Écho de presse

L'exil français des Russes blancs

le 10/04/2022 par Pierre Ancery
le 06/04/2022 par Pierre Ancery - modifié le 10/04/2022

Dans les années qui suivent la Révolution d'Octobre 1917, de nombreux Russes fuient le régime bolchevique. 400 000 d'entre eux trouvent refuge en France.  

On les surnomme « Russes blancs » en opposition aux « Russes rouges », les bolcheviques : soit 1,5 à 2 millions d'hommes, femmes et enfants contraints à l'exil après la Révolution d'octobre 1917 et dans les années de guerre civile qui suivirent.

La presse hexagonale s'intéresse à eux surtout à partir du début des années 1920, mais le phénomène est analysé comme marginal. Le Matin, par exemple, évoque le 25 août le suicide à Paris d'un prince russe désargenté et explique ce fait divers par l'oisiveté forcée de l'aristocratie russe émigrée. Le 20 juillet, L'Humanité explique que « Paris et Munich pullulent de Russes blancs », évoquant les mouvements contre-révolutionnaires qui ont pris ces villes pour base.

Mais plus l'émigration devient massive, plus la presse se rend compte qu'elle ne concerne pas uniquement la noblesse russe et les opposants monarchistes, mais bien une population très diverse : mencheviques, ingénieurs, banquiers, survivants des armées du tsar, etc. Le 6 décembre 1921, Le Gaulois consacre un long article à ces réfugiés :

« Les révolutions sont des tornades. Au contraire des invasions qui refoulent leurs victimes devant elles dans une direction unique, elles éparpillent les leurs à tous les coins du monde. La nature même de ces cyclones sociaux, en projetant les proscrits vers toutes les frontières, condamne ceux-ci à une dispersion dans l'exil qui est la marque et comme la sombre loi des émigrations. »

L'article fait la longue liste des pays qui les reçoivent, sur tous les continents :

« Par un renversement du destin, la Pologne vient au premier rang des pays d'asile avec les quatre cent mille expatriés qu'elle abrite. Noble revanche d'un sol opprimé devenu le refuge de ses oppresseurs […]. L'Allemagne, également limitrophe, héberge trois cent mille réfugiés. […]. Et si la France n'en abrite, comme la Turquie, que soixante-cinq mille, elle a recueilli, à défaut de la quantité, la qualité. C'est sur notre sol que se sont fixés la plupart des hommes politiques, diplomates, ingénieurs, industriels, professeurs. »

Et d'ajouter que parmi les exilés, 200 000, femmes, enfants, vieillards, « sont hors d'état de gagner leur pain ». Le 6 mars 1922, Le Petit Journal consacre sa une aux réfugiés parisiens qui « gagnent leur vie en travaillant » et décrit leur déclassement au sein de la société française :

« À Paris, des membres de l'aristocratie russe, des officiers supérieurs de la garde considèrent comme une chance inespérée d'avoir pu s'employer dans les grands hôtels et les grand magasins comme interprètes […]. De grandes dames russes tirent l'aiguille dans les magasins de couture et de modes […]. Les intellectuels comptent parmi les catégories de réfugiés les plus difficiles à caser. Les médecins, les avocats, tous ceux qui exerçaient en Russie une profession libérale, surtout s'ils ne connaissent pas le français, souffrent beaucoup. »

Dans les faits, les réfugiés, aidés parfois par des comités d'entraide (le Comité Zemgor, la Croix-Rouge russe), travaillent où ils peuvent : ils deviennent ouvriers, couturières, mineurs, chauffeurs de taxis, cuisiniers, matelots... Au total, la France en accueille 400 000 : elle devient à partir de 1922 la destination privilégiée de l'émigration russe. Si Paris en reçoit un grand nombre, beaucoup choisissent Nice et Marseille. Nombre d'entre eux n'ont jamais pu regagner leur pays natal.