Il y a 80 ans : fin de la bataille de Stalingrad
Le 2 février 1943, après cinq mois de combats intenses, la bataille de Stalingrad prend fin avec la reddition des derniers combattants de l’Axe. Deux jours plus tôt, le 31 janvier, le maréchal Paulus s’est constitué prisonnier.
Aux derniers jours de janvier 1943, la tension monte, alors que la presse se fait l’écho des combats acharnés qui se poursuivent à Stalingrad, où les armées allemandes sont entrées le 6 septembre après un pilonnage intensif de 13 jours. La prise de la ville qui porte le nom de Staline, sur la Volga, n’était pas initialement un objectif stratégique du Fall Blau, le « plan bleu » lancé par Hitler à l’été 1942 : l’offensive visait avant tout à atteindre les ressources minières du Donbass et le pétrole du Caucase.
La ville devient malgré tout un abcès de fixation, que personne ne veut lâcher. A la mi-novembre, à la suite de la contre-offensive menée par les Soviétiques, la nasse se referme sur la VIe armée du général Paulus, prise au piège dans la ville et coupée de ses ravitaillements. Au 28 janvier, la fin semble proche. La presse collaborationniste continue de vanter la résistance allemande : « Dernière seconde : Stalingrad tient toujours » (Paris-Soir) ; « L’Axe tient toujours dans Stalingrad » (Le Progrès de la Somme) ; « A Stalingrad, la situation est inchangée. Le courage des défenseurs ne faiblit pas », annonce Le Réveil du Nord.
Au même moment, depuis Londres, France : liberté, égalité, fraternité raille la « volte-face de Goebbels, qui a remplacé du jour au lendemain les constructions d’un optimisme forcené et mensonger par un véritable mur des lamentations » :
« Les oreilles traditionnellement musicales du peuple allemand ont dû subir un rude choc lorsque la propagande allemande, sans aucune transition, passa de l’air joyeux “Tout va très bien, Madame la Marquise…” aux accents funèbres de “De Profundis…”. »
Car, depuis novembre, les services de la propagande nazie ont soigneusement dissimulé à la population allemande les difficultés du siège de Stalingrad. Ce n’est qu’à la mi-janvier qu’on leur distille les premières informations sur la violence véritable des combats. L’étau est déjà très resserré et la défaite menace. Pour autant, « toute capitulation est exclue. La troupe doit se défendre jusqu’au bout », écrit Hitler à Paulus dans son radiogramme du 22 janvier.
Le 1er février tombe la nouvelle de la promotion du général Paulus au grade de maréchal, intervenue deux jours plus tôt, et reprise notamment dans Le Réveil du Nord, qui y voit « un hommage aux héroïques défenseurs de Stalingrad ». Elle est en réalité une invitation du Führer à se suicider, à laquelle Paulus, par croyance religieuse, refuse de se soumettre.
Alors que la presse collaborationniste se félicite de la promotion du Feldmarshall, Paulus est en réalité prisonnier depuis la veille, 31 janvier. L’Echo d’Alger et France en font déjà état le 1er février, avant d’y revenir le lendemain et de crier victoire :
« La victoire remportée par les Russes à Stalingrad se révèle encore plus importante qu’on ne le croyait. »
Pourtant une poche résiste encore, dans le nord de la ville, depuis les usines Traktor et Barricades. Paulus a refusé de donner aux derniers combattants l’ordre de la reddition que lui demandait le général d’artillerie Voronov, arguant du fait que ces hommes étaient sous l’autorité directe d’Hitler. Les combats continuent donc deux jours encore.
Le 2 février au matin, tout combat a cessé. Devant la défaite, la presse acquise aux Allemands n’a de cesse, dans les jours qui suivent, de célébrer, sans ménager les formules épiques, l’héroïsme et le sacrifice des combattants. Ils reprennent la teneur du communiqué venu de Berlin, un « communiqué d’une simplicité et d’une grandeur napoléoniennes », ira jusqu’à dire La Petite Gironde le 5 février 1943.
« Le sacrifice de l’armée n’a pas été fait en vain.
Cette armée, instrument d’une mission européenne historique, a brisé pendant de nombreuses semaines l’assaut de six armées soviétiques.[…]
Deux demandes de capitulation faites par l’ennemi furent fièrement rejetées.
Le drapeau à croix gammée fut hissé sur la plus haute ruine de Stalingrad et était visible de très loin quand la dernière bataille fut livrée.
Les officiers, sous-officiers et soldats ont combattu épaule contre épaule, jusqu’à leur dernière cartouche.
Ils sont morts pour que l’Allemagne vive. »
Du côté pro-allemand comme de celui de la France libre, la presse fait de la bataille un événement historique, tout en en donnant des interprétations opposées. « La plus grande bataille de l’Histoire vient de prendre fin », écrit Le Réveil du Nord. Digne de la bataille des Thermopyles pour La Tribune de l’Est qui cite Goering, comparée à « notre bataille de Verdun » par La France socialiste elle aussi collaborationniste, elle évoque en revanche à René Richard, dans L’Echo d’Alger, la bataille de Tunis entre Rome et Carthage, qui a vu l’anéantissement de l’armée de Regulus, fait prisonnier comme Paulus.
Si d’aucuns, à l’image de La France socialiste, affirment que « Les défenseurs de Stalingrad sont morts avec la certitude de la victoire finale », du côté des Alliés, on voit déjà dans la bataille le tournant de la guerre. Sous le titre « L’espoir change de camp », L’Écho d’Alger évoque « un nouveau ressac de la vague de pessimisme dans les pays de l’Axe » et file la métaphore hippique :
« Le monde entier s’accorde sur ce que l’écurie adverse est déjà hors de course.
La casaque noire et la toque brune feraient mieux de regagner le paddock plutôt que d’user la cravache du désespoir sur leurs rossinantes essoufflées. »
Cette idée de tournant n’est pas sans susciter les moqueries d’Aujourd’hui, le 4 mars 1943 :
« Chaque fois que l’année fait un coude, les radios anglaise, américaine et bolchéviste annoncent un tournant historique et décisif.
Le dernier en date remonte au début de l’hiver. […] Qu’en reste-t-il aux approches du printemps ? »
Si en février-mars 1943, faire de Stalingrad un point de bascule relève sans doute de la guerre idéologique, la défaite allemande restera bel et bien, au regard de l’Histoire, un véritable tournant. Outre une capacité offensive très fortement entamée et d’immenses pertes humaines – 760 000, dont 113 000 prisonniers, exploités par Staline comme « vivants symboles de la défaite » (François Kersaudy) –, l’armée allemande aura définitivement perdu à Stalingrad sa réputation d’invincibilité.
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Pour en savoir plus :
François Kersaudy, Stalingrad, Le tournant de la guerre, Perrin, 2023 (réédition)