un échange de biens de marchandises. Ce paiement et cette distribution sont placés sous l’autorité des agents du Bureau des affaires indiennes, notoirement corrompus, qui surévaluent des biens de mauvaise qualité, retardent les paiements, quand ils ne les détournent pas à leur propre compte.
Devant les violations répétées de ce traité, les Sioux se soulèvent et le 17 août 1862, un conseil des Dakotas décide d’attaquer tous les colons présents pour les chasser définitivement de leur vallée.
L’armée des États-Unis intervient et contraint les Indiens à la reddition le 23 septembre au terme de la bataille de Wood Lake. Plus d’un millier de Sioux sont faits prisonniers. On met en place des tribunaux militaires expéditifs qui condamnent à mort 323 Indiens. La décision appartient in fine à Abraham Lincoln.
Selon les sources, on attribue à William P. Dole, commissaire aux Affaires indiennes ou à l’évêque humaniste Henry Whipple, l’influence qui fit réduire le chiffre des condamnations à mort à 38 – c’est-à-dire uniquement les hommes coupables d’être les chefs de guerre.
Ce sont donc 38 guerriers qui se préparent à mourir en ce 26 septembre. Déjà, les jours précédents, les témoins observent fascinés le calme des condamnés.
« Les condamnés n'ont cessé de déployer, pendant leur captivité, un calme et une force d'âme vraiment extraordinaires. Vaincus, ils acceptaient leur sort avec une profonde résignation ; ils se courbaient avec une sorte de respect religieux sous la fatalité et semblaient désireux de mourir, espérant aller habiter la demeure du Grand-Esprit.
Quand, lundi 22 décembre, le colonel Miller est venu leur faire connaître la décision du président, c’est à peine s’ils ont trahi la plus faible émotion. Ils écoutaient la lecture du terrible document avec une apparente indifférence, et continuaient à fumer tranquillement leur pipe. […]
Le jour suivant, ils se préparèrent à la mort en se livrant au plaisir du chant et de la danse. »
Selon le récit du Petit Journal, les Indiens ne manifestent leur mécontentement que par deux fois. Lorsqu’ils apprennent le 22 décembre qu’ils seront pendus et non fusillés, puis le jour de l’exécution, lorsqu’on recouvre leur tête.
« Fiers et orgueilleux, ils s’étaient parés de leurs vêtements les plus beaux, pour donner ainsi plus d’éclat et de pompe à leur supplice, mais l’autorité ayant jugé à propos d’empêcher cette démonstration, avait prescrit que les condamnés seraient conduits à l’échafaud couverts d’un capuchon.
Cette mesure causa un vif mécontentement et une profonde déception parmi les Indiens. Pourquoi cachait-on leurs traits ? Craignait-on de laisser voir au peuple leur visage impassible en face de la mort ?
Ils murmuraient avec une indignation sourde ces réflexions pendant qu’on les revêtait du capuchon mortuaire. »
Toujours selon Le Petit Journal, les préparatifs sont de courte durée. On apprend que le « triste privilège de faire jouer la bascule » est revenu à un homme dont la femme et les filles avaient été assassinées.
« Trois roulements successifs de tambours ont donné le signal fatal. Immédiatement, les trente-huit Indiens ont été suspendus entre le ciel et la terre.
Leur agonie a été très courte et en apparence peu douloureuse. Les cadavres sont restés exposés pendant environ une heure. Après cela, les corps ont été recueillis dans quatre chariots de l'armée, qui les transportèrent à l'entrée principale du village, où une fosse commune avait été préparée. »
Cette exécution en nombre, la plus grande exécution de masse de l’histoire des États-Unis, met un coup d’arrêt à la « Guerre des Sioux ».
Les Dakotas survivants sont expulsés du Minnesota vers le Nebraska et le Congrès met fin à l’existence de leurs réserves, les contraignant à l’errance et la mendicité.
En janvier 1863, Charles Bernard-Derosne, écrivain et officier de l’armée impériale, décrit ainsi le sort des Indiens d’Amérique.
« Dès que les Américains eurent mis le pied sur les bords du lac Supérieur, il fallut en faire disparaître les tribus indiennes, le Yankee, au contact d'une race inférieure, ne lui laissant que deux alternatives, l'esclavage ou l'exil. […]
On en voit encore quelques-uns errer par petites bandes, en qualité de mendiants, de touristes, si l'on veut, mais non plus de propriétaires, autour des établissements européens, y provoquer le rire sans pitié des Yankees par leur abrutissement hideux et grotesque, et échanger contre de l'eau-de-vie les derniers dollars qui ont payé l'achat de leur patrie.
Le whisky, la misère et le mépris public qui dégradent le corps en dégradant l'âme, auront bientôt raison de ces peuplades malheureuses. »